A propos de Road to Nowhere de Monte Hellman 3 out of 5 stars
Qu’est-ce qui a poussé Monte Hellman à réaliser Road to nowhere, après plus de 20 ans d’absence derrière la caméra ? A lire les interviews qu’il a données, on croirait entendre Antonioni lorsque le réalisateur, aujourd’hui âgé de 78 ans, décrit un « héros (…) incapable de communiquer avec celle qu’il aime, de satisfaire le besoin qu’elle a d’entrer en connexion avec lui. »
Parler de la carrière de Monte Hellman, dix films seulement au compteur en 50 ans de carrière, dont le mythique Macadam Cowboy (1971), nécessiterait un article en soi tant le destin du réalisateur américain semble avoir été placé sous le signe de la malédiction. Une trajectoire funeste à la Nicholas Ray (1911-1979), marquée par sa volonté farouche de ne pas obéir aux diktats commerciaux des studios d’Hollywood. Entre projets avortés et mise au ban progressive des studios, Hellman paya au prix comptant sa réputation d’auteur et de cinéaste « indépendants ».
Il y a une dizaine d’années, Hellman est revenu un peu dans l’arène du cinéma, en trouvant des financements pour le Reservoir Dogs (1992) de Tarantino et en conseillant Gallo pour la réalisation de Buffalo’66 (1998). Mais hormis quelques apparitions à l’écran chez Kaurismaki notamment (I love L.A.), rien à signaler depuis Silent Night, Deadly Night 3 : Better Watch out ! (1989).
Si l’on s’attarde autant sur la carrière d’Hellman (quel réalisateur peut se targuer d’avoir un nom aussi prophétique ?), c’est pour dire à quel point les similitudes entre son personnage et celui de Mitchell Haven (faux air de Fassbinder) sont troublantes. Sorte de double cinéaste au destin intimement lié. « Il y a trois choses primordiales pour faire un film, c’est : 1/ Le casting, 2/ le casting et 3/ le casting », martèle en souriant Haven en même temps qu’il supplie son actrice de ne pas chercher à jouer mais à être elle-même, suivant le précepte de Samuel Fuller conseillant Robert Stack dans La Maison de bambou (1955).
Road to nowhere, récompensé par le Lion d’or à Venise en 2010 et dont la particularité est d’avoir été tourné avec un appareil photo 5 D Mark II, consiste en une mise en abyme habile d’un tournage qui dégénère peu à peu, la faute à un ancien expert d’assurances qui rôde sur le plateau et découvre peu à peu des éléments compromettants pour l’équipe d’arnaque à l’assurance vie, entre substitution de cadavres et vol de clé USB. La force de Road to nowhere est de parvenir à rendre ambigüe voire impossible la distinction entre l’histoire de Velma Duran et la réalité du tournage et de la passion amoureuse entre Haven et son actrice.
Dès le début et ce plan fixe de cinq minutes où Velma Duran, pose lascive, allongée sur un lit, se sèche les cheveux, on reconnait le style et la lenteur de la mise en scène d’Hellman, que l’on a tant de fois rapprochée de celle d’Antonioni.
Mais de quoi parle Road to nowhere ? D’une actrice sensuelle à la beauté entêtante et qui ronge le cerveau d’un réalisateur ? Sans doute, mais c’est d’abord la peinture d’un jeune cinéaste ambitieux et intransigeant et, qui refusant tout compromis avec le système d’Hollywood, finira par être emporté par ses démons. Lorsqu’on lui propose Scarlett Johansson, Haven préfère engager une brune inconnue d’origine portoricaine qu’il trouve envoûtante et charnelle au point de tomber fou d’elle.
L’histoire qu’Haven tourne importe peu, sorte de roman à l’eau de rose. L’enjeu est ailleurs, dans la fascination qu’il éprouve pour son actrice dont il fera peu à peu une icône. Multipliant les pointes d’ironie à l’égard d’Hollywood (interviews de Di Caprio à la télé et d’un journaliste qui dit à Haven qu’Hollywood est d’abord un « business » avant d’être un « show »), Road to nowhere est paradoxalement une déclaration d’amour au cinéma et un hommage à la figure de cinéaste. Haven passe ses soirées à regarder des chefs-d’œuvre du 7ème art (dont Le septième sceau de Bergman), allongé aux côtés de son actrice qu’il scrute sans parvenir à percer le mystère de sa beauté. Ce qui le rend malade. Lorsqu’elle parle avec lui et l’interroge sur le nombre de films qu’il a vu, il préfère répondre qu’il faudrait mieux lui demander dans combien de rêveries de réalisateurs il a eu la chance de plonger. Rien que pour ces scènes d’un réalisateur « un peu rouillé » parlant avec autant d’humour et de simplicité, de franchise et d’amour de son art, Road to nowhere mérite qu’on aille le voir.
Haven est un cinéaste talentueux et sensible dont les forces créatrices sont menacées par des élans destructeurs et qui souffre de son impuissance à communiquer ses sentiments à son égérie. Haven, victime du système ou artiste romantique vaincu par ses démons ? On se souvient qu’à la fin de Macadam Cowboy, la pellicule brûlait. Clin d’œil à Le voyeur de Powell, l’une des dernière scènes constitue en tout cas un somment de tension et le paroxysme du film, le réalisateur faisant passer sa caméra pour une arme menaçant des policiers. Cinéaste conscient de son sacrifice. Un autoportrait, vous avez dit ?…
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