Jurys populaires : avec démagogie mais sans moyens

Publié le 16 avril 2011 par Hmoreigne

Le conseil des ministres de mercredi a arrêté l’expérimentation des jurys populaires dans plusieurs cours d’appel du 1er janvier 2012 au 1er juin 2014. La manœuvre de l’Élysée est cousue de fil blanc : jouer la carte populiste en stigmatisant les juges et leur laxisme supposé. Ce faisant, l’exécutif évite de poser la question des moyens de fonctionnement de la justice et oublie que contrairement aux idées reçues, les jurés populaires sont souvent plus cléments que les magistrats professionnels.

Michel Mercier (en photo) reprend cet argument quand il justifie la réforme par le fait qu’il s’agit d’abord de mieux associer les Français à l’œuvre de justice. “Ce n’est pas du tout pour avoir des sanctions plus sévères” se défend le garde des sceaux. Et il a raison. À l’inverse de Nicolas Sarkozy, pourtant avocat, Michel Mercier connaît son histoire pénale. “En 1932, je crois, on a rétabli dans le délibéré des cours d’assises la présence des magistrats professionnels, parce que jusqu’à cette date-là il n’y avait que les jurés populaires, qui étaient beaucoup plus cléments. Il y avait à peu près 40 % d’acquittements”, a indiqué sur France Inter le garde des sceaux.

Jean-Noël Jeanneney dans son émission hebdomadaire Concordance des temps (France Culture) s’interroge sur le retournement d’approche qui entoure la question des jurés populaires. L’historien rappelle que tout au long du XIXe siècle, “ la droite a constamment considéré, au rebours de son héritier d’aujourd’hui, que les jurys populaires, fils des Lumières et de la Révolution, si on leur laissait trop de pouvoir, risquaient d’être, en règle générale, trop indulgents, aux dépens des exigences de l’ordre établi. C’est d’ailleurs pourquoi le régime de Vichy a adjoint, dans les cours d’assises, des juges de métier aux délibérations des citoyens jurés “.

Reste la question de l’introduction d’une réforme importante dans une institution déjà bien mal en point. Son coût est évalué à 20 millions d’euros par an, auxquels s’ajoute une dépense ponctuelle d’environ 30 millions d’euros pour les aménagements immobiliers, a précisé le ministre de la justice. Le tout dans un contexte où la chaîne judiciaire est totalement exsangue financièrement et où ses acteurs demandent la mise en place d’un véritable plan Marshall.

Pour le Parti socialiste, l’instauration des jurys populaires est une erreur “qui va ralentir considérablement des audiences déjà surchargées, imposer à des citoyens de prononcer des peines de prison après quelques heures de formation et quelques minutes de connaissance du dossier traité, et donc détériorer encore les conditions de jugement au détriment des personnes jugées comme des victimes“.

Les chiffres avancés par Jean-Marc Ayrault étayent cette inquiétude. “Il y a six cent mille procès en correctionnelle par an“, rappelle le patron des députés socialistes à l’assemblée nationale qui souligne que, “déjà pour les assises c’est difficile avec six mille procès, même si on se limite à quarante mille procès par an en correctionnelle, le risque c’est que la justice soit très lente“.

Se posent également des points matériels très concrets sur lesquels le gouvernement est bien en peine d’apporter des réponses concrètes. Les cours d’assises ont déjà les plus grandes difficultés pour trouver et former assez de jurés pour participer aux 2 600 décisions qu’elles rendent chaque année. Qu’en sera-t-il s’il faut étendre le système a minima aux jugements des délits les plus graves qui sont de l’ordre de 40 000 par an ?

Au-delà de la question du principe, le PS et les syndicats de magistrats dénoncent une réforme inapplicable tant d’un point de vue financier que pratique. Les faits leur donnent raison. Ce qui fait dire à beaucoup d’observateurs qu’il s’agit d’une fausse bonne idée ou d’une réforme en trompe l’œil. Plus direct, Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature parle “d’une réforme d’affichage”.

Au sein même de l’UMP, tout le monde n’est pas convaincu. Jean-Paul Garraud, secrétaire national de l’UMP à la justice, ne cache pas ses craintes quant à l’introduction de jurys populaires en correctionnelle. “J’ai été chargé par l’UMP d’une mission de réflexion à ce sujet, et j’ai rendu un rapport le 10 mars dernier à Jean-François Copé. L’introduction de jurés populaires en correctionnelle telle que la prévoit le projet de loi va poser problème. Le principe de l’oralité des débats va nécessairement rallonger le processus judiciaire. Là où on jugeait 40 affaires, on n’en jugera plus que deux : le ralentissement du rythme de jugement risque de provoquer un engorgement des tribunaux“. 

Le député UMP et ancien directeur de l’Ecole nationale de la magistrature partage donc les critiques formulées par le PS. Il va plus loin lorsqu’il déclare que Ce n’est pas le prononcé de la peine de justice qui pose problème dans le système actuel, mais bien plus son application et propose d’impliquer davantage les citoyens dans le processus d’application des peines. Pour bien appuyer le coup de pied de l’âne, le secrétaire national de l’UMP à la justice explique “qu’il ne faut pas complexifier la procédure, mais au contraire la simplifier. Il est nécessaire que le corps judiciaire reçoive des messages politiques positifs, dans un moment où les crispations sont fortes”.

Crédit photo : Olivier Ezratty (Flickr)

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