Par Jean-Pierre de Mondenard (Médecin du sport) 20H05 02/02/2008
Lundi 4 février à 0h25, en direct sur France 2, neuf repris de justice vont en découdre lors de la finale du 42e Super Bowl. Quatre dans le camp des New York Giants contre cinq chez leurs adversaires, les New England Patriots.
Depuis de nombreuses années, le football américain est contaminé à la fois par la violence sur le stade (décès) et en dehors (crime, viol), le dopage et les drogues (trafic). Des affaires d'homicide impliquant des stars viennent régulièrement rappeler que ce sport, que ce soit sur les terrains ou en dehors, est probablement l'activité physique de compétition la plus meurtrière de la planète.
Par exemple, en 2000, quelques heures après la 34e finale du Super Bowl à Atlanta, regardée par 130 millions d'Américains et un milliard de téléspectateurs dans le monde, on apprenait l'arrestation et l'incarcération pour double meurtre de Ray Lewis, le leader de la défense des Ravens (corbeaux) de Baltimore et cela tout juste un mois après l'inculpation de Rae Carruth, l'un des attaquants des Carolina Panthers accusé du crime perpétré contre son amie. A la même époque, le quotidien Le Parisien rapportait dans son édition du quatre février 2000 que pour la finale du Super Bowl:
"Deux des joueurs de l'équipe du Tennessee étaient sur le terrain en liberté conditionnelle. Le premier pour agression de sa compagne, le second pour avoir tué une femme alors qu'il conduisait en état d'ivresse. Par ailleurs, un ouvrage publié en 1999 et s'intitulant 'Les criminels qui jouent dans la NFL', titre évocateur de la dérive de ce sport –mais est-ce vraiment un sport?– rapportait que 21% des joueurs ont été impliqués dans des crimes sérieux."
32% des joueurs ont un casier judiciaire
Dans le même registre, une autre enquête dévoile la même année que 509 joueurs sur 1590, soit 32%, avaient un casier judiciaire.
Plus récemment, en novembre 2007, le safety (défenseur) des Washington Redkins, Sean Taylor, a été abattu à son domicile floridien parce qu'il voulait quitter le gang auquel il appartenait. Dimanche 3 février, en début de soirée, au Phœnix Stadium de Glendale, terrain de l'équipe des Cardinals d'Arizona, neuf bad boys, grâce à la bienveillance de la justice –supportrice indéfectible de ce sport majeur outre-Atlantique- pourront donner du bonheur à des dizaines de millions de spectateurs et téléspectateurs.
Si, hors stade, les footballeurs américains jouent avec la vie des autres, et accessoirement avec la leur, lorsqu'ils pénètrent dans les arènes athlétiques, leur longévité s'avère particulièrement exposée. Régulièrement, dans les pages sportives des journaux d'Amérique du Nord, sont publiées des statistiques sur la santé de ces nouveaux gladiateurs. Par exemple, la durée moyenne de la carrière d'un joueur professionnel est passée de 7 ans en 1973 à 4,7 ans en 1983 et à 3,2 ans en 1993. En 1983, l'espérance de vie d'un footballeur était de 57 ans contre 71 ans pour un citoyen américain moyen. Plus récemment, en 1993, d'autres chiffres tout aussi alarmants ont été fournis par le quotidien USA Today:
"L'espérance de vie des anciens joueurs dépasse à peine les 55 ans. Leur longévité est la plus basse de toutes les professions aux Etats-Unis: la moitié d'entre eux sont décédés à 47 ans, les deux tiers subissent une blessure grave qui dans la plupart des cas, laisse des séquelles majeures."
Ces chiffres paraissent invraisemblables et pourtant ce n'est pas nouveau. Déjà, en 1905, la saison s'était soldée chez les professionnels par 18 morts et 159 blessés graves. Le président des Etats-Unis de l'époque, Théodore Roosevelt, avait averti:
"Le football devra être réformé ou supprimé."
Les instances du foot US avaient alors ajouté des protections telles que le casque de cuir et les épaulières en mousse. Aujourd'hui, dans le rugby à XV, on passe par les mêmes erreurs en prenant l'effet pour la cause. Alors que tout est fait, électrostimulation, intégrateurs de fatigue, entraînement "scientifique", pour augmenter la force et la vitesse des gladiateurs modernes, porter des protections plus ou moins matelassées s'apparente à mettre du mercurochrome sur la tête d'un demeuré qui se frappe le crâne à grands coups de marteau! Plutôt que de badigeonner de "rouge" la plaie, une personne normalement sensée aurait en priorité retiré l'élément contondant des mains du fou.
Il y a une vingtaine d'années, l'ancien recordman du monde du 110 m haies, Renaldo Nehemiah, reconverti dans le football américain, avait raconté pourquoi il avait décidé d'abandonner ce "sport":
"Le football peut détruire ton corps. La première année, j'ai été blessé au genou, la seconde j'ai souffert d'une commotion cérébrale, la troisième, je me suis fracturé une clavicule. Et la saison dernière, je n'ai pas pu jouer à cause de problèmes de vertèbres. L'idée de finir ma carrière avec un physique atteint comme tous les joueurs qui m'entouraient ne me plaisait pas."
40% d'amateurs de cocaïne
Cette violence ordinaire, qu'elle soit à l'intérieur ou à l'extérieur des stades, trouve son origine en grande partie dans la consommation de cocktails artificiels. C'est un secret de polichinelle que les joueurs de football américain "se chargent" comme des mulets. Aux lignes de cocaïne euphorisantes et stimulantes qui passent par les narines d'environ 40% des joueurs, il faut ajouter –pour ne pas sentir les coups– amphétamines et antalgiques et, pour déménager les défenses adverses, des kilos de muscles made in anabolisants.
Ainsi, l'usage des produits dopants rend les joueurs de plus en plus forts, rapides et agressifs. Les chocs redoublent de violence, les accidents graves se multiplient et la longévité en prend un sérieux coup. Lyle Alzado, l'un des footballeurs américains les plus performants et les plus violents, mort en mai 1992 d'une tumeur au cerveau à 43 ans, après avoir confessé un usage massif de stéroïdes et d'hormones de croissance, disait que 90% des joueurs qu'il côtoyait "touchaient au truc".
De même, pour George Eddy, le commentateur spécialiste des sports US à Canal +, qui a couvert de nombreux Super Bowl pour la chaîne câblée, une chose est sûre:
"Il y a un dopage massif dans le foot. On ne devient pas des bêtes physiques comme cela, naturellement. Mais au moins, eux ne s'en cachent pas. Alors que nombre de sportifs en Europe sont beaucoup plus hypocrites."
Jusqu'au milieu des années 1980, la communauté scientifique ignorait que l'un des principaux effets pervers des anabolisants concernait le mental des consommateurs. Dès cette époque, les revues consacrées à la psychiatrie vont publier des études décrivant la "rage des stéroides", associant des périodes de léthargie à des épisodes d'irritabilité incontrôlable, voire à des accès de violence extrême pouvant aller jusqu'au meurtre.
Ainsi, plutôt que de faire croire que l'on s'intéresse à la santé des sportifs en leur mettant des maillots-pare-chocs, il nous paraît beaucoup plus performant de traquer les substances dopantes qui favorisent la violence.
Aujourd'hui, personne ne se révolte contre de tels méfaits et hécatombe, ni les joueurs, ni les dirigeants, ni les responsables politiques, ni… les spectateurs. D'ailleurs, on peut s'interroger sur l'invraisemblable sélection à titre posthume de Sean Taylor, le joueur assassiné en novembre dernier, pour jouer "virtuellement" le Pro Bowl le 10 février à Hawaï, le match où s'affrontent les meilleurs joueurs du championnat et qui clôt officiellement la saison de la National Football League (NFL). Ce n'est pas le premier à être sélectionné à titre posthume pour un Pro Bowl. Déjà, en 1985, un joueur décédé dans un accident d'automobile, avait eu cet honneur.
Aux Etats-Unis, tout est mis en scène pour que les jeux du cirque éclatent de santé et que la monnaie tombe dans l'escarcelle des entrepreneurs de spectacles.
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