Non, je n’ai pas abandonné le Challenge post-apo ! C’est juste que, devant les nombreux engagements auxquels j’ai souscrit, il m’a été difficile de respecter mon agenda filmique. Néanmoins, je tenais à le voir, quand bien même je manquerai de temps pour le chroniquer. A la veille d’un week-end où je serai absent, je m’y colle.
The War Game
Un film de Peter Watkins (1964).
Un DVD zone 2 Doriane Films
1.33 :1
VOST mono ; 50 min
Une chronique de Vance
Résumé : 1967, en pleine Guerre froide. Suite à des incidents à Berlin, la tension monte et les puissances occidentales se préparent au pire. La Grande-Bretagne, avec ses nombreuses bases aériennes, est particulièrement exposée en cas de représailles soviétiques : que se passerait-il si un missile nucléaire explosait sur une de ces bases, non loin d’une ville d’importance moyenne ? Comment réagirait le gouvernement de Sa Majesté ? Comment gérer la panique et les effets d’une attaque atomique sur la population civile ?
Qu’on se le dise : inscrire ce film dans le cadre d’un Défi portant sur le thème du Post-Apocalypse était osé. Format inhabituel, discours inhabituel et réalisateur inhabituel. Pensez-donc ! Un documentaire ! Qu’allions-nous donc faire en cette galère ?
L’idée n’était pas de moi. Je le regrette, car elle était lumineuse.
D’abord, c’est du Watkins. Il a impressionné quelques-uns de mes co-blogueurs avec son Punishment Park terriblement bluffant et m’avait moi-même intrigué lors d’un stage de cinéma quand nous avions eu la chance de visionner une partie de son travail monumental sur la Commune de 1870 (un film tourné en un plan-séquence avec des acteurs non-professionnels).
Avec la Bombe, tout le cinéma de Watkins était en germe : la volonté de coller au plus près de la réalité tout en construisant ses séquences avec une extrême rigueur. Du cinéma-vérité alternant les travellings hallucinants sur des plans interminables et le montage d’images choc prises caméra à l’épaule. L’ouverture se fait en deux temps, d’abord par un panneau défilant expliquant les tenants et aboutissants de l’œuvre, puis avec ce plan-séquence suivant un messager à moto se rendant au siège du Parlement pour y délivrer des informations cruciales. Le film se repose ensuite entièrement sur une hypothèse, effarante de simplicité, effrayante dans ses implications à l’époque et troublante dans son actualité – alors même que le contexte géopolitique a subi un bouleversement radical. Mais nous ne sommes, malheureusement, toujours pas à l’abri d’une telle menace.
Et Watkins égrène alors les instants, comme un compteur fatidique avant l’impensable. D’abord, c’est la prise de conscience de la menace, puis la mise en place en urgence d’un système de surveillance et d’action. Il faut penser à la fois en termes militaires mais aussi et surtout à limiter les pertes en vies humaines : comment prévenir ? comment protéger ? qui évacuer ? et où ?
Mais voilà que le risque augmente, alors que les relations internationales se fissurent. Le temps vient à manquer. Cela peut se produire n’importe quand. Les citoyens sont-ils prêts pour l’impensable ? On les voit répéter doctement les procédures à suivre au cas où…
Et ça arrive.
La bombe. Une base britannique est frappée. Une ville entière directement exposée. La caméra de Watkins est déjà sur place, balayant les décombres, tandis qu’on décortique les différents effets de la déflagration : le flash, qui brûle les rétines, la vague de chaleur, le souffle… et les radiations. Avec une acuité incroyable, on est plongé au cœur de ce qui pourrait être et suivant la distance qui nous séparerait du champignon atomique. L’intense travail de recherche mené conjointement avec les spécialistes de la BBC (notamment sur les conséquences d’Hiroshima et Nagasaki) porte ses fruits : on ne peut qu’être hypnotisé par le déferlement de détails écoeurants, les cadavres qui s’amoncellent, et ces rescapés qui n’ont même plus figure humaine… Le metteur en scène ne nous épargne guère, pas le temps de se reposer, le tempo létal s’accélère alors que les chances de survie s’amenuisent – tandis qu’en parfait contrepoint la voix doctrinale d’un narrateur énumère les options restantes.
Techniquement parlant, le DVD que j’ai acquis (possédant en outre Culloden, un autre « faux » reportage sur le massacre des Ecossais en 1746) offre une image plus que satisfaisante, dans un noir et blanc à la définition correcte. Le son légèrement nasillard confère à l’œuvre ce côté désuet qui nous charme quand on visionne les actualités de naguère, celles qui étaient diffusées au cinéma avant la séance proprement dite.
Au-delà de la SF, une tentative d’une intelligence inouïe qui dissimule mal une forme de désespoir implacable. Evidemment, ce n’est pas le « post-apo » dont on a l’habitude, il ne s’agit pas de l’étude des vestiges d’une civilisation anéantie par un cataclysme nucléaire, mais bien de l’impact immédiat de ce cataclysme. En fait, il aurait même dû être programmé en premier, voire avant le premier. Quoi qu’il en soit, il mérite absolument d’être vu – et Watkins d’être connu.
Indispensable.
Ma note : 4,6/5
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