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POÏEMIQUE n°3 : Les néos-ruraux sincères et (chemins) creux, l'arrière-pays avance dans le vide

Publié le 15 avril 2011 par Tudry

« Car rien n'émeut cette terre

ni charme ni prière

seule vit la cruauté

au coeur de nos rochers. »

J-L. Murat, Caillou

*

« La langue française qui vient du latinais, elle a explosé la pôvre. C'est parce qu'on naît du seul pays dont le nom est un verbe. Il france le comique actatien. »

Valère Novarina, Le Drame dans la langue française

*

« Notre vérité n'est que la figure obligée d'un infini processus de falsification. Le rôle que nous jouons est peut-être tout le contraire de ce que nous pensons. » (R. Millet, L'Opprobre)

Donnons-lui raison, pour une fois !

Avec Michon, Millet et Camus sont deux autres amateurs du « terroir ». Le corps-fantôme dans lequel ils vivent. Ce corps que seule la littérature fait « vivre » alors que plus personne ne peut habiter ces lieux... Les littérateurs s'en retournent vers la province, la campagne, le « pays » quand ceux-ci n'existe plus, quand il n'y a plus que l'extension d'une métropole-réseaux qui véhicule, dans un « partout » devenu « nulle part », les mots-sens utilitaires. Lorsque la littérature, fer de lance du culturisme, a optimisé le travail qui consiste à transformer un pays en parc à thème « culturel », en terre stérile patrimoniale... (voire l'essor incroyable du « roman régional », en particulier dans la sphère du « polar »...)

Comme la littérature ne se repaît que de cadavres et de fantômes il est dans la logique du mouvement littéraire que ses adeptes et défenseurs « de pointes », se retournent vers les cendres qui ne sont plus que tiédasses, comment verraient-ils donc qu'elle fut toujours tout autant autophage qu'ontophage ?

Ce monde se sert de tout, et la littérature, sa créature n'y échappe pas. Et ceux qui pensent, par elle s'en échapper ou en réchapper n'y peuvent rien, rien moins encore que les « autres ». Dans sa schizophrénie il nous oblige à « surjouer », à « sur-ressentir » ce qui est d'évidence – mais qu'il a lui-même effacé...

L'étonnement devant la Création est artificialisé ! Le romantisme - ses élans, son emphase - aura joué le rôle de catalyseur néfaste. En tant que « mode » il a, par l'affectation de la langue rendu dérisoire l'expression de cette sensation mystérieuse. Il a induit l'effet négatif, le retour de bâton du ridicule qui rend proprement impossible de façon organique aux générations suivantes cet « étonnement »...

Le post-modernisme se vit dans son autorefusement, dans l'obligation de se faire des « néos »...

L'intangible c'est le monastique.

ON ne peut plus parler de « nature », de « création » ce sera l'habitat, l'environnement, la bio-diversité, vocables pauvrement et platement « scientifiques ». Pour les autres se sera le « pays », le terroir...

Le déguisement bariolé du post-modernisme qui ne veut pas se dire. La musique de Jean-Louis Murat n'a rien d'auvergnate (mais lui n'a pas fait « retour »), la littérature de Millet rien de corrézienne, celle de Camus rien de gersienne... et celle de Houellebecq rien d'irlandaise, bien sûr ! Il est d'ailleurs très intéressant, et assez beau, de songer que Houellebecq c'est installé dans une nature certes « préservée » mais, dans le même temps, au coeur d'un pays qui fut le paradisiaque paradigme du libéralisme triomphant...

La France est au coeur du monde comme réseau qui se fait. Houllebecq le dit très bien, avec ce ton désespérant d'ingénieur douloureusement conscient d'être le déclassé ultime. La campagne est enfin réinvestit, possédée par l'industrie sous sa forme métastatique nouvelle : industrie du déplacement de masse (qui implique son inversion programmée à moyen terme...), industrie de diverstissement en zone d'activité ex-industrielle ou co-commerçante... Tout ceci n'étant rendu possible et « réel » que par le développement du rizhomique du réseau (électrique, gazier, routier, ferré... bien avant -forcément- celui de la « toile » -quel jeu avec les mots tout de même !!).

Ce retour au « préservé » (mis en place par l'industrie alors que celle-ci à constamment sucée les forces vives en les urbanifiant, afin de pouvoir vomir à nouveau les populaces descendantes vers leurs « origines » géographiques -le plus souvent désorientées-, mais sans les liens vivants, avec une « culture » artificialisée, industrialisée, passée par les cornues lénifiantes du « doux commerce »...).

Ce recours à la terre (chosifiée – qui doit être domestiquée avec l'aide des experts commercieux du jardinage-bienetre), comme celui de Junger « aux forêts », est un constat d'échec, souvent brillant, certes, aux accents presque héroïques parfois mais purement rhétorique, creux ! Il donnerait presque raison au trop fameux « pétainisme transcendant » de Badiou...

La « campagne » n'est plus qu'une immense « péri-urbanité » mollasse, infestée d'idéologues « bios »... Un point, un noeud dans le reséau meta-commercio-culturel, une carte dans la mappemonde googeulisée... Un lieu aux liens artificialisés !

La littérature comme utilitarisme chosifiant du monde – accompagne ce monde en le critiquant... Ce monde aime se faire peur pour ek-sister (hors du Dieu-Trine incompréhensible, évidemment !!) La trop fameuse « fin de la littérature » par la technologie n'est qu'une phase de ce subterfuge essentiel – un leurre – ballon-sonde ! La vraie puissance de la fiction-réalisante est passée ailleurs, c'est tout... (voire plus bas sur Les Vaisseaux brûlés de R. Camus) !

*

ON pense d'un côté l'environnement plus REEL que la « nature » (entâchée, suspecte, soupçonnée d'entretenir des rêveries mystico-romantiques et/ou rousseauistes, forcément irréalistes), de l'autre ON pense le terroir, la « ruralité provinciale » plus RELLE que la virtualité abstractive des modernistes... Similaire dé-création en miroir.

*

« Le cours ordinaire des choses me va, comme un incendie. » (J-L. Murat)

La paysannerie française délocalisée en Ukraine, et 400 paysans suicidés en 2009, c'est là véritablement l'état non des choses mais de la vie. Ce ne sont pas quelques hobereaux littéraires ou quelques néos-ruraux rose bio-bios qui y changeront un iota. Ils pourraient, ils pourraient mais il manque toujours « quelque chose »... et c'est l'essentiel, toujours, qui manque.

Dans son essai Egobody, Robert Redeker dresse le portrait psycho-génétique de l'homme-nouveau (celui sur lequel misent beaucoup les écologistes dont « l'animateur culturel » Renaud Camus partage certaines vues...), vivant sans âme, pure corporéité dont l'intériorité est toute de façonnage idéologico-industrielle, dont la chair même est manufacturée, modelée par les sons, les mots, les pharmacopées, les activités sportives, les connexions-sans-fil de l'immense usine-commerce. Individu-consommant, totalement confondu à son « pouvoir d'achat » (qui est aussi pouvoir de « jouir ») mais de plus en plus « éthique » (le bio-citoyen sympa) !

Face à ce nouvel hominidé et à son anthropofacture, à son usinage, Redeker dresse le portrait, élogieux, de quelques écrivains-paysans qui seraient, par leur enracinement, parmi les derniers représentants de cette espèce menacée qu'est l'homme-avec-une-âme... Ainsi évoque-t-il Gustave Thibon. Mais, lui non plus ne fut pas un « retourneux » ! Lucide et non nostalgique, philosophe-écrivain parce que paysan et pas morne moderne mort vivant, en « gent-le-man farmeur », son « résurrectionnel » paradis campagnard « réalisé » ! C'est, en outre, oublier que Thibon fut un chrétien très conscient qui ne pouvait (comme l'urbain Redeker, ou les néo-ruraux Camus, Michon ou Millet) confondre âme, moi et mental...

«Il est malaisé de composer avec le monde sans se laisser décomposer par le monde.» (G. Thibon)

*

« Refaire tout le chemin de l'apprentissage de la langue matièrenelle, réapprentir son languisme [...] Mettre le langue en souffrance au travail. » (Valère Novarina)

Au poids, les journaux (sans parler des romans) de Renaud Camus doivent bien dépasser L'Archipel du Goulag et La Roue rouge réunis. Et pour quoi ? Pour dire quoi, pour faire dire et rendre quoi à la langue ? Pour dire une vie... ? Une vie exemplaire, pleine d'une vacuité de « nocences »... ? Pour décrire une « réalité », une vie plus réelle parce qu'ayant la béquille des signes plein de sens posés sur le papier ? (et tous ces arbres abattus pour fournir les kilos de papier... ; pour un proche des idées écologistes !) Pour terminer guignol (à peine) médiatique du grand spectacle présidentiel, acmé du processus « soi-mêmisme » dénoncé des années durant, précisément dans ces pages aux contours flous ? Camus ne se révélerait-il pas comme le plus parfait représentant de la « tendance réac » ? Tout ce travail, sur le signe et son sens, pour se dévêtir finalement ? Pour endosser le frac du pédant, pendant enculturé de l'ultime prétendant ? La « culture » de la « lettre sublimée » n'est-elle pas le point central de réfraction entre la « haute-culture » du prince lettré en son château (très « réel ») et du « wanna-be » inculte en son plateau télévisuel (très « virtuel ») ? Le « réac campaniforme » ultra-fin comme frère siamois de la vedette urbaine « pré-fabriquée » ?

Les plus avancés des « néo-modernes » semblent se raccrocher, comme effrayés de leurs propres audaces à cette langue « matièrenelle » dont ils se seraient eux-mêmes exclus...

Se rapprocher d'une terre, longtemps rejetée comme « inconnue » et inadéquate, figure une forme de salut. C'est comme si la langue devait mieux « s'incarner », être plus véridique, en s'élevant de la terre, de la glèbe... Mais les modernes, dans leur désir même « d'authenticité » ignorent encore que ce n'est que la sueur vaporeuse, la brume, qui s'élève de la terre humide sous l'effet de la chaleur du soleil... C'est le Verbe, solide et chaud, qui, seul, en vérité nourrit et révèle le logos des éléments...

« Comme la littérature et le style, mais à un degré plus observable, mieux quotidien, plus commodément autopsiable, si vous me pardonnez l'expression, la syntaxe est une inadhérence, une inadhésion, une inappartenance, une solution de continuité, un défaut de coïncidence, surtout, entre l'homme et sa parole, entre le moi et son expression, entre l'être et l'infinité de ses possibles. » (Renaud Camus, Syntaxe ou l'Autre dans la langue)

Le défaut de syntaxe, l'absence de l'observation des règles grammaticales fut, à rebours de ce qu'entend Camus, la plus grande des trouvailles de Michel de Nostre-Dame, poète et prophète (et non devin et prédicteur), sensible à la fausseté des opinions et de leurs expressions languières !

Bien conscient que le langage n'apportait, bien qu'il faille en passer par lui, que trouble et confusion, que les théoriciens autant que les dialecticiens ne faisaient, malgré leur habileté logicienne, que jeter de l'huile sur le feu des conflits, Nostradamus tachait de renouer avec la puissance énergétique et transformante (transhumanante, aurait peut-être dit Dante) de la Poétique. Il lançait la charge détonante-étonnante de ce que les mots peuvent révéler « d'outre-sens »...

Camus démontre lui, en particulier avec sa phase terminale politico-terrienne-moraliste, qu'en effet la littérature avec son attachement au style et sa syntaxe, veut enterrer la poésie libératoire et énergétique...

Avec l'expérience des Vaisseaux brûlés, Camus aurait du percevoir la puissance détonante du Verbe, sa non adéquation foncière aux milites mortifères de l'imprimé et du livre-chose et... ce fut l'inverse, la mise au service de l'exploitation sans limite du moi-je ! La possibilité vivifiante du texte infini, de la reprise-perspective, du processus quasi-ascétique de perpétuation intensifiante est caricaturée en obsession du moimisme, inverti en momification de la sempiternelle circumambulation égotique !

http://www.renaud-camus.net/vaisseaux-brules/presentation/

L'obsession littéraire-littérale aura fait de Renaud Camus l'invers de ce qu'il « devait » être... La part dialogique serpentine du « verbe » aura parfaitement jouée son rôle...

La « vérité » de la « terre » aura fait du littératueur l'alibi minoritaire de la haine inversée...

Les mots sont-deviennent une feinte, la vérité qu'ils contiennent (non comme sens mais comme énergie) se tord et se « défigure »...

La terre° ment

forcément,*

soumise au forçage

de la feinte

forcément*,

la vérité s'éreinte !

°(la terre, comme idée abstraite,

qu'ON s'efforce de vivre

et qu'à l'envers ON épuise...)

*

Celui qui se veut contre

et se déclare tel

n'est que le miroir bel

que ce monde se tend

à lui-même

et s'ensorcelle

*

« La vérité ne se situe pas dans un endroit précis, mais dans la quête même de la vérité. » (Hagakuré, Livre I)

Le Dém-ON-de fait bien les « choses ». Il les dé-fait bien.

Contre l'artifice de sa part « moderniste » ON se trouve démuni. Le « vrai » est tourné en ridicule. Ainsi des « vrais gens », de la « vraie vie ». Il ne reste plus, dès lors qu'à se servir dans le vaste lexique qu'il a lui même travaillé et re-travaillé : la réalité, le social, la « communauté », le terroir...

C'est, par exemple, depuis ce lexique qu'opère Andreï Makine dans Cette France qu'on oublie d'aimer. Politique, culture et littérature sont évoqués et invoqués au secours d'un pays qui ne s'aimerait plus, qui se serait oublié dans son avancée historique. Incantation au « grand passé », mais une création véridique depuis la matière (même si négative) hic et nunc, il n'y a point ! Grande différence avec, par exemple, la chanson « En terre de France » d'un autre « mécontent », Murat. Car Murat a cette chance différentielle d'être possédé par une poésie personnelle... Dans un récent entretien le chanteur invoque la racine de la langue française, et voit dans la perte de la franchise la désintégration du fondement, non seulement, de la dite « langue » mais également du mode d'être qu'elle implique...

La Vérité du rapport à la terre sienne est sans mot. Le terrible travail exaltant de Novarina sur la langue le dit assez... la Vérité sans mot vie. La « vie vit » comme le disait puissamment saint Jean Chrysostome... ! Makine va, malheureuse révélation invertrice jusqu'à invoquer « la botte souveraine de la réalité » du triste mort Trotski !

« Ce sont les livres qui me sauvent de la léthargie dans le monde idéal », Andreï Makine, Cette France qu'on oublie d'aimer...

Les livres-choses-produits font cette réalité commerçante qui néantisent les rapports, la apports, la vie, la voie, la Vérité...

Cher Andreï, c'est bien là le problème, de votre France de papier qui, pour être plus « réelle » que les jeux vidéos, les émissions télés, les réseaux so(u)cieux, n'en est pas moins mensongère et idéelle il faudrait vous sauver ! Vous connaissez certainement, pourtant, vous l'échange fraternelle entre Ivan et le Maître (chez Boulgakov) ??

...

« je suis du peuple nu qui se déchire en toi

sur des chaises inconnues en un violent combat,

dans ce monde moderne je ne suis pas chez moi,

merci pour tant de peine, mais je ne t'aime pas ! 

...

Sur des révolutions qui n'éclateront pas

j'ai bâti ma raison,

oui, méfie-toi de moi»

(Le fier amant de la terre, JLM)

*

« La civilisation française est morte, elle n'a plus rien à dire. » Dostoïevski

Plus rien... et pourtant : elle parle encore ! Pour dire RIEN ? pour empoisonner le monde et nos corps de tout son RIEN, de toutes ces erreurs charlemanesques ?

Dès lors ce que l'ON vise c'est « l'authentique »...

Or, il faut-y revenir, ce terme est forgé en grec afin d'affiner le lien de vérité qui lie le criminel à son crime...

Ce mONde est très subtil... mais sa nature est logicienne. Pour qui saisit l'inversion intensificatrice d'inversion (et son inventeur même semble avoir été la victime de son système -c'est souvent le cas et je me méfie constamment, rassurez-vous !) les mots deviennent, intérieurement, inutiles ! Ainsi mettre en évidence sous une forme positive (et même apparemment « réactive » face au courant majoritaire) un terme qui, dans son énergie première, trahie la volonté néantisante voilà qui est fort !

Utiliser ceux qui, sincèrement, croient lutter contre votre tendance lourde, afin de faire avancer encore votre processus, voilà qui est stratégique...!

La littérature est une stratégie !

Un processus qui n'est jamais plus gagnant que lorsqu'il se dissous !

Un serpent qui se mord la queue ! (symbole qui ne fut jamais chrétien !! le serpent chrétien étant bicéphale, amphisbène, ou d'airain sur le pieux, mais que d'aucuns essaient encore de faire passer pour tel, avec même le fallacieux prétexte d'une supériorité gnosique... !!)

La littérature est gnostique ! Elle gagne quand elle perd !

Millet, Tillinac, Michon, Camus et les leurs (tous ces sectaires clubs-des-amis-de / qui se désunissent pour mieux dire les mêmes choses -eux qui se disent pourtant archiprêtres de l'anti-individualisme...) ont raison, la « civilisation » française (est) fut la plus littéraire ! Une autre lui tint longtemps la corde : la russe ! Dans les deux cas une gnose décréative fut mise en branle. Dans l'un des deux, pourtant, quelque chose subsista et fit la différence... mais c'est là le terme, et l'objet d'une autre notule à digressions...


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