Magazine Culture
Par Julie Cadilhac-Bscnews.fr / Au printemps, saison où la nature fertile renaît et exécute une parade de couleurs optimistes, voir s'éteindre de beaux projets d'édition assombrit considérablement notre enthousiasme culturel. La maison Anna Chanel, qui produisait des albums jeunesse superbes autant par leur ambition à confronter les enfants à des univers graphiques diversifiés qu'à choisir des problématiques permettant un dialogue entre les adultes et les petits, vient d'annoncer l'arrêt définitif de son activité. Nous regretterons amèrement de ne plus avoir le plaisir de chroniquer les projets pétillants et intelligents auxquels Nathalie et Philippe Collon permettaient de faire éclore avec de nombreux auteurs et illustrateurs de grand talent. Dire adieu à une équipe artistique, c'est , d'un dernier élan du clavier, saluer les personnages dont ils étaient les démiurges: Fumus, le dragon travailleur, Tessie la couturière aventurière, Lilie couleurs, Emma danseuse d'étoiles et tant d'autres espiègles compagnons...
Dans un contexte économique de crise, ce n'est un secret pour personne que la culture est la première cible à laquelle on applique des restrictions budgétaires draconiennes. Sous prétexte que le la culture ne soigne pas, ne nourrit pas, ne construit pas et SURTOUT qu'elle est l'apanage d'êtres inutiles et lunaires qui n'apportent que peu à notre société de consommation, elle n'est jamais considérée comme une priorité. Portés pourtant par des activistes courageux qui croient justement que la culture soigne, nourrit et construit l'avenir, elle reste un des derniers bastions qui résistent à la métamorphose de l'idéal humain en un hybride arriviste et insipide mi-porte-feuille, mi-gadget électronique.
La diversité et la liberté deviennent des bastions culturels de plus en plus désertés tellement il est périlleux d'avoir l'audace de se lancer en 2011 dans un projet culturel indépendant . Faire émerger un projet culturel aujourd'hui, c'est davantage se vendre que créer. On comprend que l'écoeurement ait saisi beaucoup d'idéalistes qui s'y sont risqués et qui doivent renoncer, faute d'aides dans ce monde en crise, à leurs envies de partager avec le public leur passion.
Si la prolifération annuelle d'ouvrages peut justifier en partie les difficultés à survivre dans la jungle du monde de l'édition, il faut peut-être s'interroger aussi sur la démarche du lecteur contemporain.... Y-a-t-il une curiosité manifeste à découvrir de nouveaux univers ou une certaine passivité envahit les rangs qui fait le gain des grands groupes? Quel avenir pour le livre s'il n'y a plus d'avenir économique que pour des ouvrages mercantiles?
Non, assurément, il n'y a rien de blâmable à lire des best-sellers et à aimer le travail d'artistes reconnus et qui publient dans une grande maison mais céder systématiquement à la facilité des têtes de gondoles en librairie, c'est contribuer à appauvrir notre patrimoine culturel. Nous sommes ce que nous lisons. Si nous lisons tous les mêmes livres, nous nous formatons consciemment et devenons des moutons culturels. Les Editions Anna Chanel étaient de ceux qui contribuaient à prôner toute la richesse de la diversité.