Combien peut-on transmettre grâce à l'assurance-vie ? Tout
dépend combien on donne et surtout à qui. Si c'est à ses héritiers légaux, la
voie est libre. Sinon, et surtout s'il s'agit de grosses sommes, attention aux
contentieux.
Placer l'essentiel de son patrimoine en assurance-vie ? Les raisons ne manquent pas. Même si la loi TEPA, adoptée en août 2007, a dans certains cas, limité l'intérêt fiscal de l'assurance-vie, elle n'a pas écorné ses avantages financiers et surtout juridiques. Elle conserve en effet son statut d'exception, qui la met " hors succession " : les sommes qui y sont inscrites ne sont pas considérées comme faisant partie du patrimoine du défunt, elles n'entrent donc pas dans sa succession, pas davantage qu'elles ne sont à partager entre les héritiers. Elles sont directement versées aux bénéficiaires désignés, sans passer par la case " succession ", ce qui permet de transmettre à des non héritiers ou de donner davantage que ce à quoi ils ont normalement droit aux héritiers légaux ou au conjoint survivant.
Pas de montant forfaitaire prédéfini
Alors, combien peut-on placer sur son contrat d'assurance-vie, sans être inquiété ? 20% de son patrimoine, 30%, 50%, voire plus ? Une chose est sûre, il n'existe pas de montant forfaitaire prédéfini. Ni la loi, ni les tribunaux, ni les ministres de l'Economie successifs qui sont pourtant régulièrement interrogés sur ce thème par le biais des questions au gouvernement, n'ont avancé de montant précis. Chaque cas est unique, disent les professionnels. Tout dépend de la situation de famille et de fortune du souscripteur.
La réserve des enfants n'est pas inviolable
" Le contrat d'assurance-vie permet de gratifier au-delà de la quotité disponible ordinaire ou spéciale entre époux ", fait valoir, maître Martine Blanck-Dap, avocat associé chez Lefèvre Pelletier & associés. " L'assurance-vie étant hors succession, les règles de la réserve ou de la quotité disponible ne s'appliquent pas. Il est possible par exemple d'amputer une part de la réserve des enfants pour la donner via l'assurance-vie au conjoint survivant, qui, du coup, recevra davantage que ce à quoi il aurait normalement eu droit. Avec une limite cependant, celle de la règle dite des primes manifestement exagérées ", confirme Arlette Darmon, notaire associé au groupe Monassier. Pour éviter les abus et le contournement systématique des règles successorales, le législateur a en effet prévu des garde-fous : les sommes versées sur le contrat d'assurance-vie ne doivent pas être " manifestement exagérées " au regard des facultés du souscripteur, sinon, elles peuvent être réintégrées à la succession. Cette règle ne s'applique pas automatiquement : ce sont les juges qui décident du caractère exagéré ou non des primes versées. Pour obtenir la réintégration des primes dans la succession, les héritiers qui se sentiraient lésés, doivent donc saisir la justice.
En l'absence d'héritier réservataire
Si le souscripteur n'a ni enfant ni conjoint, et donc pas d'héritier réservataire susceptible de contester la répartition du patrimoine suite au décès, il peut placer tout son patrimoine sur un ou plusieurs contrats d'assurance-vie et désigner qui bon lui semble comme bénéficiaire. Il n'y a aucun risque juridique, puisqu'en l'absence d'héritiers réservataires, personne ne pourra critiquer ses choix et réclamer l'argent versé au(x) bénéficiaire(s).
Quand les bénéficiaires sont les héritiers légaux ?
Que les enfants ou le conjoint reçoivent leur dû via la succession du défunt ou via l'assurance-vie, est indifférent, à condition, bien sûr, qu'ils ne soient pas floués au passage. " Quand il n'y a pas d'intérêt à agir, il n'y a pas d'action en justice. Aussi, quand on utilise l'assurance-vie pour avantager ses héritiers légaux, les risques juridiques de contestation sont inexistants ", fait valoir Philippe Baillot, directeur de Bred Banque Privée. " Si les bénéficiaires désignés correspondent stricto sensu aux héritiers légaux, avec une répartition des capitaux décès correspondant à la proportion de leur droits dans la succession, il n'y a alors pas de limite au plan civil, quant au montant des sommes pouvant être investies en assurance vie ", confirme Gaultier Lauriau, directeur de la cellule patrimoniale chez Aviva France. La clause bénéficiaire à privilégier pour éviter les problèmes ? " Mes héritiers selon dévolution successorale ".
Dans cette configuration et sur le plan strictement fiscal, mieux vaut cependant, quand le patrimoine à transmettre est conséquent, en laisser une partie hors assurance-vie, pour que les enfants puissent cumuler les abattements : celui de 152.500 euros de l'assurance-vie et celui de 151.950 euros du droit des successions.
Des risques de contestation
La prudence s'impose dès lors que l'assuré désigne comme bénéficiaire un tiers, soit tous ses héritiers réservataires, mais avec des parts qui ne correspondent pas à la répartition successorale, soit encore l'un d'entre eux seulement. Des conflits familiaux peuvent alors apparaître, et ceux qui se sentent lésés peuvent être tentés de porter l'affaire devant les tribunaux.
Dans ce cas, les juges vont vérifier que le souscripteur n'a pas donné davantage que ce qu'il aurait dû via l'assurance-vie. Ils vont appliquer la règle évoquée plus haut des " primes manifestement exagérées ", qui s'apprécie, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, " au moment du versement des sommes, au regard de l'âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur ", rapporte Philippe Baillot.
Ainsi des primes représentant le quart d'un patrimoine mobilier ont été considérées comme non exagérées. Idem dans une affaire où elles atteignaient 900.000 francs, la défunte disposant de valeurs mobilières d'un montant de 1.200.000 francs, d'un mobilier estimé à 336.000 francs, de biens immobiliers évalués à 500.000 francs et d'une retraite mensuelle de 11.000 francs. Plus récemment, la Cour de cassation a décidé qu'une prime représentant 73% du patrimoine disponible du défunt n'était pas exagérée.
Les juges peuvent aussi se déterminer en fonction de l'âge de l'assuré au moment du versement. Ils ont par exemple retenu que " l'utilité d'un tel contrat pour une personne âgée de 91 ans au moment de sa souscription, s'agissant d'un placement destiné à être optimisé en huit ans, n'était toutefois que partielle au regard de l'importance des primes versées " et demandé la réintégration d'une partie de la prime dans la succession.
Dans toutes ces affaires, les héritiers directs avaient saisi la justice, s'estimant lésés parce l'assurance revenait soit à des tiers, soit à des associations, soit à quelque uns seulement d'entre eux (voir encadré). A bon entendeur...
Source www.lesechos.fr