Soyons sérieux, pour une fois.... L'autre jour, en voguant de blog en blog, je suis tombée sur un article me renvoyant vers un lien, celui des "Filles des 343 salopes". Tout à coup, je me suis sentie propulsée des années en arrière ("Retour dans le passé"). Je me suis sentie revivre...Elles reviennent, elles sont toujours là plus vivantes et déterminées que jamais. Qui? Les féministes, pardi! Moi qui croyais que, les droits des femmes étant acquis une fois pour toutes, le féminisme n'avait plus lieu d'être. Quelle douce illusion et surtout, quelle erreur! Je me sens bien démunie devant ma mature innocence. Il semble qu'un droit essentiel, le droit à l'avortement, soit entrain de vaciller, ce droit légitime qui permet aux femmes de juger si une grossesse est désirée ou non. Certains leur font croire que si elles avortent, elles vivront un drame dont jamais elles ne se remettront. Alors, les filles des 343 salopes ont pris les choses en mains et se sont mobilisées pour créer le collectif: "IVG, je vais bien, merci". Sur leur site, les femmes ayant avorté sont invitées à témoigner, si elles le désirent, et à crier haut et fort qu'elles vont bien, merci pour elles. Oui mais c'est quoi ces filles? De quelle planète sortent-elles ces 343 salopes? Retour dans le passé: mai 68, des militantes féministes se faufilent parmi les étudiants et manifestent dans les rues de Paris et dans d'autres villes européennes. Elles revendiquent l'égalité des sexes et surtout la légalisation de l'avortement pour mettre fin aux nombreuses interruptions volontaires de grossesses pratiquées dans des conditions misérables, indignes et en totale clandestinité puisque, à l'époque, la loi stipule que l'avortement est un crime. Le mouvement est en route et ne s'arrêtera pas. Sur l'initiative de Jean Moreau de la rédaction du Nouvel Observateur, Simone de Beauvoir ouvre la voie et préface un manifeste de ces lignes: "Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre". Ce texte est suivi de 343 signatures de personnalités qui avouent avoir avorté. Il faut se replacer dans le contexte historique pour mesurer à quel point cet aveu pouvait être lourd de conséquences. Ces femmes étaient passibles de poursuites judiciaires et il fallait avoir un sacré cran pour signer ce manifeste qui a provoqué un tollé général mais nous, les femmes, on respirait: la loi allait changer, bientôt il n'y aurait plus de voyages en Hollande, en Angleterre ou en Suisse, là où l'avortement était déjà légalisé, plus de visites chez les faiseuses d'anges, plus de tuyau de plastique à s'introduire dans l'utérus pour provoquer une fausse-couche comme dans le film "Noces rebelles" lorsque Kate Winslet, effarée, regarde les taches de sang qui imprègnent la moquette immaculée de son living-room. Il faut avoir le courage de voir et de revoir cette scène pour comprendre ce que les femmes ont enduré et endurent encore dans certains pays. C'est au dessinateur Cabu, qui soutenait le manifeste, que celui-ci doit son surnom de "Manifeste des 343 salopes", par dérision face aux opposants, le dessin ayant paru dans le journal satirique "Charlie Hebdo" avec, en couverture, la mention "Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste de l'avortement? C'était pour la France!" (Source: "L'histoire secrète du manifeste des 343 salopes" Sophie des Deserts). Les médecins qui pratiquaient des avortements clandestins, en dépit de la loi et qui risquaient autant sinon plus ont également soutenu les féministes. Et le mouvement ne s'est pas arrêté....L'avocate et féministe Gisèle Halimi fonde avec Simone de Beauvoir et Jean Rostand le mouvement féministe "Choisir". Elle fut la première juriste à défendre, au retentissant procès de Bobigny en 1972, une mineure accusée de s'être fait avortée après un viol. Relaxée: une première! En 1974, Simone Veil, alors ministre de la santé sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, se lance dans la bataille, combat qui lui vaut les menaces de l'extrème-droite ainsi que de la droite traditionnelle. Au Parlement, elle est seule contre tous, seule face à un auditoire exclusivement masculin et ricaneur. Elle affronte l'humiliation, les propos antisémites, les injures et pire encore. Grâce à sa tenacité, son énergie, sa volonté de mener un combat juste, elle obtient, en décembre 1974, la légalisation de l'avortement. Merci Madame..... C'est grâce à la lutte de ces femmes, qui se sont mises en danger, que d'autres ont pu, peuvent, pourront franchir la porte des planning familiaux, des établissements hospitaliers pratiquant l'IVG, la tête haute sans éprouver de honte ni de culpabilité. Laissez-leur ce droit. Peux-t-on en toute connaissance de cause bafouer une liberté si chèrement acquise?