Dans le cadre de la Semaine contre les discriminations, le Journal de Saône-et-Loire a interviewé Christine Peuch, énergique et épatante interprète en langue des signes française avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler.
Voici l’article publié le 15 Avril 2011 :
« Cette langue m’a envoûtée »
Christine Peuch n’est pas sourde, mais elle a entendu il y a trente ans l’appel de la langue des signes. Elle est devenue interprète et parle avec passion de son métier.
Comment avez-vous découvert la langue des signes française (LSF) ?
J’avais 20 ans et j’encadrais des enfants lors d’un séjour à la montagne. Dans notre chalet, il y avait des enfants sourds. J’ai été captivée par leur façon de communiquer.
Pourquoi ?
Parce que c’est une langue extraordinaire, incroyablement riche et magique ! Elle demande une communication dans l’espace. Tout le corps doit bouger pour que ça marche. J’ai été envoûtée.
Comment êtes-vous devenu interprète ?
Dès ma rencontre avec la LSF, dans les années 1980, je me suis immergée totalement. J’ai pris des cours à l’International visual theatre, créé en 1976 à Paris, et à l’Institut national des jeunes sourds (INJS). J’ai intégré la première promotion d’interprètes-traducteurs à la fin des années 1980. C’était important d’avoir un vrai statut. Notre métier est exigeant et demande 5 ans d’étude. J’ai vraiment assisté à la renaissance de la LSF à cette période j’ai rencontré des gens extraordinaires.
En quoi consiste votre travail ?
Je fais énormément de choses différentes. C’est passionnant. J’ai traduit des discours de Lady Di, François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy pendant sa campagne. Je suis experte pour les tribunaux. Je peux aussi être sollicitée pour un rendez-vous chez un avocat ou pour un cours de mathématique dans une école.
Où en est la situation française pour les sourds ?
Nous sommes en retard ! Pour un jeune qui voudrait étudier en Bourgogne, c’est le parcours du combattant. Nous avions beaucoup d’avance avec la création, à la fin du XVIII e siècle, de l’INJS. Tout s’est bloqué un siècle plus tard avec l’interdiction de la LSF en Europe et l’obligation d’éduquer les enfants sourds par l’oralisation. Il fallait intégrer la norme. Ensuite, les Américains, qui s’étaient inspirés de nous au tout début, sont revenus faire avancer les choses en fondant le Visual theatre, dirigé aujourd’hui par Emmanuelle Laborit.
Et aujourd’hui ?
La loi Fabius de 1991 a été une révolution. Les familles ont pu offrir une éducation bilingue à leurs enfants. Et depuis 2005, les sourds peuvent prétendre à l’autonomie grâce à la Prestation de compensation du handicap qui sert à rémunérer un interprète pour les actes de la vie privée. Elle devrait être plus utilisée. J’ai des collègues qui n’ont pas de travail ! Il faut créer du besoin pour qu’il y ait plus d’interprètes. En Saône-et-Loire, il n’y en a qu’un, qui travaille pour l’association Ferdinand Berthier à Louhans. Dans les pays nordiques, il y a des milliers d’interprètes.
Qu’en est-il des institutions publiques ?
Les initiatives porteuses sont positives mais restent trop ponctuelles. Et les sourds ont tellement l’habitude que rien ne soit fait pour eux qu’ils ne se déplacent pas pour en profiter. Mais ça avance. Le conseil régional de Bourgogne traduit en LSF depuis l’an dernier les assemblées plénières. Il faut développer l’accessibilité pour faire des sourds des citoyens à part entière.
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