Poursuivons la thématique politique initiée hier avec la review de President. Dans l'exploration des moeurs présidentielles, délaissons cette fois la fiction moderne au profit d'une reconstitution historique, avec une mini-série qui aura considérablement fait parler d'elle au cours des derniers mois : The Kennedys. Tout a déjà été écrit sur les pressions et autres péripéties plus ou moins rocambolesques qui auront accompagné la pénible mise au monde de cette fiction, refusée au terme de sa production par History Channel et qui aura finalement trouvé un asile de diffusion sur une obscure chaîne câblée américaine. En France, c'est France 3 qui devrait proposer cette fiction.
Fustigée de manière anticipée en raison d'une partialité narrative supposée, à défaut de se révéler réellement "sulfureuse" (même si certains éclairages ou priorités pourront être discutés), The Kennedys enfonce surtout de nombreuses portes ouvertes, sans jamais réussir à immerger le téléspectateur dans les problématiques pourtant si fortes des années 60 américaines. Ce n'est pas sur sa hiérarchisation des angles d'attaque, mais c'est surtout sur des problèmes qualitatifs plus structurels, accentués par l'écueil d'une histoire trop connue, que la mini-série s'échoue. On finit ainsi ces huit épisodes avec une sacrée dose de frustration (et ce, alors même qu'il était a priori difficile de trouver meilleur public que moi pour ce sujet précis).
The Kennedys se propose de nous faire traverser une décennie de turbulences et de bouleversements : celle des années 60, et plus particulièrement les trois années de la présidence Kennedy. De la plus symbolique des manières, elle débute donc en novembre 1960, le jour même de l'élection présidentielle. Refusant cependant de s'astreindre à une narration chronologique strictement linéaire, cela lui permet de recourir à de fréquents flash-backs afin d'installer les grands enjeux et d'explorer plus avant différentes thématiques fondatrices et personnelles à la famille qu'elle va suivre.
Ainsi dès le premier épisode, la mini-série nous fait remonter à la genèse immédiate de cette élection de 1960 qui trouve sa source dans les années 30, évoquant le suicide politique de l'ambassadeur Joe Kennedy, représentant des Etats-Unis à Londres, qui commit l'erreur de jouer la carte de l'apaisement face à l'Allemagne nazie, en passant par le décès de Joe Jr, fils aîné dans lequel son père avait transposé toutes ses ambitions. Tout au long de la mini-série, on retrouvera ce souci d'essayer d'expliquer le présent qui nous est relaté avec des scènes clés du passé. Le dernier épisode se termine avec la décennie en 1969. Plus précisément, c'est l'assassinat de Bobby à Los Angeles en juin 1968 qui referme le dernier chapitre, dans ce récit tumultueux d'une décennie d'intenses luttes et tractations politiques qui se seront écrites dans le sang.
Les problèmes dont souffre The Kennedys sont multiples, même s'il faut noter que, dans sa seconde moitié, la mini-série parviendra par éclipse à s'affirmer un peu plus, après un pilote qui concentre de façon très indigeste tous les maux structurels qui vont peser sur cette fiction. Le premier aspect qui va laisser beaucoup de regrets au téléspectateur réside probablement dans son incapacité à prendre la mesure d'une Histoire qui devrait pourtant être son ambition première. Le sujet ne manque a priori ni d'évènements marquants, ni de thématiques fortes, aussi bien au niveau interne, avec le combat pour les droits civiques, que sur un plan international, en pleine Guerre Froide, de la problématique cubaine à la construction du mur de Berlin. Il est même possible de faire un crochet pour flirter avec les paillettes d'Hollywood (ah, Marylin). Si on occulte l'enjeu de la sélection préalable des informations qui est une problématique plus politique, il reste cependant une question majeure : comment est-il possible à partir d'un tel matériau de base de produire un résultat aussi fade et plat ?
The Kennedys propose en effet un récit creux, didactique à l'excès, succombant à une forme d'académisme caricatural. Sa narration trop souvent maladroite donne l'impression de feuilleter précipitemment les pages d'un livre d'Histoire, dont le contenu est restitué d'une manière abrégée et récitée qui apparaît tout sauf naturel. La mini-série ne parvient que trop rarement à insuffler le moindre souffle à un récit dans l'ensemble déshumanisé. On cherchera en vain une âme à cette fiction. Les dialogues s'enchaînent et les évènements se déroulent comme derrière une vitre glacée, sans que le téléspectateur ne se sente jamais impliqué par les enjeux. Peu importe que l'on frôle la Troisième Guerre Mondiale ou que l'on aborde la ségrégation, nous restons des observateurs passifs et extérieurs. Certes, l'Histoire est ici très connue ; d'où une prévisibilité - et peut-être une anticipation - sur laquelle The Kennedys bute. Mais il faut assumer sa volonté d'exploiter un sujet tant traité et être en mesure de proposer, à défaut d'une réelle valeur ajoutée, quelque chose de suffisamment vivant et prenant pour retenir l'attention. Or la mini-série donne surtout le sentiment d'enfoncer des portes déjà grandes ouvertes.
Cette impression de froideur et de fadeur générales s'explique sans doute en partie par le manque de subtilité chronique dont souffre une écriture vraiment malhabile. Ce dernier point faible va d'ailleurs plomber The Kennedys au-delà de sa difficulté à se saisir de l'Histoire pourtant tourbillonnante de la décennie. En effet, a priori, l'angle d'attaque choisi n'était pas inintéressant. Sur un plan purement humain, afin de servir de fil conducteur à la fiction, le choix d'explorer les rapports au pouvoir à travers le prisme familial, avec ce report des ambitions personnelles de Joe sur ses fils, mais aussi l'équilibre auquel ces derniers parviennent mêlant professionnel et personnel, cela avait un potentiel. Encore eut-il fallu traiter cet aspect avec un minimum de finesse. Mais les scénaristes de The Kennedys, n'ayant manifestement pas vraiment foi dans leurs téléspectateurs, se sentiront toujours obligés de tout grossir à l'excès dans leur façon de mettre en scène les rapports entre les différents protagonistes.
Qu'il s'agisse d'expliquer leurs motivations ou d'appuyer sur leurs traits de caractère, la mini-série verse surtout dans une caricature qui manque de justesse et de crédibilité. Certains aspects du pilote sont, par exemple, assez symptomatiques, avec cette insistance très lourde à rappeler ce que Joe Jr représentait pour son père, les fils cadets n'étant que des substituts imparfaits. De manière générale, c'est tout le façonnement des personnages qui serait sans doute à revoir. Manquant d'ambivalence et de profondeur, la moindre nuance étant tellement mise en relief qu'elle échoue à créer une réelle ambiguïté dans des personnalités qui restent étonnamment unidimensionnelles, alors même que le potentiel, parfois effleuré, est flagrant. C'est non seulement frustrant, mais cela empêche aussi les personnages de vraiment s'installer, car ils peinent à se détacher des icônes historiques auxquels notre esprit les associe automatiquement.
De plus, ce flirt avec une forme d'amateurisme un peu passéiste ou naïf se retrouve sur la forme. La réalisation manque d'ambitions (ou de moyens), restant dans un carcan très traditionnel, insatisfaisant, qui ne permet pas de capter le souffle d'une reconstitution d'époque. L'ensemble est assez figé. Le recours à quelques images d'archives ne se fait pas de façon très naturelle ; et l'opportunité de l'incrustation de chiffre rouge pour indiquer la date, lorsque la narration change d'année, m'a laissée franchement dubitative. The Kennedys s'avère donc également assez décevante sur la forme, par rapport aux prétentions qu'elle avait pu afficher.
Enfin, il faut évoquer brièvement le casting, ce dernier ne pouvant sauver la mini-série des maux dont elle souffre. Le scénario, et notamment les dialogues, n'offre pas une base très solide aux acteurs pour s'exprimer. Aucune performance ne restera dans les annales. Ceux qui parviennent cependant à tirer à l'occasion leur épingle du jeu, au sein du casting principal, sont Tom Wilkinson (John Adams) et Barry Pepper. Greg Kinnear reste trop souvent cantonné dans un jeu stéréotypé, même s'il gagne en maîtrise au fur et à mesure que les épisodes passent. Quant à Katie Holmes (Dawson), j'avoue ne pas trop savoir quoi en dire. Elle alterne des scènes où elle paraît presque capter cette forme de détachement qui sied à son personnage et des passages où elle semble complètement absente devant la caméra. Dans quelle mesure le scénario et la réalisation sont responsables de ce problème de direction, il y a sans doute des torts partagés ; peut-être aussi chacun avait-il trop en tête l'image des protagonistes qu'ils étaient sensés incarner.
Bilan : En dépit de tous ses maux, si The Kennedys parvient globalement à retenir l'attention du téléspectateur tout au long de ses huit épisodes, elle ne le doit pas à la qualité fluctuante d'une narration excessivement académique manquant cruellement de subtilité, ni aux performances inégales des acteurs, mais bien uniquement au concept qui lui sert de base. C'est dans l'éclairage proposé de la présidence Kennedy, mais aussi, sur un plan plus intime, les rapports entre le patriarche et ses fils, que réside l'intérêt de cette mini-série. Cela suffit à rendre l'ensemble visionnable. Mais n'apportant aucune valeur ajoutée aux récits déjà existants de cette période, et plombée par ses maladresses et son incapacité à réellement s'approprier l'Histoire, The Kennedys reste une fiction très dispensable.
Je serais fort tentée de vous conseiller de passer votre chemin sans regret. A réserver aux amateurs du genre.
NOTE : 4,25/10
La bande-annonce de la mini-série :