En ce temps-là, celui du début des années 60, la télévision était en noir et blanc. Les stars du sport français étaient les cyclistes Jacques Anquetil et Raymond Poulidor qui, par leurs exploits, donnaient au public un grand intérêt pour cet sport. S’ajoutaient à ces deux phénomènes le joueur de football Raymond Kopa qui - après avoir disputé avec le Stade de Reims la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions - évoluait au prestigieux Real de Madrid aux côtés d’un autre phénomène Alberto Di Stefano. Il y avait encore l’athlète Michel Jazy qui, aux beaux jours, battait pour son club, le C.A.Montreuil, des records du monde au cours de réunions organisées pour lui devant un stade Charléty comble. Il y avait enfin la nageuse Christine Caron qui, à quinze ans, parcourait le monde pour aller défier une à une toutes ses principales rivales. La presse sportive était florissante, la place du sport dans les quotidiens était abondante. Personne n’ignorait les moindres faits et gestes des cinq vedettes du sport national.
Bien des années plus tard, Michel Jazy, après avoir été cadre chez Adidas, hume quotidiennement le bon air des Landes; Raymond Kopa se partage entre la Corse et sa bonne ville d’Angers; Christine Caron, grand-mère heureuse, dirige la section natation de Lagardère Racing et est la cheville ouvrière de la réunion nautique de haut niveau organisée à Paris au mois de juin. Jacques Anquetil repose au cimetière de Quincampoix, dans sa Normandie natale, près de Rouen.
Seul Raymond Poulidor est resté en contact avec le public. Car Raymond, qui fête ce 15 avril son 75ème anniversaire, a conservé intacte la popularité (la poupoularité, selon le mot du journaliste Emile Besson) qui fut la sienne.
Dès la fin de sa carrière Raymond Poulidor a continué de sillonner la France pour conseiller les acheteurs de sa gamme de vélos. Depuis peu, il a remplacé cette activité par celle de signatures des trois derniers livres qu’il a co-écrit (Poulidor par Poulidor, Poulidor intime et Le Poulidor *). Le public est toujours aussi admiratif. Poulidor est toujours aussi disponible aussi bien pour une photo, donner un conseil ou discuter de l’actualité du cyclisme.
Ce public, qui réunit tous les âges et toutes les couches sociales, a toujours eu beaucoup d’estime pour Raymond Poulidor. C’est peut-être cette affection qui a fait que le nombre de victoires de notre bon Poulidor soit resté au chiffre respectable de 189. Le public était heureux même si Raymond ne portait pas, ne serait-ce qu’une journée, le maillot jaune du Tour.
Raymond Poulidor, a trop vouloir contenter son public, n’a pas été le gagneur qu’il aurait pu être, mais jamais il n’a trompé son public même au plus fort de son combat contre Jacques Anquetil. Avec ces deux coureurs-là, le public ne fut jamais déçu. En toutes occasions, ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes.
Ce respect du public est une des grandes caractéristiques de la vie professionnelle de Raymond Poulidor de même que sa fidélité. Fidélité envers sa marque : il a appartenu à l’équipe Mercier du premier au dernier jour de son activité professionnelle, soit du 1er janvier 1960 au 25 décembre 1977. Jamais, il n’a donné suite aux multiples propositions dont il fut l’objet. Fidélité envers ses directeurs sportifs. Il n’en a connu que deux en dix-sept ans de carrière : Antonin Magne et Louis Caput. Fidélité envers son manager, Roger Piel, qui fut le seul à gérer sa carrière.
Fidélité enfin en amitié. Dès sa carrière terminée, Jacques Anquetil, est devenu le grand ami de Raymond Poulidor. Actuellement, son amitié avec Eddy Merckx, née dans les courses, croît d’année en année. Si Eddy Merckx est devenu le meilleur joueur de belote de toute la Belgique c’est grâce à Raymond qui, au cours de longues soirées d’hiver, lui a appris les subtilités de ce jeu de cartes.
Outre la signature des livres, Raymond Poulidor est très demandé. Il est un directeur de course avisé sur plusieurs épreuves et surtout continue à être comme lorsqu’il était coureur, une figure incontournable du Tour de France. Employé par le Crédit Lyonnais, le partenaire du maillot jaune, il arbore avec fierté une chemisette jaune aux couleurs de son employeur.
Au village-départ, on apprécie sa convivialité, sa disponibilité. En cours de route, lorsqu’il s’arrête dans un village, c’est aussitôt l’émeute que les forces de l’ordre s’efforcent avec gentillesse de canaliser. Le soir, devant des convives admiratifs, il raconte des histoires de coureurs avec grand talent sachant mêler l’humour et le tragique pour mieux faire comprendre les difficultés du sport cycliste. Il sait faire vivre le cyclisme.
C’est cet homme-là qui fête aujourd’hui ses 75 ans dans l’allégresse. Dans quelques jours, ses amis de Saint-Léonard-de-Noblat, son village près de Limoges, dresseront une statue à son effigie. Pour mieux le remercier, lui le fils d’humbles paysans, d’avoir été le porte-drapeau de leur région et de leur avoir procuré tant de bonheur en suivant ses exploits.
Jean-Paul
* Editions Jacob-Duvernet