Par Nicolas Vidal - BSCNEWS.FR / Lire Pierre Jourde, c’est à la fois aimer à se faire peur et se délecter d’une voix qui dissone de ce qui se dit et de ce qu’il est de bon ton de penser partout. Pierre Jourde pourfend le consensus mou utilisé pour faire bien. Pour faire comme tout le monde. Pour ne pas froisser et pour rester en place.
Le dernier livre de Pierre Jourde, «C’est la culture qu’on assassine» aux Editions Balland est un ouvrage effrayant, pessimiste, lucide mais surtout brillant. C’est à la fois un pamphlet, un manifeste, une diatribe, une leçon et une série de chroniques culturelles. Tous les textes sont tirés de son blog «Confitures de culture» publiés sur le site du nouvelobs.com que je ne saurais trop vous recommander de suivre régulièrement. Où certains l’accusent d’amertume et d’anti-conformisme intéressé, moi, j’y vois une certaine forme de courage à dénoncer une ramollissement très inquiétant de la culture au profit d’une consommation culturelle de masse, ce qui est totalement différent.
Nous noterons une collusion pertinente entre Pierre Jourde et Jérôme Garcin qui ne fait que confirmer que ce livre ne peut être que sérieux dans son dessein et dans sa proposition éditoriale. C’est pour toute ces raisons que j’ai proposé avec entrain à Pierre Jourde de nous accorder un large entretien à ce propos.
Pourquoi avoir choisi d'écrire un recueil de chroniques et non pas un essai ?
J’aime bien varier les genres. J’ai pratiqué l’essai, le roman, alors pourquoi pas les chroniques ? Ces textes sont à l’origine des articles ou des « posts » tirés de mon blog sur le site Bibliobs. Les rassembler en volume, dans un ordre thématique, permettait de mieux apercevoir la cohérence de la démarche, et d’en prolonger l’existence sous une autre forme. En outre, la chronique implique une manière d’urgence, de vivacité qu’il est plus difficile de conserver dans un essai.
Dès les premières pages, vous écrivez " Pour la majorité de nos concitoyens, la culture, c'est la télévision". Plus loin, vous ajoutez "La télévision est devenue l'empire de la connerie triomphante et fière d'elle même". Peut-on considérer que la télévision est grandement coupable de l'assassinat de la culture ?
Bien sûr, il y a des bonnes choses, mais il suffit de regarder des émissions de variété en prime time, des jeux, des divertissements, des reality show pour être proprement terrorisé. Est-cela que l’on fait des hommes ? La bêtise pure a-t-elle jamais à ce point été mise en scène, valorisée, s’est-elle jamais autant exhibée, fière et contente d’elle ? On dira que les gens ont le choix des programmes. C’est vrai. Reste qu’une certaine quantité d’images diffusées à haute dose touche fatalement les esprits, et fatalement les habitue à des valeurs, à des représentations. Où sont les idées à la télévision ? Quelle parole peut s’y faire entendre un peu sérieusement, c’est-à-dire avec du temps ? Lorsqu’il est question de culture, on parle de livres, pas de littérature ; d’événements, pas de textes.
D'après vous, au coeur de cette ère de l'abrutissement généralisé, la critique est devenue une entité dont il faut se méfier. Dans cette optique, quel avenir peut alors espérer pour la critique littéraire notamment ?
Aucune époque n’a autant déconsidéré la critique littéraire et artistique. Il faut être gentil, ne faire que de la promotion ou de l’éloge. Autrement dit, lorsque tous les critiques et tous les médias vantent une œuvre, si vous vous avisez de résister en suggérant qu’elle ne mérite pas tant d’honneurs, si vous estimez devoir avertir le public qu’il lui faudrait se méfier de ce consensus (ou de ce bourrage de crâne), vous êtes suspect. Pourquoi fait-il ça ? Il doit y avoir des raisons cachées. Les réponses sont toutes trouvées : c’est un jaloux, un raté, un aigri, un réac qui n’aime pas l’art moderne. L’exercice du discernement est exclu : il faut être gentil avec les artistes. Ce qu’ils font est bon par nature. Peut-être sommes-nous en train de sortir de cette glaciation de la critique, grâce en partie à internet, et à quelques francs-tireurs. Mais cela demande des efforts constants. Je ne suis pas pessimiste. La critique va reprendre son souffle, hors des « quotidiens de révérence », comme disait Muray.
Vous soulevez dans votre avant-propos une idée fondamentale déjà évoquée par Alain Finkielkraut dans "La défaite de la pensée" en 1987, "Dans le grand public s'est en outre répandue l'idée qu'il fallait tout respecter, les oeuvres, les artistes, les religions, les choix culturels..." Pourquoi cette idée prend elle autant d'ampleur aujourd'hui et tend à niveler toutes les valeurs culturelles ?
Parce que nous vivons une véritable libanisation sociale et culturelle, par terreur panique d’offenser quiconque. Le respect de l’autre est, certes, une valeur essentielle. Mais, mal compris, il aboutit à : « c’est mon choix, respectez-le ». Tout produit d’une quelconque idiosyncrasie est considéré comme valable en soi, on est tenu de le respecter : je suis respectable en tant que musulman, homosexuel, supporter de foot, breton, plombier, noir, nain, artiste, et par-dessus tout en tant que moi-même. D’où une société où chacun se replie sur soi, où tout mode d’expression est de toutes façons sacré. Or, lorsque tout est positif, rien ne l’est. La vie est dialectique. La mort est l’assomption du respectable. Il me semble au contraire que respecter l’autre, c’est aussi le considérer comme assez adulte pour supporter une remise en cause. Le tout-respectable, c’est l’infantilisation de la société.
Cet ouvrage est constitué des chroniques que vous publiez sur votre blog. A ce sujet, pensez-vous que certains blogs pourraient s'affranchir de ce prêt-à-penser et pourraient jouer un rôle pour la défense de la culture ?
Il y a de tout sur internet, de l’accablant au génial. Le fouillis et la liberté. C’est cette liberté qui est importante, et qui a obligé, en effet, certains médias traditionnels à se remettre en cause.
Vous évoquez "un universel désir de stupidité" qui sommeille au fond de l'intellectuel le plus élitiste". Vous poussez l'analyse jusqu'à dire que "ce phénomène est capable de détruire lentement une société". Pouvez-vous nous en dire plus sur ce phénomène, son champ d'action et sa gravité ?
Nous sommes tous attirés, voire fascinés par la bêtise, comme on peut l’être par le mal, la souffrance, la monstruosité. Se vautrer dans l’idiotie a quelque chose de reposant. Et chacun de nous recèle sa part de bêtise. Ça n’est pas mauvais en soi. Il faut juste ne pas s’y complaire, ne pas s’y attarder trop longtemps. Le problème est qu’il est devenu difficile même de dire cela, car il y a un droit imprescriptible à être con. L’intelligence, la culture, on finit par les considérer comme des privilèges, des avantages de classe. Alors, en effet, une société qui renonce à la valeur, à tout idéal de progrès intellectuel pour ne vexer personne va vers son autodestruction.
"Tout le travail éducatif est saccagé par la bêtise médiatique. La bouffonnerie érigée en moyen d'expression". Peut-on dire à ce propos que c'est un massacre culturel bien organisé contre lequel le système éducatif est devenu totalement impuissant ?
Les choses changent un peu dans la mesure où les adolescents tendent à se détourner de la télévision en faveur d’internet, et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Reste que des centaines de milliers d’enfants sont abandonnés à la télé, plusieurs heures par jour. Elle les éduque. L’école doit lutter comme elle peut contre ça : l’agitation et le bruit permanents, le langage bas de gamme, le défilé accéléré des images, les valeurs véhiculées par cette vitrine du commerce. Jules Ferry ne lutte pas à armes égales contre Bouygues. La parole de l’école se noie dans le flot des discours insignifiants du commerce et du divertissement.
Pour vous, " la bêtise médiatique mène une guerre d'anéantissement contre la culture." Et je vous paraphrase encore tant le propos est dense " On informe les citoyens de ce qu'ils ont pensé. Ainsi les Français se regardent. Ils se réjouissent d'être tels que les journalistes leur montrent qu'ils sont. Incultes et contents. " Il y aurait donc une corrélation entre la bêtise médiatique et populaire ?
Il n’y a pas de bêtise populaire en soi, bien entendu. Mais on manque d’un effort important vers une culture populaire véritable. Ce que je veux dire par les formules que vous relevez, c’est qu’on ne cherche plus à nous faire devenir autres, à nous faire accéder à autre chose. Ce serait cela, la culture, la pédagogie : vous pouvez être autres, et il y a autre chose à connaître. De plus en plus, les médias considèrent comme payant de n’être plus que des miroirs : il faut montrer aux gens ce qu’ils sont, ils seront contents. Regardez, c’est vous, soyez fiers d’être vous. Non seulement la démarche est mortifère, tue tout désir de progrès, mais cette vérité est contestable. La vérité des êtres est complexe. Les médias ont une conception simpliste et réductrice de la personne. Ils en font une caricature, et l’incitent à ressembler à cette caricature. On tourne en boucle : je vous montre qui vous êtes, vous devenez ce que je vous montre.
Vous parlez de la damnation culturelle de ceux " qui se vautrent pour l'éternité dans leur propre vide " N'est-ce pas le fruit d'une volonté de ne pas se cultiver mais plutôt de se divertir ?
Le divertissement n’est pas mauvais en soi. Il y a d’excellents divertissements populaires. Il n’y a rien d’illégitime à prendre plaisir à une bonne série télé, à un bon polar, à un dessin animé de qualité. Pour ma part, j’aime à la fois Toy story et Henry James, Les Soprano et Mallarmé, les jeux vidéos et Vermeer Ce n’est pas la question. Mais le divertissement ne devrait pas être tout. Par ailleurs, cette formule fait allusion à un texte où je compare le divertissement télévisé à l’enfer médiéval : des lieux aux couleurs violentes, où l’on se met à nu en ricanant. La damnation, c’est être content d’être soi, c’est avoir renoncé à tout dépassement de soi.
En ce qui concerne l'enseignement et plus précisément l'enseignant, vous déclarez qu'il n'exerce aucune autorité intellectuelle puisque le savoir n'est plus réellement respecté". La situation est-elle si grave pour qu'elle s'affirme désormais comme l'exacte nolonté à apprendre et à accéder au savoir ?
Je ne généraliserai pas, évidemment, mais c’est une tendance lourde. Le savoir scolaire est ringardisé aux yeux de beaucoup de collégiens. Des décennies d’idéologie de « l’enfant qui doit construire lui-même ses savoirs », de « l’enseignant qui à apprendre de l’apprenant », de culpabilisation, de misère matérielle des lieux d’enseignement et de mépris de l’état envers ses enseignants ont fatalement engendré cette situation. Le professeur est un fournisseur de notes. Parents et élèves sont des consommateurs, qui ont des exigences de consommateurs.
Selon vous, il y a des inégalités face à la culture car " les parents de la bourgeoisie ont les moyens de corriger pour leurs enfants la bouillie verbale." Pensez-vous que la diffusion de la culture de masse discrimine ainsi les plus défavorisés ?
Bien entendu, et lourdement, mais aussi le mépris démagogique de gauche envers les classes populaires. D’un côté la machine capitaliste à abrutir pour faire vendre Coca cola, de l’autre l’idée selon laquelle la culture est discriminatoire. Donc, contentons-nous d’une culture au rabais pour les pauvres. On va leur donner le bac, comme ça ils seront contents, mais leur apprendre à écrire, c’est franchement trop bourgeois…
Au passage, notons l'une des phrases les plus effrayantes de votre ouvrage. " Ce n'est pas l'intelligence qui manque, c'est la volonté de la faire fonctionner. " In fine, n'est-ce pas l'individu lui-même qui assassine la culture ?
Chacun est responsable de ce qu’il fait de lui-même. Mais jusqu’à un certain point. A la société d’offrir à chacun la possibilité de s’améliorer, de progresser. Si en revanche la société ne cesse de dévaloriser l’éducation et la culture, c’est elle qui empêche l’individu de progresser. Les seules valeurs qu’on nous propose sont des valeurs d’argent. Pour le reste, quoi ? Aux jeunes, on ne propose pas de devenir des hommes ou des citoyens, mais des salariés. L’esprit critique est suspect, la culture est discriminante et la morale est ringarde. Et si vous dénoncez la bêtise, vous êtes méprisant. D’accord. Essayons de gagner des sous, et fermons-la. Mais à ce jeu, ce sont toujours les mêmes qui gagnent, on le voit de manière éclatante ces temps derniers. J’ajoute que ce mépris de la culture est un comportement de nantis, c'est-à-dire qu’il est typique de l’Occident, et de la France. La poésie est révérée dans les pays de l’Est, les écrivains y attirent les foules. En Extrême-Orient, en Inde, en Chine, au Japon, on vénère les lettrés et l’école. Devinez qui gagne à la fin ?
Votre ouvrage est un plaidoyer passionnant pour la défense de la vie culturelle française. Qui souhaitez vous le plus sensibiliser avec celui-ci ?
Tout le monde, mais par-dessus tout l’ « l’honnête homme », l’individu qui n’est pas spécialiste, mais s’intéresse à la culture, demande du sens, des créations de qualité, et à qui l’on propose des produits universellement portés aux nues par la critique respectable. Mangez du Houellebecq, bouffez du Despentes, avalez du Angot, braves gens, l’art c’est ça, quoi d’autre ? Alors ils achètent, et puis ils se lassent, forcément, parce que ça ne nourrit pas beaucoup.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de cette idée de la libanisation cuturelle et de son corollaire de la prime à l'exotisme, à la différence et à l'authenticité ?
Le champ artistique s’est ouvert, et depuis belle lurette, à toutes sortes d’univers. Ça a commencé, au bas mot, avec le romantisme. L’art brut, le conte populaire ont été valorisés, étudiés, publiés, exposés. On a découvert de nouveaux horizons avec la littérature des femmes, la négritude, la « littérature monde », etc. Comme dans tout progrès, il y a des effets pervers, qu’il ne faut pas négliger. Je suis Noir (hypothèse. En fait, je suis Auvergnat. C’est presque pareil). Il me semble que, en tant qu’écrivain, deux tâches se proposent à moi : être noir, c'est-à-dire témoigner de ma particularité ; être homme, c'est-à-dire lier cette particularité à l’universel humain. La littérature est toute là, dans ce questionnement du singulier. La singularité est l’objet du littéraire, elle n’en est pas la valeur. Le problème commence au moment où, par paresse intellectuelle, on se contente de prendre la singularité comme valeur et comme sens : ce texte est intéressant parce que produit par un noir, une femme, etc. les écrivains noirs, femmes, homosexuels, bretons, peuvent, parce que c’est facile, en profiter. Ils peuvent aussi, s’ils sont exigeants, considérer que c’est les enfermer dans un ghetto, leur refuser l’universel (l’universel, c’est pour les mâles blancs), et au fond les mépriser sous les dehors du respect. Toute valorisation du singulier en soi est un folklore. Un folklore noir, esquimau, femme, homo, équivalent au folklore auvergnat. Une territorialisation, comme disait Deleuze, qui ne croyait pas si bien dire.
Vous proposez une vision intéressante sur la littérature populaire et vous vous indignez de cette idée très répandue une nouvelle fois : se moquer d'un écrivain populaire, c'est mépriser les milliers de gens qui le lisent et ne pas mettre en cause leur respectabilité. Pensez-vous que certains livres de littérature populaire servent le déni de culture ?
J’ai entendu maintes fois ce type de raisonnement. C’est ne pas réfléchir à ses applications possibles. Vous critiquez Berlusconi ? C’est du mépris envers les millions d’Italiens qui ont voté pour lui. Vous critiquez Cauet ? C’est du mépris pour les millions de gens qui regardent ses émissions. Je crois que c’est l’inverse : ceux qui proposent certains types de discours et d’images méprisent profondément leur public, qu’ils prennent pour un ramassis d’imbéciles. Critiquer cela, c’est au contraire estimer assez les gens pour les estimer capables d’accéder à autre chose. Je crois beaucoup à la littérature populaire comme accès à d’autres dimensions de l’art. On commence toujours par Dumas et Verne, pas par Joyce. Mais il en va de la littérature populaire comme de la littérature expérimentale : elle a ses ratages et ses réussites. Le problème commence lorsque, par l’effet de l’écrasement médiatique, on ne peut plus sortir d’une certaine littérature commercialement formatée. Marc Lévy, c’est populaire, mais c’est nul. C’est une esthétique mièvre et bêtasse. ça n’ouvre sur rien. Or, si des millions de gens le lisent, on peut peut-être suggérer : écoutez, franchement, c’est mal écrit, c’est limité, si vous commenciez plutôt par un bon Brussolo ? Un Indridasson ? Un Pennac ?
Quels sont à votre avis les raisons de la capitulation face à l'indigence littéraire d'un écrivain ? Le bourrage de crâne ? Les collusions et les copinages ? Le pouvoir ? L'influence ? La malhonnêteté intellectuelle ?
L’incapacité à lire. Je suis fasciné par ce que disent les critiques d’un livre. Lorsqu’on se contente d’en lire quelques pages oralement, ceux qui croyaient au discours critique et qui ont acheté l’ouvrage sont atterrés. Il a vraiment écrit ça ? Eh oui… On a pris l’habitude de superposer au texte une grille qui n’a rien à voir avec le texte : l’image de l’écrivain, le sujet, l’événement, la question sociale ou politique. On fourre n’importe quoi dans l’image du livre. Le texte n’est pas lu.
D'après vous, la controverse au tapage médiatique pourrait venir d'internet. Pensez-vous que des poches de résistance culturelle peuvent naître et s'amplifier depuis la toile ?
C’est déjà le cas. Il y naît des poches de bêtise et des poches d’intelligence. En tous cas, internet a poussé les journaux dans leurs retranchements prudents et bien-pensants.
Depuis la parution de " La littérature sans estomac" en 2002, quel constat dressez-vous aujourd'hui du monde de l'édition 9 ans après ?
L’édition produit toujours des centaines de bons textes, noyés dans les livres d’animateurs télé. Ça n’a guère changé. Il y a la richesse, la qualité, la diversité, mais aussi la difficulté à ce que tout cela trouve son public, parce qu’on parle toujours des trois ou quatre mêmes. Cela dit, La littérature sans estomac était une étude de textes, pas une enquête sur l’édition. Ce qui me rassure, c’est que beaucoup de « coups » éditoriaux se sont soldés par des échecs, alors que d’excellents livres (Les Bienveillantes, Trois femmes puissantes, Le cœur cousu) ont touché un très grand public. L’inverse existe aussi : le bouche à oreille engendrant d’énormes succès inattendus, mais d’ouvrages sans intérêt (Muriel Barbéry). Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est la durée de plus en plus limitée de présentation des livres en librairie. C’est comme les films : on a à peine le temps de les voir passer.
Jérôme Garcin que nous avons reçu dans le BSC NEWS MAGAZINE préface votre ouvrage. Quel est cette intimité intellectuelle que vous partagez avec lui ?
Nous sommes partis de divergences lourdes. Il fait partie des journalistes que j’ai brocardés sans ménagements. Peu après, il a publié une belle et touchante recension de Pays perdu. J’ai trouvé que c’était d’un homme élégant. Ce qu’il est. Je l’en ai remercié. Le lien s’est créé là. Nous nous voyons peu. Nous partageons beaucoup d’avis. Pas tous. C’et surtout quelqu’un de profondément honnête, généreux, ouvert. Il a le sens du beau.
Pour finir, si "la littérature donne accès à l'autre" et que de nombreux écrivains nous confrontent aux limites de l'humanité, pourquoi la culture est-elle assassinée ? N'est-ce pas un suicide plutôt ?
Ce sont les effets conjugués du post-bourdieusisme de gauche (la culture ne sert qu’à discriminer, c’est une distinction bourgeoise) et du libéralisme sauvage (la culture, ça ne rapporte rien, sauf si on entasse des piles de Musso dans les librairies). La responsabilité des critiques est également lourde, qui prétendent défendre la qualité, opposer la littérature vraie aux best sellers industriels et soutiennent des faiseurs, des faussaires du genre Haenel, Djian, Angot, etc. C’est enfin l’idée que la littérature, en effet, doit bien penser, être forcément humaniste, progressiste, du côté des sans-papiers et des minorités opprimées. La littérature n’est pas le bien. Elle a à voir avec le mal. C’est pourquoi il est de plus en plus difficile de la défendre dans une époque aussi bien-pensante et mièvre.
C'est la culture qu'on assassine
de Pierre Jourde
Editions Balland
préface de Jérôme Garcin
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