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San Miguel a eu la gentillesse de m'inviter à rédiger un court texte sur son travail réalisé dans le cadre d'une résidence d'artiste et récemment édité sous forme de portfolio. C'est ce texte que je reproduis aujourd'hui ici en vous invitant vivement à ne pas vous contenter des ces quelques jpeg et d'aller découvrir son travail sur papier.
Les affiches ici rassemblées ne doivent pas leur réunion à une cause fortuite. Elles constituent en effet les principales protagonistes d'une action offrant une presque parfaite unité de lieu comme de temps. Si l'on veut bien passer sous silence un léger pas de côté lillois, toutes ont en effet été réalisées à l'occasion d'une résidence de San Miguel sur le territoire valenciennois dans une période allant d'octobre 2010 à janvier 2011.
Cette unité factuelle ne vaudrait cependant pas d'être soulignée si elle n'avait abouti à une manière d'identité. Toutes ces affiches partagent en effet entre elles certaines caractéristiques singulières. Pour le dire autrement, de par leurs qualités intrinsèques ces travaux forment série au sein même de la production de San Miguel.
A ce titre, si l'usage du collage et du détournement est certes une de ces caractéristiques, encore convient-il de se montrer plus précis. En effet, il n'est pas rare que San Miguel - qui aime ainsi à rendre hommage à certains de ses pairs (pour dire vite : de Dada à Jacques Villeglé en passant par les situationnistes) - use de ces procédés qu'il complète cependant en retouchant allègrement les éléments picturaux empruntés. A cet égard la réelle spécificité des affiches dont il s'agit ici réside plus dans la source des documents détournés que dans le fait même du détournement. L'ensemble des collages et détournements présentés découle en effet d'un même corpus d'imprimés, en l'occurrence un lot de bandes dessinées éditées sous forme de fascicules à bas prix dans les années 1970. Chinée par l'affichiste au hasard d'une braderie alors qu'il arrivait tout juste à Valenciennes pour y débuter sa résidence, cette collection d'illustrés à sensations allait lui servir de source exclusive pour l'ensemble de ses travaux à venir.
Plus qu'un simple pari (encore que je jeu et la contrainte ont également parties liées avec le travail de San Miguel), il s'agissait par ce parti pris de donner une tonalité graphique spécifique à la série d'affiches valenciennoises ainsi que d'inscrire concrètement cette production sur leur territoire de conception. Il allait en effet rapidement s'avérer que l'esthétique choc de ces imprimés noir et blanc, faite de contrastes forts, conviendrait parfaitement à un affichage dans les rues de la ville. Au fur et à mesure de ses déambulations, San Miguel découvre en effet une réalité assez éloignée des photos fleuries qui ornent les brochures éditées par l'office du tourisme local. Le territoire porte toujours, le plus souvent à son corps défendant, les stigmates de son passé industriel et minier. La ville et sa proche périphérie présentent ainsi une série de dichotomies tranchées, aussi bien spatiales que sociales, urbaines que culturelles. Noir / Blanc : il est des constats, il est des contrastes. L'affiche s'intègre dans la ville sans s'y fondre, elle fait corps avec celle-ci tout en en parasitant l'artificielle harmonie.
Noir / Blanc. Cette esthétique du contraste dicte à l'affichiste un autre choix qui va, lui aussi, participer à l’identité de cette série de travaux : son mode d'impression. San Miguel abandonne pour l'occasion la sérigraphie pour s'adonner aux plaisirs bruts de la photocopieuse. Ici les délicates nuances des encrages spécifiques ne sont pas de mises, pas plus d'ailleurs que le jeu sur les formats et les épaisseurs de papier. Toutes les affiches réunies dans ce portfolio ont originellement été imprimées à la photocopieuse noir et blanc sur papier A3. Outre le fait que ce mode opératoire permit une très grande réactivité, il s'est avéré que de par son caractère rudimentaire il était sans aucun doute le plus approprié aux circonstances. L'art de l'affichiste est un art contextuel s'il en est : ainsi imprimées les affiches font corps avec leur support (non pas les cimaises des galeries mais les murs de briques et les parois vitrées des cabines téléphoniques), s'intègrent à la perfection sur le territoire qui les accueille tout en le mettant en perspective et évoquent indirectement l'esthétique délicieusement cheap et rétro du matériau dont elles sont issues.
Il convient encore de souligner une ultime caractéristique qui n'aura sans doute échappé à personne mais dont il ne faudrait pas sous-estimer l'importance. Exception lilloise évoquée plus haut mise à part, toutes les affiches ici réunies ont pour vocation d'annoncer la tenue d'expositions comprenant, parmi d'autres, certains travaux de San Miguel lui-même. Pour celui qui fait profession de mettre son labeur au service d'autrui, qui doit savoir se faire discret pour valoriser non pas son propre travail mais celui qu'il a la charge d'annoncer, c'est là une contrainte pour ainsi dire contre-nature. Et celle-ci dû être ressentie de manière d'autant plus frontale que, chez San Miguel, cette discrétion toute professionnelle se double d'une modestie certaine envers sa propre pratique dont il revendique à l'envie la dimension foncièrement artisanale.
Voilà sans doute qui permet également de rendre compte de l'originalité et de l'intérêt des travaux ici présentés au sein même de la production de San Miguel. Voilà aussi qui concorde parfaitement avec l'univers rock qui, tout autant que celui de l'art contemporain, constitue le milieu naturel dans lequel évolue l'affichiste. Pour qui connaît les multiples travaux qu'il a réalisé pour de nombreuses formations musicales, cette série d'affiches se présente en effet comme une espèce de retour aux sources. Ou plutôt comme un clin d'oeil amusé à une certaine contre-culture qui, du flyer à l'affichette conçue à coups de ciseaux rageurs, a su faire la fortune de la boîte à copies du coin de la rue tout comme la réputation de formations musicales aussi bruyantes qu'inventives !
C'est dire combien les affiches ici présentées sont à l'image de leur auteur. Le travail de San Miguel ne se résume pas au savoir-faire et à l'excellence de l'artisan de l'impression qu’il est par ailleurs. Pas plus qu'il ne se réduit aux diverses références dont, en véritable esthète, il truffe ses images. San Miguel c'est aussi l'énergie, l'inventivité et l'irrévérence propres aux différents courants musicaux qu'il aime d'ordinaire à illustrer. Une fougue et un sens de la liberté qui le conduisent parfois, comme c'est le cas ici, à refuser de se soumettre aux limites qu'il s'est lui-même imposées (le diptyque pour les projections au cinéma L’Univers tout comme le triptyque annonçant les expositions de Fresnes et d'Aulnoy en même temps que le terme de la résidence ne lui permettent-elles pas de contourner la contrainte du format A3 ?). Une vigueur et un goût certain pour la dérision qui lui font se jouer des mots ("Des figurations"...) comme du principe même de l'affichage en donnant à voir des visages qui se cachent...
Noir / Blanc : il est des contrastes qui ne mènent pas à l’impasse.