Elle avait un peu honte et le reconnaissait amèrement mais elle était vraiment une grosse feignasse. Combien de fois sa mère avait-elle pu lui en faire la remarque quand elle était plus jeune, certainement au moins une fois par jour, parfois plus. C’est d’ailleurs pour ainsi dire la seule chose dont elle se souvienne de sa mère aujourd’hui.
Quand une offre de mariage se présenta, ni ses parents ni elle, n’exprimèrent la moindre objection surtout que le parti s’il était un peu âgé peut-être, en avait profité pour s’installer confortablement dans la vie. « Il y a vraiment un Bon Dieu pour les feignants ! » avait conclu sa mère, toujours aimable.
Quand elle avait emménagé chez son époux, le plus lourd à emporter ne fut pas sa garde-robe mais sa flemme. Du canapé de sa chambre chez ses parents à la bergère dans l’appartement de son mari, l’effort lui coûta plus que de devoir se séparer des siens. Ce que son mari avait pris pour une inclinaison à la lascivité et qu’il avait porté au crédit de sa future avant de la connaître, s’avéra bientôt une posture sans équivoque aussi affolante qu’une barcasse échouée sur la plage.
Ce matin en se levant, une idée saugrenue lui est venue, se costumer en Espagnole et descendre dans la rue se mêler aux défilés du carnaval. Après plusieurs heures de préparatifs affairés, sous les yeux étonnés du personnel peu habitué à un tel chambard dans la maisonnée, elle s’était effondrée sur la première bergère venue, naturellement épuisée par tant d’efforts.
Les heures avaient passé, les cortèges du carnaval aussi, l’idée de s’y joindre s’était enfuie d’elle-même. Allongée, dans son costume un peu ridicule qui la boudinait, elle somnolait regardant d’un œil las le petit chat qui se battait avec les oranges destinées à sa collation mais qu’elle avait négligées, les laissant rouler à ses pieds. Négligemment elle se passait la main dans les cheveux, un geste de désoeuvrement d’abord, jusqu’à que ce que ses ongles accrochent des croûtes. Mes cheveux sont bien sales pensa-t-elle, il faudra que je les lave ce soir. Ou bien demain.
Edouard Manet Jeune femme couchée en costume espagnol (1862) – Huile sur toile 94x113 cm – New Haven, Yale University Art Gallery -
Clin d’œil à l’exposition Manet qui se tient actuellement au Musée d’Orsay