Il ne « réforme » plus que pour les siens.
Pause ou pas
Il y a un an, à quelques heures d'une nouvelle débâcle politique lors du scrutin régional, Nicolas Sarkozy avait créé la surprise en confiant au Figaro Magazine qu'il ferait une pause dans ses réformes à compter de la mi-2011. Était-il fatigué ? Non. Il voulait se donner de la hauteur, prouver qu'il était enfin président. Officiellement, le Parlement devait profiter de ses derniers mois de mandat pour « digérer » le fruit de sa formidable action réformatrice.
Six mois mois tard, impopulaire comme jamais, notre Monarque annonçait l'inverse : 2011 devait être une année « utile aux Français.» Pas question de se reposer ! Sarkozy tentait de faire croire qu'il n'était pas candidat, qu'il avait encore de grandes choses à faire avant de rendre son tablier présidentiel. La feuille de route, rabâchée par ses proches depuis novembre, était a priori claire : refonte de la fiscalité, réforme de la dépendance, et introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels. Ces réformes-là n'avaient qu'un but, aider à la réélection de Nicolas Sarkozy.
L'affaire fiscale tourna court : tout le monde a bien compris que le Président des Riches s'apprête à faire un nouveau cadeau à son Premier Cercle, avec l'assouplissement de l'ISF. La dépendance suscita quelques débats et rapports publics. Quand à la grande réforme de la justice, elle se révèle riquiqui et surtout impraticable.
Réforme électoraliste
Le suspense était incroyable. Mardi soir, « Sarkozy n'arrive pas à supprimer le bouclier fiscal » titrait le Monde. Mercredi, Nicolas Sarkozy a « tranché ». Ou plutôt, il s'est couché. Sa grande réforme de la fiscalité annoncée tambour battant l'été dernier au nom de la convergence fiscale franco-allemande n'est finalement qu'un minable toilettage. Rappelons tout de même que la fiscalité du patrimoine, dans toutes ses composantes (ISF, mutations, prélèvement sur l'épargne, taxe foncière, etc) ne pèse que 3,4% du PIB en France, sur les quelques 42% de prélèvements obligatoires.
La presse se plaît à insister sur la suppression du bouclier fiscal devenu boulet électoral. 99% de ce bouclier était capté par des imposables ISF, pour 117.142 euros en moyenne par contribuable.
Une fois encore, Sarkozy ménage ses arrières, et surtout son Premier cercle. Il voulait abandonner quelques 4 milliards d'euros d'ISF par an, mais les déficits publics sont trop importants pour se permettre un tel cadeau. Il a quand même trouvé plus d'un milliard d'euros à rendre aux plus fortunés du pays. L'addition est simple : en échange de la suppression du bouclier fiscal (-680 millions d'euros), le gouvernement va relever le seuil d'imposition du patrimoine à l'ISF (coût : 300 millions d'euros), et surtout réduire le nombre de tranches d'ISF de 7 à 3 (coût : 900 millions d'euros). La progressivité de l'impôt est supprimée, pour le plus grand bénéfice des grosses fortunes. Nous en parlions en février dernier.
Pour faire bonne figure, il lâche quelques gadgets peu douloureux et symboliques : ainsi, le taux d'imposition des grosses succession (i.e. supérieures à 4 millions d'euros) serait relevé de 40 à 45%. Cela concernent « 3 % des plus gros héritages en France » note le Figaro. Grand seigneur, Sarkozy a fait prévoir de taxer les expatriés via une « exit tax » sur les plus-values constatées lors du transfert de la résidence fiscale hors de France.
L'ensemble sera inclus dans une loi de finances rectificative pour 2011, et rétroactif pour l'essentiel.
Quand on aime, on ne compte pas !
Réforme absurde
Ce mercredi, le conseil des ministres a validé le projet d'introduction de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels. Cette réforme s'avère idéologique et impraticable. La Sarkofrance manque déjà d'argent pour indemniser les jurés des 2.400 jugements d'assises ! Voici qu'on souhaite ajouter des jurés populaires, choisis au hasard, dans les quelques 40.000 procès en correctionnel des délits les plus graves! Même à l'UMP, certains s'inquiètent de la paralysie générale du système. Le ministre de la justice n'a promis que 155 magistrats pour former les assesseurs.
Plus précisément, le Garde des Sceaux envisage les points suivants :
- Deux « citoyens assesseurs » seront tirés au sort pour rejoindre les magistrats au sein du tribunal correctionnel et juger les atteintes violentes aux personnes relevant du tribunal correctionnel collégial : «violences volontaires, vols avec violence, agressions sexuelles, extorsions, mais aussi les faits de violence routière les plus graves, délits qui portent atteinte à la sécurité et la tranquillité des citoyens. »
- Ces jurés populaires siégeront également dans les tribunaux d'application des peines « pour se prononcer sur les demandes de libération conditionnelle et d’aménagement de peine concernant des peines d’emprisonnement d’au moins cinq ans. »
- le projet modifie également la procédure d'assise, en créant une cour d'assises simplifiée, « pour le jugement des crimes punis d’une peine maximale de quinze ou vingt ans de réclusion commis sans récidive », et en instaurant une motivation des jugements.
- enfin, pour « améliorer l’efficacité de la procédure de jugement des mineurs », le projet prévoit quelques aménagements.
Réforme bâclée
La veille, la réforme de la garde à vue était, enfin, adoptée à l'Assemblée nationale : l'examen médical pendant la garde à vue devra être réalisé « à l'abri du regard et de toute écoute extérieurs »; la présence d'un avocat est obligatoire, le droit au silence est accordé. Mais la procédure n'est pas placée sous le contrôle d'un magistrat indépendant, mais du procureur de la République.
Cette réforme a été bâclée. Le gouvernement y était allé à reculons. En 2010, quelques 700.000 personnes ont été placées en garde à vue. Curiosité française parmi les démocraties occidentales, aucun avocat n'était requis en garde à vue. Cette lacune, condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, fut enfin corrigée.
Aussitôt votée, aussitôt critiquée... Le 2 avril, Claude Guéant avait écrit à François Fillon lui-même. C'est un exercice de communication à usage exclusivement externe. Il fallait montrer que le Premier Flic de France comprend les soucis de ses équipes. Ainsi, estime-t-il « probable que certains avocats adopteront une stratégie de défense consistant à poser des questions pendant l'audition », craignant des « incidents ». Il s'interrogeait également sur les éventuels « conflits d'intérêts entre un avocat désigné par plusieurs personnes gardées à vue au cours d'une même enquête.» Le premier ministre a répondu tout aussi officiellement : s'il est impossible de modifier une loi à peine votée, il réclame « une mission d'audit et de suivi » de cette loi qui doit entrer en vigueur d'ici le 1er septembre prochain.
L'imbécile
Ce mercredi, François Baroin a évoqué qu'il travaillait à la création d'un dispositif de prime de 1.000 euros dans les entreprises versant des dividendes... Le ministre n'avait aucun détail à livrer. A quelques mois du scrutin, la Sarkofrance redevient sociale dans les mots.
Mais la grande affaire était en fait la réception mensuelle des députés UMP aux frais de l'Elysée. Quelques zélotes parlementaires s'empressèrent, sur le perron du Palais, de relayer avec gourmandise les messages clés du Monarque : « Moi, la situation, je la sens bien » aurait-il déclaré à propos de l'élection de 2012. « Je viens de si loin. Depuis 1995, j'ai tant d'expérience du pays, les Français regardent leurs dirigeants, comment ils se comportent et, dans la difficulté, s'ils sont solides ». L'agité de l'Elysée a même joué au vieux sage , se moquant des ambitions présidentielles sans lendemain de Pasqua, Séguin, Bayrou ou Chevènement, ou prédisant l'échec de certains nouveaux venus : « Nous sommes aujourd'hui dans le temps des micros et des projecteurs. ». Il se lança dans le proverbe : « Quand le paysan sème, l'imbécile au bord de la route ne voit pas qu'il sème et qu'il a labouré profond depuis longtemps.» Le candidat a quand même entendu le message de ses troupes. Depuis huit jours et le départ des Radicaux de Borloo de l'UMP, le discours officiel se fait plus social.
Plus de quatre millions de chômeurs, dont un gros million de fin de droits d'ici la fin de l'année; une inflation qui repart surtout sur les produits et services de base; quelques 8 millions de pauvres ; une catastrophe nucléaire sans précédent qui bouscule notre logiciel énergétique ; ... Sarkozy sent bien la situation...