Parmi les nombreux films qu’il me reste encore à voir (j’écris ça comme si un jour cette infinie liste de films pourrait un jour être comblée, quelle ambition…), toutes les adaptations existantes de Gatsby le Magnifique figurent noir sur blanc. Je n’ai jamais vu un Gatsby le magnifique. En revanche j’ai lu le roman de Francis Scott Fitzgerald il y a quelques années. Il est de ces écrits qui se dévorent en quelques jours à peine, voire quelques heures, et qui font jaillir une lumière incroyable dans l’esprit de celui ou celle qui le lit, et Gatsby en fait partie.
En général, quand on pense à Gatsby, la silhouette de Robert Redford vient à l’esprit. Parce qu’il est celui qui a incarné Gatsby dans sa version cinématographique la plus célèbre, probablement. Parce que Redford fait partie de ces acteurs possédant cette présence mystérieuse et fascinante qui sied à Gatsby, aussi. Pourtant le film de 1974 de Jack Clayton n’a jamais vraiment été adulé ou considéré comme la transposition ultime de l’œuvre de Fitzgerald. Ce travail-là reste à faire, s’il doit jamais l’être, à ce qu’il paraît. Le débat de porter à l’écran les chefs-d’œuvre littéraires est un débat à part, et un débat qui nécessite assurément d’être pris au cas par cas. N’ayant jamais vu de Gatsby le magnifique sur grand écran, je me pose la question de refaire le roman de Fitzgerald sur grand écran avec les yeux vierges du passé cinématographique du roman.
Et si j’aborde la question c’est bien sûr parce que Gatsby le magnifique devrait prochainement reprendre vie au cinéma, dans les mois à venir. Le projet, d’envergure, est sur les tablettes d’un Baz Luhrmann qui n’a rien signé depuis un Australia qui a laissé un sentiment tiédasse à bon nombre de spectateurs. La première question qui se pose est bien sûr de savoir si Luhrmann (et sa caméra virevoltante) est l’homme de la situation. Le magnétique Gatsby a-t-il besoin de la mise en scène envolée du cinéaste australien ? L’idée peut être séduisante, de ne pas rendre une transposition trop sage de l’œuvre de Fitzgerald, de donner à cette demeure toute en lumière nocturne le faste festif auquel Luhrmann saurait certainement rendre honneur. Il y a également cette passion au cœur des films de Luhrmann, une passion certainement plus expressive et fantasque chez Luhrmann que chez Fitzgerald, et il serait certainement intéressant de voir l’australien se frotter à la passion selon F. Scott.
Le projet de Luhrmann est d’autant plus intrigant que le réalisateur est en train de s’entourer d’une distribution des plus alléchantes. Leonardo DiCaprio, Carey Mulligan, Tobey Maguire, Ben Affleck. Voici les premiers noms attachés au film, ou en passe de l’être. Maguire devrait interpréter le personnage narrateur de Nick Carraway, cet homme s’installant dans le New Jersey et se liant d’amitié avec un voisin mystérieux et charismatique, Jay Gatsby, organisant des fêtes dans son immense demeure et aimant en secret une femme mariée. DiCaprio reprendrait le fameux rôle de Gatsby, quand Mulligan jouerait son amante et Affleck l’époux de celle-ci. Avec un tel casting, je signe les yeux fermés, mais lorsqu’il s’agit en plus de Gatsby le Magnifique, je suis d’autant plus attiré et intrigué. DiCaprio a l’intensité et le détachement qui pourrait sied à Gatsby, Maguire la transparence calculée, Mulligan le charme enjôleur. Et Affleck a ce qu’il faut pour jouer le mari cocu, sans l’ombre d’un doute.
Malgré tout ce potentiel pourtant, Gatsby le Magnifique selon Baz Luhrmann affiche un point noir non négligeable. Le réalisateur veut faire le film en 3D. Une idée aussi étonnante que grotesque. Voilà un an et demi qu’Avatar a modifié le paysage cinématographique et aidé à malencontreusement démocratiser l’usage de la 3D, et si jusqu’à présent l’influence de la technique se limitait à l’animation et au fantastique essentiellement, elle déborde désormais vers des genres moins spécifiques. Et en l’occurrence, Gatsby le Magnifique, un drame romantique se déroulant dans l’Amérique bourgeoise de la première moitié du 20ème siècle. On est loin des aliens, des justiciers et des piranhas. Malheureusement en un an et demi, la 3D ne m’a pas convaincu qu’il s’agissait d’une révolution qui méritait de s’installer durablement et globalement dans le cinéma du 21ème siècle. Aucun film ne m’a persuadé qu’il s’agit d’autre chose que d’un gadget qui perturbe, voire gâche un film plus qu’autre chose. Je veux bien de la 3D, mais à toute petite dose, très occasionnellement, et non à tout bout de champ, pour tous les films d’animation, pour tous les films fantastiques, et en plus maintenant pour des longs-métrages comme une nouvelle adaptation de Gatsby le Magnifique.
Réalisateurs, producteurs, distributeurs et exploitants n’ont pas su interprété le succès d’Avatar. Ils ont bêtement cru que parce que le raz-de-marée au box-office signifiait que désormais, les spectateurs désiraient voir la 3D envahir les salles de cinéma. Ils ont cru que désormais, les spectateurs voient les films sans relief comme moins intéressant que ceux qui se voient avec des lunettes. Ils ont cru que tous les films valaient d’être vus ainsi, quel que soit le genre, quelle que soit l’histoire qu’ils ont à nous raconter. Il serait temps que ces professionnels obnubilés par les chiffres comprennent que non, on ne veut pas de la 3D à toutes les sauces. Que je préfèrerais voir un Gatsby le Magnifique sans lunettes, sans 3D, sans gadget. Si le film est réussi, il n’est pas besoin que l’émotion cherche à nous attraper comme les enfants qui tendent la main vers l’écran avec leurs lunettes sur le nez. Elle vient à nous naturellement. Et la 3D n’y changera rien.Faut-il refaire Gatsby le Magnifique ? Certainement. Mais sans 3D.