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Pourquoi les centrales nucléaires sont inadaptées à la démocratie?

Publié le 13 avril 2011 par Rcoutouly

 

                                         fukushima

Dans le flot continu de l'information, cette depêche est passée pratiquement inaperçue: le 24 mars, le porte-parole du gouvernement japonais admettait que la rotation des travailleurs "pompiers" sur le site de la centrale de Fukushima n’est « pas suffisante ».  Difficile en effet pour Tepco et ses sous-traitants de trouver des volontaires pour remplacer ces ouvriers qui risquent leur vie. Dans certains villages, on aurait proposé 800 à 1500 euros à des volontaires pour participer aux opérations.

Dans le Japon démocratique du début du XXIéme siècle, on aurait donc du mal à trouver suffisamment de personnels pour se sacrifier: quel paradoxe au pays des Kamikazes !

1-L'armée des liquidateurs soviétiques:

Il y aurait environ 500 personnes qui participerait aux opérations de sauvetage du site sur la centrale de Fukushima. Il est intéressant de comparer ce chiffre avec l'envoi dans les semaines qui ont suivi l'explosion de Tchernobyl de dizaines de milliers de "liquidateurs". 

En U.R.S.S., en 1986, ces personnes n'ont pas hésité à affronter des doses très élevées, restant quelques secondes ou quelques minutes sur les lieux de l'opération, se relayant à des cadences très rapides. On estime que le nombre de ces liquidateurs, intervenant sur le site ukrainien, entre 1986 et 1992, a oscillé entre 600 000 et un million !

On pourra comparer avec l'organisation nippone. On pourra noter, par exemple, que, après l'accident dans lequel deux opérateurs japonais ont été gravement irradié, les opérations humaines ont été immédiatement interrompues. Les Soviétiques n'avaient pas ce genre de scrupules et n'hésitaient pas à sacrifier leur personnel, si cela leur semblait nécessaire.

On peut se poser la question: si, depuis le 11 mars, Tepco n'a pas réussi à régler le problème, n'est-ce pas par manque de personnels? Pour des scrupules -légitimes- à ne pas trop exposer la vie de ses personnels? Par "principe de précaution" comme nous disons en Europe? D'évidence, le prix de la vie humaine n'est pas le même.

2-Les risques nucléaires sont-ils compatibles avec les sociétés démocratiques?

Les Japonais de 2011 font-ils davantage preuve de compassion que les Soviétiques de 1986? Je ne le pense pas. Alors où se situe la différence? Probablement dans le progrès de l'esprit de responsabilité au sein de la société japonaise d'aujourd'hui. 

Ne soyons pas naïf. Ce sens des responsabilités caractérise les sociétés démocratiques car il faudra payer quand les responsables des catastrophes auront été identifié, il faudra que la Nation, l'Etat assume sa part financière dans le "réglement" des dégâts.

On ne peut que se féliciter de cette avancée démocratique que l'on cherchera en vain dans les sociétés autocratiques. Mais il faut être conscient des conséquences de ce progrès social : un accident grave, une situation échappant au contrôle, un risque inconsidéré, une décision malheureuse; chaque erreur va se payer, chaque décision sera à posteriori étudiée par les juges, chaque responsabilité devra être assumée.

Or, en matière d'accident nucléaire : la facture, morale et financière, sera lourde, très lourde.

Si Tchernobyl s'est traduit par des milliers de kilomètres carrés stériles et des cancers en quantité difficiles à chiffrer, la reconnaissance des responsabilités, les dédommagements se font attendre. Il en sera tout autrement à Fukushima.

Il faudra probablement, dans la décennie à venir, payer des indemnités aux propriétaires délogés de la région, offrir des contreparties aux pêcheurs lésés, rembourser les irradiés, examiner toutes les responsabilités dans les cancers des personnes exposées, payer de lourdes indemnités aux "liquidateurs"  et à leurs familles, sans parler de la dépollution du site au coût faramineux. 

3-Le coût invisible du nucléaire pour les sociétés démocratiques:

Le philosophe Jean-Jacques Delfour, écrit dans le Monde daté du 11 avril "Du fait que l'Etat a toujours placé la centrale nucléaire hors du droit commun, le principe libéral de la privatisation des bénéfices et de la publicisation des pertes revient à se condamner à l'inaction : en cas d'accident nucléaire, les citoyens se débrouillent. Ou bien ils se tournent vers un Etat qui, dans les "démocraties" n'a pas du tout les moyens civils ou militaires de sa politique industrielle". 

On est ici au coeur du problème : qui payera en cas d'accident grave? C'est la Nation toute entière. On m'objectera qu'elle a profité pleinement des "bienfaits" du Nucléaire pendant des décennies. Mais nous n'avons pas financé ce risque, nos factures d'électricités n'en tiennent pas compte. Les choix politiques et technocratiques qui ont validé le nucléaire ont été pris sur le dos des futures victimes qui vont payer deux fois : subir l'accident nucléaire puis payer les dégâts.

On peut comparer avec la société américaine : après Three Mile Island, en 1979, les sociétés d'assurances ont refusé de prendre en charge le risque. L'Etat fédéral refusant de l'assumer à son tour, la construction de centrales nucléaires s'est arrêté d'elle même!

On atteint ici la limite de la démocratie à la France : la responsabilité des nuclérophiles s'arrête quand il s'agit de financer préventivement le risque nucléaire.

Conclusion : quand le nucléaire va bien, les apparences sont sauves et nous avons l'impression trompeuse que notre monde démocratique peut vivre avec lui. Mais quand la catastrophe survient, la vérité apparaît dans sa cruelle réalité: le monstre nucléaire devient incontrôlable à moins de lui opposer la machine totalitaire. La démocratie est trop fragile et subtile pour pouvoir mater le dragon radioactif. L'hydre soviétique a su vaincre Tchernobyl. Mais la princesse nippone pourra-t-elle stopper le dragon de Fukushima?


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