Cuba la demerde

Par Crapulax
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30 mars 2011

La quiétude lénifiante des petites Antilles m'a ramolli et laissé tournoyer des questionnements lugubres quant au retour en Europe et à ma future vie de terrien aliéné repartant de moins que zéro après cette parenthèse de liberté absolue. La perspective de Cuba et la semaine de préparatifs à la marina de Point à Pitre ont nettoyé cet informe magma angoissant aussi efficacement qu' un bon grain violent rince le pont. Galapiat est en parfait ordre de marche et la bande de skippers, hôtesses de charters et autres commerçants avec qui je me suis lié rapidement a très agréablement occupé mon temps libre. Je suis à nouveau en prise sur l'instant, le seul qui compte. Nikko atterit de Montréal le 17 Mars, nous fêtons dignement son arrivée avec mes comparses dans le très secret et crapoteux Yacht club de Point à Pitre et partons le lendemain.

J'ai planché sur le très complet Imray de Nigel Calder concernant Cuba. Comme souvent dans les préparatifs de nav en dehors des sentiers battus, j'oscille entre stress et excitation. Voyons donc. Peu de monde s'y aventure, Cuba est immense, la paperasserie pénible, les mouillages innombrables mais difficiles, logés le plus souvent au creux de reefs piègeux aux passes étroites où « deep water » signifie 3 mètres. Je prends des notes, repère tandis qu'un agréable frisson me parcourt, celui-là même que je ressentais en planifiant les Bijagos l'année dernière. Pour commencer, Cuba, il faut y aller et après les promenades des quelques dizaines de milles dans le parc d'attraction des petites Antilles, on change d'échelle. Point à Pitre-Cienfuegos, c'est 1300 milles. Tourner l'ouest de Cuba jusqu'à la Havane ensuite, 500 de plus. La meteo y est changeante et souventtraitresse.

Je suis content de reprendre la mer. Nikko aussi même si il est un peu flou au départ. Après une première journée mollassone, nous alignons trois belles journées rapides à plus / moins 180 milles. Grand largue, assez confort pour peu que l'on prenne bien ses appuis dans les accélérations à8 -10 noeuds. Nos quarts sont bizarres. Je donne toujours le choix à mes équipiers. Nikko fait souvent la première partie de nuit jusqu'à minuit, moi la seconde jusqu'à 4h que je prolonge en général car des grains nocturnes cassent le rythme et je préfère gérer l'incessant changement d'allures moi-même pour lui laisser un canot stabilisé ou, à défaut, à manoeuvrer de jour.

Si je me suis mis à la cartographie electronique en côtière, sur les longues tirées océaniques, je n'en vois pas l'intérêt. PC rangé, j'ai ressorti la routière papier Antillles qui m'avait servi à convoyer le canot en France depuis Panama en 2008 et croise avec une certaine émotion ma route tracée au crayon à papier vers le windward passage d'il y a 3 ans. Depuis que nous avons dépassé la pointe ouest d'Hispaniola, le vent a molli pour disparaître complètement au fur et à mesure que nous nous rapprochons de la Jamaïque. 10h de moteur d'affilée jusqu'au soir où un filet d'air permet de remettre toute la toile pour une nuit magique à filer 6 noeuds sur une mer glassy. Dès le matin suivant, même punition pour plus de 24h cette fois-ci. La mer est un miroir. Nous sommes encore à plus de 250 milles de Cienfuegos et les prévisions météo sont consternantes. Ecrasés par le soleil, on coupe parfois pour un saut dans le grand bleu, pas trop longtemps car même si c'est absurde, l'infini océanique au plus calme, si tentant soit-il, ne résiste pas à la crainte diffuse de la grosse bête dentée surgissant traitreusement des abysses.Ronron ronron.... . A peine 5 noeud de vent au près, on remet la toile pour quelques heures plus plaisantes qu'efficaces. Calme blanc agrémenté de fréquentes visites de dauphins par dizaines. L'exceptionnelle visibilité aquarium de cette mer figée nous permet plus que jamais d'admirer leurs gracieuses évolutions.

A l'approche de la terre, un régime de thermiques s'établit. Voile à nouveau. J'observe et recoupe avec les indications météo de L'Imray. Aborder une nouvelle zone de navigation et ses spécificités suppose de travailler un peu, être à l'affut afin de « sentir » les éléments pour planifier au mieux la suite des évènements. Huitième et dernier jour, je tergiverse un moment entre Trinidad et Cienfuegos, sachant que je veux arriver de jour, le matin, pour atterir confortablement mais surtout pour faire les formalités sans perdre trop de temps. On reste finalement calés sur Cienfuegos et on sous toile afin d'arriver lentement pour l'aube. Lever du soleil dans le chenal. La Guarda Frontera ne répond pas à la VHF, pas plus que la Marina Jagua. A son approche, un gars nous désigne un quai et nous demande gentillement d'attendre les officiels.

Santé, ministère de l'intérieur, capitainerie, immigration, douanes. Une dizaine de personnes et un chien se succèdent à bord entre 10h et et 15h. Je remplis et signe des dizaines de formulaires similaires. Ça peut paraître rebutant décrit ainsi mais c'est au contraire plutôt plaisant. Chaque fonctionnaire est délicieux, offre de se déchausser avant de monter à bord, insiste pour que je suive les fouilles pour m'assurer que tout reste en place, remercient quand je leur offre un reste de paquet de bonbons épargné par mes fistons. Nous sympathisons à chaque fois. Nikko et moi sommes ébahis par tant de prévenance. Quel contraste après ces tes de cons de guadeloupéens! On est creuvés mais l'excitation nous sustente.

Un premier tour rapide aux alentours donne le la: sourires, musique, filles superbes, metissage sur toute la gamme de couleurs, vieilles américaines figées dans les années 50, daiquiris et mojitos scientifiquement dosés, le tout dans en environnement naturel et architectural à couper le souffle. En quelques heures, nous intuitons Cuba comme un paradoxe improbable et difficilement déchiffrable. Le suisse du ponton voisin nous l'a dit avec un demi-sourire ; c'est tous les jours la fête ici. Au bar, les familles invitent immédiatment au partage du festin. Quelles que soient les difficutés, les cubains sont beaux, vivaces et accueillants, un peu cousins des brésiliens d'une certaine façon par leur attitude toujours enjouée, ouverte et partageuse.

A Cienfuegos, la voirie est nickel, les rues animées, les somptueux bâtiments coloniaux dans un état de décrépitude tout à fait raisonnable. Mais même hors circuit balisé pour touristes en voyage organisé, la vie est chère ainsi que nous nous en rendons rapidement compte.Quand une bouffe à une dizaine de CUC (pesos convertible ayant remplacé le dollar), soit l'équivallent en eurosreprésente plus d'unmois de salaire moyen cubain et que le plein d'un V8 américain cinquantenaire et glouton ferait verdir tout européen avec un pouvoir d'achat pourtant stratosphérique en comparaison, le fonctionnement de cette société déroute. Comment font ils? On suppute, discute, questionne et la réponse est finalement assez simple: les choses changent à Cuba. Le tourisme est devenu le moteur de l'économie. Le pesos cubain a d'ailleurs presque complètement disparu au profit du CUC dont le taux de change arbitraire siphone les devises des portefeuilles étrangers pour alimenter l'économie cubaine. Tout cubain chasse désormais le CUC par tous les moyens.

Les boutiques ne sont pas si mal achalandées, mais impossible de joindre les deux bouts dans les règles établies avec les salaires officiels. Les cubains rusent et combinent avec le sourire. Le changeur d'argent au marché noir avec qui on partage ensuite un cappucino se marre, le revendeur de Cohibas « tombés du camion » avec qui nous faisons affaire parade sur la plaza José Marti avec une gouaille insolente. La prudence vis à vis desautorités est partout présente mais n'empêche pas de sinuer. On semble y jouer au chat et à la souris en permanence, équilibre acrobatique élégant sur la tangente. Même les officiels qui sont passés à bord pour la clearance du premier jour nous ont donné des « trucs », pour contourner les règles. Demerde géniale et positive en permanence pour survivre. Troublant, étonnant et fascinant d'autant que le pays reste très étanche à la mondialisation gallopante: Pas de distributeurs d'argent ici et encore moins d'internet fonctionnel dans la quatrième ville du pays... Et quand l'essence devient trop chère, et bien on relance la cariole à chevaux ou le cyclopousse.

Pas d'angélisme hâtif non plus. On est quand même dans un état policier. Je l'expérimente dès le deuxième soir alors que je discute avec deux gazelles sur le Marecon et que Nikko est rentré au bateau. Une Lada sport pile sur la chaussée, trois policiers en descendent pour un contrôle d'identité. Elles sont probablement un peu trop jolies et donc suspectes de trainer avec un gringo mais elles ont leur papiers et ne sont pas inquiétées. Comme d'habitude, moi je ne les ai pas. Je propose d'aller les chercher avec eux sur le bateau, la marina est à peine 100 mètres mais ma suggestion fait un flop. Le véhicule fait demi-tour en direction du centre et du poste de police. Je ne stresse pas car les policiers sont très courtois, rien à voir avec les demeurés aggressifs qui officient en Sarkoland. On ne me jette pas en tôle, me laisse même seul sans surveillance à côté de la sortie. Ça dure longtemps. Je finis par m'allonger sur leur incomfortables sièges en plastique pour un petit somme. Parfois, des flics curieux se succedent pour discuter avec « el marinero frances ». Qu'est ce qu'on attend? Mystère impénétrable qui durera deux bonnes heures jusqu'à ce qu'on m'invite à reprendre place dans la même Lada pour me raccompagner à la Marina et y vérifier mes papiers. On me salue. Terminé. Un peu kafaien mais finalement utile car effectivement, la prudence est quand même de mise dans ce pays dès qu'on s'écarte un peu de la ligne.

 

Nikko et moi nous plaisons vraiment beaucoup à Cienfuegos. Mais il y a tant à faire d'ici la Havane que le temps est compté. Et puis le problème, c'est qu'il est difficile de ne pas sortir chaque soir, de ne pas se faire embarquer dans un traquenard. Le lundi, je prolonge finalement ma nuit commencée au poste dans un club bondé et caliente. Chaque nuit, la fête se translate d'un endroit à un autre. Le mardi, après un début de soirée en ville, Nikko et moi retombons sur l'unique taxi qui roule encore après 23h, celui-là même que j'ai pris la veille: junior, 28 ans, impérial et classieux à souhait, dans sa belle Chevrolet ronronnante. Je rentrerai bien pour être frais demain matin mais Nikko en veut sa part et Junior nous emmène au spot festif du mardi soir. Rebelotte, ça se dandine de partout, on retrouve des cubains / cubaines rencontrés les deux jours précédents. C'est reparti. Et c'est apparement ainsi chaque nuit 7 jours sur 7....