Comme son voisin du sud, la Colombie n’est pas à l’abri de l’émergence au pouvoir des partis extrêmes.
Alors que la communauté internationale ne cesse de s’interroger sur la signification du 2ème tour des élections péruviennes, qui opposeront le 5 Juin prochain, la gauche révolutionnaire d’Ollanta Humala à la droite dure et radicale de Keiko Fujimori, la Colombie se met à trembler à son tour. Car le parallèle entre la Colombie et le Pérou est facile à faire.
Tout comme le Pérou, la Colombie traverse une période de croissance économique soutenue, mais le bénéfice de cette croissance n’est pas partagé équitablement. On peut même affirmer que, si l’on se base uniquement sur l’équité économique et le bien-être de la population, la société colombienne est dans un état bien plus lamentable que la société péruvienne.
Le taux de pauvreté et de chômage est bien plus élevé en Colombie et la redistribution des richesses est encore plus inégalitaire. Enfin, si la Colombie a joué la carte de la politique de sûreté pendant les années Uribe, on s’aperçoit que ce genre de politique ne fonctionne plus sur le long terme. Combiné au retour de la corruption, on assiste en Colombie, depuis quelques mois, au retour en force des groupes armées contrôlant le trafic de drogue.
Si le style du président colombien Juan Manuel Santos est beaucoup plus pragmatique et plus proche du centre que son prédécesseur, Alvaro Uribe, le président colombien est aujourd’hui aussi populaire que son prédécesseur. Mais les nuages pointent à l’horizon. L’ambitieux programme de réforme de Santos risque d’apporter son lot d’insatisfactions, à commencer par sa réforme sur l’éducation.
Les colombiens sont d’accord pour changer un système éducatif obsolète mais les idées réformatrices de Santos, privilégiant les capitaux privés pour l’émergence d’écoles cherchant à faire des profits, ne passent pas auprès de la population locale. La semaine dernière, les étudiants, professeurs et les parents d’élèves se sont retrouvés dans la rue pour exprimer leur mécontentement. En tout, ces manifestations ont réunis plus d’1,5 millions de personnes, soit un colombien sur trois, et soit le plus grand rassemblement public depuis les manifestations contre les guérilléros il y a deux ans.
Ces manifestations étudiantes ont été récupérées par les syndicalistes, appelant à de meilleures conditions de travail dans les salles de classe. Ces manifestations ont généré leur lot de violence et de débordement. La police a utilisé les gaz lacrymogènes dans certaines villes du pays et on a pu voir sur internet un policier rouer de coups avec son bâton une femme à Medellin. Dans une université au sud-ouest de la Colombie, un étudiant est décédé suite à une explosion dont l’origine a été rapidement camouflée.
La réaction du gouvernement à ses manifestations a montré une facette de l’administration Santos qu’on n’avait pas du tout constaté pendant les 7 premiers mois de présidence. Alors que le président en appelle régulièrement à l’unité nationale, la réponse dure et agressive aux mouvements étudiants ne manque pas d’interpeller. Le ministre de la défense, Rodrigo Rivera, a affirmé que « les autorités répondraient avec sévérité à tout acte de rébellion des étudiants. » Quelques semaines après avoir entamé ses premières réformes, Santos doit affronter plus d’un million et demi de nouveaux opposants. S’il continue dans la voie actuelle, il risque de commettre d’autres erreurs politiques. Après l’éducation, il compte s’attaquer aux réformes fiscales, à la redistribution des terres et à la sécurité. D’autres controverses sont à prévoir…
Mais, tout comme au Pérou, la bombe qui risque de lui exploser à la face est la persistance des inégalités et du nombre élevé des pauvres en Colombie. Si l’insécurité recommence à exploser, le taux de chômage de 13,6% est le plus élevé de toute l’Amérique latine. A moins que Santos commence à s’intéresser au sort des plus démunis, ces derniers vont commencer à chercher une nouvelle alternative. Contrairement à ses proches voisins, la Colombie ne dispose pas d’un leader enflammé qui interpelle les populations défavorisées. Pas de Chavez, pas d’Humala ou de Morales n’existent actuellement en Colombie.
Depuis des années, les mouvements gauchistes ont été décrédibilisés en Colombie à cause des actions brutales de la guérilla et de la personnalité d’Uribe qui rassembla les colombiens autour de lui. Mais il est clair que la Colombie ne peut continuer à vivre sans la gauche. Il y a des signes qui montrent que le pays est prêt pour voir arriver sur la scène politique des têtes et des idées nouvelles. Lors des élections de l’an dernier, Antanas Mockus et son parti vert, une coalition d’ancien maires et d’universitaires, sont arrivés de nulle part pour inquiéter Santos et la machine du parti d’Uribe.
Santos remporta les élections, bien aidé par le soutien d’Uribe dont le taux de satisfaction était de 75% des colombiens. Si Santos continue à heurter les colombiens avec ses réformes, il aura du mal à marcher dans la voie tracée par son prédécesseur. Et la prochaine fois que la Colombie devra élire un nouveau président, la population aura un plus grand désir de changement, et être tenté par l’aventure, comme on peut l’observer avec un Humala au Pérou.
Mockus et les verts ne devraient pas jouer ce rôle de changement. Les derniers meetings politiques de ce jeune parti n’ont rassemblé qu’une poignée de marginaux. Mais la percée de Mockus lors des dernières élections est un avertissement pour l’administration actuelle. La scène politique colombienne est amenée à être bouleversée. Espérons simplement qu’elle verra l’émergence de personnalités plus talentueuses que Mr Humala et Mme Fujimori.