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donner envie d'apprendre : ouvrir l'école sur le territoire

Publié le 13 avril 2011 par Valabregue

AEF : Quel constat de l'école dressez-vous ?

André Giordan
 : L'école est très malade. Elle ne correspond ni aux besoins des jeunes, ni aux besoins de savoirs d'aujourd'hui. On parle sans arrêt aujourd'hui de nucléaire, de grippe, de crise économique… Mais qui a le b-a-ba pour comprendre ces domaines ? Autre constat : 27 % des collégiens et 23 % des lycéens s'ennuient. L'absentéisme explose. Plus de 100 000 élèves quittent l'école chaque année sans diplôme… Dans ce grand corps malade, l'organe le plus mal en point, c'est le collège. 

AEF
 : À partir de ce constat, vous posez quatre questions qui permettent d'avancer, et de trouver des solutions. La première concerne les savoirs…

André Giordan
 : En effet, de quels savoirs le jeune doit-il disposer pour comprendre le monde, mener une vie professionnelle, participer à la vie citoyenne ? Si on part du lire-écrire-compter, on peut dire qu'apprendre à lire un texte ne suffit plus. Il faut aussi savoir lire un hypertexte, une image… Il faut savoir trier des informations, les situer et avoir un regard critique. Quant aux mathématiques, elles représentent un vrai tabou. Celles qui sont enseignées ont plutôt tendance à bloquer la pensée. Il faut apprendre à relativiser, et penser à d'autres logiques que la logique classique. Par ailleurs, il existe d'autres savoirs indispensables à introduire à l'école : apprendre à apprendre, d'abord, mais aussi des savoirs comme le droit et l'économie, la santé, l'urbanisme, la consommation, la philosophie, la sociologie, l'anthropologie. Cela représente beaucoup de savoirs nouveaux, ce qui implique de revoir la façon d'enseigner, l'organisation du temps scolaire. Enfin, aussi importants que les savoirs, les savoirs-être (la curiosité, l'esprit critique, la confiance en soi…) et les savoirs-faire (la maîtrise de l'information, les démarches scientifique ou historique, la démarche systémique…) sont à développer.

AEF
 : Vous posez également la question de l'apprentissage, et du désir d'apprendre…

André Giordan
 : Le désir d'apprendre est mis à mal, par l'enseignement frontal, par l'emploi du temps qui saucissonne et démotive, par cette logique de progression collective… Il faut des temps courts ou longs, selon les apprentissages, des groupes de 5, de 50 ou des face-à-face avec l'enseignant, selon les cas. Et il faut des parcours scolaires individualisés. Chacun est différent, chacun n'a pas les mêmes tailles de chaussures ! Au collège, ce parcours pourrait être réparti sur trois, quatre ou cinq ans en fonction des facilités ou des difficultés des élèves. L'organisation par classes disparaîtrait au profit de « groupes de vie », qui regrouperaient des élèves de tous âges. D'une façon générale, il y a trop de cours, et trop de temps perdu dans les cours.

AEF
 : L'ouverture de l'école sur son territoire vous semble être une question cruciale. Pourquoi ?

André Giordan
 : L'école ne peut plus rester une maison close ! Il y a des savoirs partout dans la société. Un élève apprend aussi sur Internet, à la chorale, au club de sport, à la télé, au musée. L'école a un rôle à jouer par contre sur l'organisation des savoirs, qui reste autrement un « savoir en miettes », et sur la critique par rapport aux informations reçues. L'école devrait plutôt avoir comme place de favoriser le désir d'apprendre, de donner les outils pour apprendre, et donner des éléments d'analyse, de critique, de recul.

AEF
 : Quelles sont vos réflexions sur la gouvernance en éducation ?

André Giordan
 : Aujourd'hui, en matière de politiques d'éducation, le seul modèle dominant, c'est d'attendre les annonces du ministère… Le problème, c'est que trente ans de réformes pas préparées, lancées à la hâte, pas évaluées, abandonnées dès que le ministre part, ont fini par lasser les enseignants, qui se recroquevillent dans une position de défense. On se retrouve dans un système où tout ce qui vient d'en haut, y compris les choses intéressantes, comme les TPE ou les IDD, bloque le système ! Le rôle du ministère, c'est plutôt de favoriser le travail à la base, de le reconnaître, de l'évaluer, de le mutualiser. Il a aussi un rôle en matière de formation des enseignants, qui sont actuellement formés à un travail disciplinaire, alors qu'on leur demande après un travail sur la personne… Ce qu'ils ne savent pas faire.

AEF
 : Comment avez-vous perçu les praticiens, chercheurs et responsables politiques réunis lors de ces Rencontres nationales de l'éducation?

André Giordan
 : J'ai ressenti une grande souffrance des décideurs et des acteurs du monde éducatif présents. Devant la complexité et l'incertitude qui caractérisent l'école, ils craquent. Ils n'ont pas les outils et les ressources adéquates. Notre laboratoire les a produits, mais les Français ne viennent pas les chercher. La veille et la recherche pédagogique ne sont pas encore à l'ordre du jour ! Autre chose qui m'a frappé : chacun bricole dans son coin. Chaque fois on réinvente la roue. Sans mutualisation, pas d'Histoire, et l'école n'avance pas 


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