J’avais parlé il y a quelque temps du livre Médecin des morts de Philippe Charlier, médecin-légiste expert en examen et décryptage de squelettes et restes humains en tous genres, qui, dans ce livre, partageait son expérience de paléopathologiste. J’ai poursuivi cette passionnante lecture avec un autre des ses ouvrages, plus pointu et spécialisé : Male mort, Morts violentes dans l’Antiquité.
Le sujet de ce livre ne pouvait que m’intéresser, puisque j’ai eu l’occasion de travailler au cours de mes études sur la question du suicide et des châtiments violents dans l’Antiquité grecque et romaine…mais ce livre peut intéresser bien des curieux, même s’il demande peut-être une certaine familiarité avec ces civilisations.
C’est clairement un ouvrage scientifique, moins vulgarisé que Médecin des morts, mais qui a la très bonne idée de combiner plusieurs approches différentes – littéraires, historiques, et bien sûr paléopathologiques. L’auteur cite de larges extraits, souvent truculents ou émouvants, d’auteurs anciens, fait la part belle à l’épigraphie funéraire. Il organise son propos grâce à une typologie des morts violentes – homicides, suicides, peines capitales, sacrifices religieux, catastrophes naturelles, maladies, accidents, morts d’enfants, et enfin « mort après la mort », ou conjuration des âmes des revenants – prenant toujours soin d’éclairer le sens et les enjeux des différentes pratiques.
On apprend, du coup, énormément de choses - par exemple, comment les Vestales étaient emmurées vivantes, comment les Grecs se prémunissaient du retour des âmes des morts, quelles furent les conséquences du grand incendie de Rome, ce que fut en réalité (même si on cherche encore…) la « Peste d’Athènes » -, bref, on aborde sous l’angle du concret quelques unes des images les plus marquantes de l’Antiquité. Le versant plus scientifique du livre permet de se renseigner un peu sur les pratiques de l’archéologie, sur les questions qu’elle se pose, sur ses méthodes, tout cela avec de nombreuses photographies, dont certaines sont étonnamment "vivantes" et bouleversantes, par exemple celle-ci, qui nous montre les squelettes d'un couple et un enfant enlacés, morts durant un séisme à Kourion :
Même si c’est un ouvrage assez spécialisé que seuls les mordus lpeut-être liront en entier, Male mort peut donc se laisser parcourir et picorer pour avoir une vision originale et très concrète – donc très émouvante – du monde antique. On sent en plus à chaque page le goût de Philippe Charlier pour les auteurs anciens : les antiquisants apprécieront. Enfin, on y découvre que les Grecs avaient le goût de l’humour, et en particulier de l’humour noir…Charlier nous rapporte certaines « blagues » prises dans le Philogelos, un recueil de plaisanteries antiques !
Un petit exemple – humour très grinçant, vous êtes prévenus, à vrai dire je trouve ça franchement horrible mais c'est tellement inattendu, ces blagues à l'antique – tiré du chapitre sur les morts d’enfants :
C’est un intellectuel qui est professeur de sport. On lui dit un jour qu’un élève est malade, le lendemain qu’il a de la fièvre, et le jour suivant il apprend de son père qu’il est mort. « C’est ça, s’écrie-t-il, vous trouvez toujours de bonnes excuses pour empêcher vos enfants de s’instruire ! »
Et pour finir d'une manière moins glaçante, une épitaphe d'enfant que j'ai trouvée sublime :
Voyageur qui t'en vas marchant d'un pas pressé, arrête, je t'en prie, au milieu du bosquet, sans dédaigner ces vers qui s'offrent à tes yeux.
J'ai vécu douze années, chez les hommes, et deux jours. J'ai connu et appris Pythagore et les Sages et, dans les livres, lu les vers sacrés d'Homère. Sur mon boulier, j'ai appris tous les calculs d'Euclide. je me suis fait plaisir et j'ai beaucoup joué, turbulent que j'étais...
Maintenant je m'en vais vers l'infernal
séjour, vers le fleuve Achéron, sous les noires clartés des astres du Tartare. J'ai quitté de la vie les promesses superbes. Adieu, Espoir, Beauté, allez tromper quelqu'un d'autre ! Je n'ai plus
désormais rien à voir avec vous. Ici, c'est l'éternel séjour. Et c'est là que je suis, que je serai toujours !