Le Portugal a désormais officiellement fait appel à l'aide financière du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière), comme l'a confirmé la Commission européenne qui a reçu une demande formelle de la part du gouvernement portugais ou du moins de ce qu'il en reste. On évoque en haut lieu des prêts à hauteur de 80 à 85 milliards d'euros avec, et c'est le point essentiel, des mesures budgétaires draconiennes, la Finlande s'aventurant même à parler de mesures de rigueur très strictes...
Mais ce que peu de personnes ont réellement compris, c'est que ce sont les banques commerciales portugaises qui ont pressé l'État de demander une aide européenne ! Dans les faits, elles ont notifié à la Banque centrale leur refus de continuer à acheter des titres de la dette publique comme auparavant, leur limite d'exposition légale étant quasiment atteinte en raison notamment du niveau de risque perçu sur ces titres par les marchés financiers au travers du taux d'intérêt des titres d'État à 10 ans et de la valeur des CDS (Credit Default Swaps, sorte de contrat d’assurance contre le défaut d’un émetteur) :
Évolution du taux des obligations à 10 ans de l'État portugais
[ Source : Tradingeconomics.com ]
Comme le montre ce premier graphique, les obligations à 10 ans de l'État portugais ont ainsi vu leur taux d'intérêt augmenté de plus de 400 points de base en 1 an ! Sur le moyen terme (financier), le taux à 10 ans avait atteint son minimum en septembre 2005 (3,16 %) et son maximum ces derniers jours (8,66 %). Or, l'État doit refinancer 4,3 milliards d'euros de dette ce mois-ci et 4,9 milliards en juin. A ces taux, il n'était pas difficile de saisir que le Portugal aurait bien du mal... d'autant plus que l'agence de notation Moody's a abaissé la note de la dette à long terme de A3 à Baa1, ramenant les titres d'État à la limite d'un investissement spéculatif !
Évolution du CDS à 5 ans sur la dette du Portugal
[ Source : Bloomberg ]
Ce deuxième graphique nous montre que le coût de l'assurance contre un risque de défaut du Portugal sur sa dette à cinq ans a frôlé les 600 points de base. En pratique, cela signifie que si vous souhaitez assurer un portefeuille de 10 millions d'euros d'obligations de l'État portugais contre un risque de défaut, vous devrez payer une "prime d'assurance" de près de 600 000 euros ! A titre de comparaison, le CDS de l’Espagne est à environ 220 points et celui de la Grèce à près de 1 000 points...
Maintenant, pour obtenir les 80 milliards d'euros prévus sur trois ans, un consensus doit être obtenu entre les formations politiques du pays afin de s'entendre sur un plan de rigueur, des mesures pour sauver le système financier et des réformes structurelles pour restaurer la compétitivité du pays (cette notion n'ayant pourtant que peu de sens pour un pays !), qui passeront notamment par des privatisations massives.
Le Portugal sera donc désormais lui aussi sous contrôle du FMI pour la 3e fois de son histoire - les précédentes interventions du FMI datant de 1977 et 1983, alors qu'il n'y a eu aucune crise bancaire ou immobilière et surtout aucune manipulation de chiffres (toute ressemblance avec un pays existant n'étant pas fortuite). Ce pays était pourtant vu, au début des années 1990, comme l'un des bons élèves de l'Union européenne puis de la zone euro, tant par son faible taux de chômage (4,5 %) que par sa capacité à attirer des capitaux étrangers. Mais tout bascule lorsque des taux d'intérêt bas hérités de l'entrée dans la zone euro se conjuguent à une politique laxiste privilégiant l'endettement et les déficits publics chroniques. Cet état de prospérité apparente s'effondre alors très vite après l'adhésion des 10 nouveaux membres à l'Union européenne, l'avantage compétitif tiré du faible coût de sa main-d'oeuvre s'évanouissant alors à grande vitesse, aussi vite certainement que les capitaux qui se relocalisent à l'Est.
Avec une économie reposant essentiellement sur l'agriculture et le textile, nulle difficulté à comprendre que l'économie portugaise est dès lors condamnée au mieux à la stagnation (sa croissance entre 2002 et 2008 fut deux fois moins rapide que l'ensemble de la zone euro), si elle ne prend pas un virage technologique majeur. Or, la seule réponse apportée par les gouvernants du pays fut d'institutionnaliser la précarité au travers par exemple des recibos verdes et de multiplier les plans de rigueur, ces derniers n'ayant été au fond qu'un coup d'essai au regard de ce qui se profile aujourd'hui...
Je répète à l'envi que les plans de rigueur mis en place actuellement ne sont rien d'autres que des plans de soumission aux marchés financiers. Après l'Irlande qui consacrera 24 milliards d'euros supplémentaires à renflouer ses banques (70 milliards en tout, l'Anglo Irish Bank engloutissant à elle-seule 29 milliards d'euros sans compter ses 17,7 milliards de pertes en 2010 !), le cas du Portugal en est l'exemple le plus frappant, puisque suite à la dissolution du Parlement et la convocation d'élections législatives anticipées le 5 juin, l'exécutif portugais ne peut normalement s'occuper que de la gestion des affaires courantes... et donc certainement pas négocier un plan de sauvetage ! Mais le pouvoir des marchés financiers semblent devoir s'imposer de facto à l'État...