On a beaucoup parlé de Four Tet, Caribou, et plus largement de la tentation actuelle, pour des artistes dits IDM ou electronica, de réinvestir le dancefloor. Avec des rythmes en 4/4 et des structures canonisées pour la danse, on perd le profil canapé pour proposer une matière hybride qui ne choisit pas entre la tête et les jambes. L'intérêt d'une telle orientation est à nos yeux limpide : il s'agit d'exporter le style singulier d'une électronique auteurisante – dont on reconnaît la patte en quelques mesures – dans les carcans d'une musique de genre aussi fascinante dans ses effets qu'intriguante dans son risque permanent d'anonymat.
La problématique est aussi celle-là pour Daedelus. Pas depuis aujourd'hui : l'immense Love To Make Music To était déjà, en 2008, un grand disque théorique qui ne désespérait pas à trouver l'alchimie parfaite entre IDM rêveuse, hip-hop salace et dance music. Sur Bespoke, Alfred Darlington est cette fois moins moins porté sur la recherche et peut-être pense-t-il l'avoir épinglée, cette fichue alchimie. Il propose de fait moins un disque de laborantin qu'un disque hédoniste, uniquement intéressé par l'impact de ses morceaux. Très serré, avec beaucoup de featurings, Bespoke reprend les classiques esthétiques de Daedelus en les avançant d'un cran sur l'échelle pop et club-friendly.
Là où le bât blesse, c'est que ses micro-évolutions ne convainquent jamais. Les rythmiques qui tendent vers la house sonnent caduques, les sinusoïdes technoïdes idem – c'est à peine si elles donnent au son de Darlington le supplément d'énergie et d'enthousiasme syndical. Aucune plus-value dans la discographie du Californien, donc, rien de mieux à proprement parler, juste une vulgarisation : à connotation péjorative ou non selon les oreilles. On pourra apprécier des samples bien sentis un peu partout, des associations heureuses (la finesse de Bilal sur le très emballé « Overwelmed ») et une ambiance printanière particulièrement exaltée, mais c'étaient des qualités déjà présentes et non exhaustives sur par exemple le phénoménal Exquisite Corpse (qui étaient en plus novateur et fabuleusement poétique).
Bespoke est en somme un tout petit disque de son auteur, appréciable mais brouillon et souvent hors-sujet quand il s'agit de faire bouger ses habitudes. On aurait préféré un peu plus de mesure, un peu plus de jeu de mystère et de dévoilement ; Darlington choisit ici les climax-béliers, le trop-plein d'intensité qui dégonfle ses morceaux avant la fin. Il y a même une forme de brutalité qui sied mal à la subtilité entretenue au fil des disques par Daedelus. Pas un hasard si la seule influence qui a disparu est la bossa-nova, autrefois clef de voûte de la colorations douce-amères de ses albums. Maintenant il y a un quelque chose de frénétique qui a du mal à être contrôlé. Ce n'est pas encore très grave mais attention. 6/10.