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Un capitalisme sans récession est comme un christianisme sans enfer.

Publié le 03 février 2008 par Monsieur L'Adulte

Comme toute la génération Passe-Partout, mes premières années de vie se sont déroulées sur fond de récession. Celle du début des années 1980 et l'autre au début des années 1990. De la récession comme telle j’ai peu de souvenir loquaces, trop occupé que j’étais à habiter mon enfance jusqu’à cette journée décisive de sixième année où Karine Gélinas a mise sa main moite dans mes bermudas. Très peu de souvenirs des dernières récessions, donc, et pourtant je les ai traversée non sans écorchures. Il y a dans la vie une part d’inévitable ou d'inexorable, qui se calice bien de nous savoir enfant.


Je me souviens de la maison des Genest, eux qui n’arrivaient pas à s’agripper aux longues jambes de la richesse, leur maison soudainement vide, abandonnée en pleine nuit d’octobre. Il y avait la rue principale de ma petite ville, qui l’espace d’un vol d’oiseau s’est vulgairement dépeuplée de commerces lucratifs, puis de commerces tout court. Ces grosses femmes à poitrine de lavande qui venaient visiter ma mère ont banalement été substituées par des clowns tristes aux ongles rongés. Je me rappelle de tout ces amis perdus au profit des grandes villes, de ces soirées enfumées où les adultes parlaient bas pour ne pas que l’on comprenne qu’ils parlaient d’inquiétudes et de dettes. Ces jouets que je ne pouvais pas avoir, ces plaisirs auxquels nous n’avions pas droit. Ce Noël où sous l’arbre m’attendait une tablette de carton de construction et des marqueurs fluos. Je me rappelle du goût sec des petits gâteaux de la pâtisserie économique, de mes oncles qui quittaient les terres intérieures pour tenter leur chance à Montréal et du père à Cossette, qui disait à ma mère les yeux au sol que
la difficulté n'est pas de faire des enfants, mais de les nourrir. Ces maisons qui brûlaient qu'on ne rebâtissaient pas, ces flèches qui pointaient vers le bas le soir au journal télévisé, ces usines sur lesquelles s’était bâtie la fortune de la région qui se vidaient de leurs hommes fiers au même rythme que les tavernes se remplissaient d’hommes au pas lourd et indécis.

Je me rappelle de la noueuse impression d’un matin gris d’avril, alors que toute les familles s’étaient assemblées devant le portail de La Belgo pour applaudir leurs pères, fils, frères et cousins à la sortie de la dernière nuit de travail de la dernière usine qui avait survécue jusque là. Ce matin où je ne cherchais pas des roches en forme de fesses avec les autres enfants présents, parce que ma mère pleurait. Même à 7 ans, on comprend que la vie ne devrait pas ressembler à une mère qui pleure.

Aujourd’hui, alors que l'économie demeure la science principale d’une société qui s’est forgée de par sa capacité à consommer et ce tant qu'on n'arrivera pas à se nourrir d'air et de vent, la rumeur se fait entendre, le murmure incessant. Les symptômes se déclarent les uns après les autres, et même si la bulle des bourgeois bohèmes du plateau, éblouis par leur nombril tendance et/ou ce qui donne de l’éclat par ricochet au dit nombril, est épargnée, la gangrène d’une récession proche ronge déjà les régions. Les différents secteurs industriels sont en crise depuis longtemps : le textile, le bois, l’alimentation, l’agriculture. L’inflation a atteint 4,1 % en 2007, un record depuis dix-sept ans, l’impact du crash immobilier est énorme, la bourse débande comme moi en eau froide et le ralentissement apparent de l'économie américaine ne peut mondialement être compensé par les économies du Japon et de l'Europe occidentale, entraînant un effet domino… La mondialisation des marchés n’a amenée qu’une certitude : elle rime aussi avec inquiétude mondiale.

C'est peut-etre con vous direz, mais j'ai peur qu'un matin ce soit Misss l'Amoureuse qui pleure devant mon fils.


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