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Mon horreur des bouchers

Publié le 13 avril 2011 par Taomugaia

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Merci à Marie pour m'avoir communiqué cet extrait des Confidences d'Alphonse de Lamartine.

Mon horreur des bouchers

J’avais un agneau qu’un paysan de Milly m’avait donné, et que j’avais élevé à me suivre partout comme le chien le plus tendre et le plus fidèle. Nous nous aimions avec cette première passion que les enfants et les jeunes animaux ont naturellement les uns pour les autres.

Un jour, la cuisinière dit à ma mère, en ma présence : « Madame, l’agneau est gras ; voilà le boucher qui vient le demander : faut-il le lui donner ? ».

Je me récriai, je me précipitai sur l’agneau, je demandai ce que le boucher voulait en faire et ce que c’était qu’un boucher. La cuisinière me répondit que c’était un homme qui tuait les agneaux, les moutons, les petits veaux et les belles vaches pour de l’argent.
Je ne pouvais pas le croire. Je priai ma mère. J’obtins facilement la grâce de mon ami. Quelques jours après, ma mère allant à la ville me mena avec elle et me fit passer, comme par hasard, dans la cour d’une boucherie. Je vis des hommes, les bras nus et sanglants, qui assommaient un bœuf ; d’autres qui égorgeaient des veaux et des moutons, et qui dépeçaient leurs membres encore pantelants.
Des ruisseaux de sang fumaient çà et là sur le pavé. Une profonde pitié mêlée d’horreur me saisit. Je demandai à passer vite. L’idée de ces scènes horribles et dégoûtantes, préliminaires obligés d’un de ces plats de viande que je voyais servis sur la table, me fit prendre la nourriture animale en dégoût et les bouchers en horreur.
Bien que la nécessité de se conformer aux conditions de la société où l’on vit m’ait fait depuis manger tout ce que le monde mange, j’ai conservé une répugnance raisonnée pour la chair cuite, et il m’a toujours été difficile de ne pas voir dans l’état de boucher quelque chose de l’état de bourreau.
Je ne vécus donc, jusqu’à douze ans, que de pain, de laitage, de légumes et de fruits. Ma santé n’en fut pas moins forte, mon développement moins rapide, et peut-être est-ce à ce régime que je dus cette pureté de traits, cette sensibilité exquise d’impressions et cette douceur sereine d'humeur et de caractère que je conservai jusqu'à cette époque.

Alphonse de Lamartine.Confidences, Livre IV, Chapitre VIII


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