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Intolérance à visage découvert

Publié le 13 avril 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“Par peur de la peur, les politiques participent à l’excitation générale dans l’idée de calmer le jeu” Patrick Bahners journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung

La République chemine sur la ligne de crête de la tolérance. Une situation intermédiaire, sorte de paix armée, qui peut soit déboucher sur la pacification du rapport à l’autre, soit sur la reprise des hostilités. Louer la société de tolérance comme aboutissement peut être piégeux. Où tolérer c’est souffrir, prendre sur soi à propos de quelqu’un, de quelque chose qui potentiellement révulse. Garder au fond des tripes une haine possible. La France a adopté une loi visant à interdire le port de la burqa dans l’espace public. De l’équilibre fragile de la tolérance, on assiste au basculement par la loi vers la contrainte faite aux femmes de ne pas porter un type de vêtement. Pour réprouver les provocantes prisonnières, on déploie selon ses humeurs de mauvaises bonnes raisons, mais aussi de très mauvaises.

De mauvaises bonnes raisons républicaines

E. Hopper

E. Hopper "Mornig Sun" - 1952

N. Mayer sur la base d’études sociologiques, explique que 20 % de la population, sans être racistes ou xénophobes, ni hostiles aux minorités, plutôt jeunes, instruits et dont une partie se revendique de gauche montrent une aversion pour l’islam. Dans ce cadre, il s’agit de réticences pour des pratiques qui paraissent contraires à l’émancipation. De bonne foi, on soutient l’interdit aux adolescentes de porter un foulard dans les écoles, une mère d’élève à participer aux sorties scolaires, et donc avec la dernière directive, d’occuper l’espace public habillée en niqab. On invoque la République, l’égalité et les grands principes comme la laïcité pour passer chaque citoyen au marbre de ce qui faut qu’il soit. On suppose administrer l’émancipation, comme on prescrit un remède. La question n’est plus de sortir du carcan de la religion par la culture ou l’éducation, mais d’extirper l’individu de son minable attifement qui fait honte aux valeurs inaltérables de la République. C’est tout faire à l’envers, ignorer les préceptes les plus rudimentaires du cheminement vers le libre arbitre. De l’affranchissement par le savoir.

On va jusqu’à invoquer nos aïeux morts pour la liberté et les formidables avancées du féminisme qu’elles (filles voilées) oblitèrent. Mais à la fin des fins on préfère enfermer, ostraciser que souffrir la présence.

La gauche, puisque c’est ce qui pose problème, s’appuie logiquement sur la loi pour traiter les questions d’inégalités. Doit-elle le faire sur des questions de conscience, pour sortir ces filles de force de leur cellule en tissu ? Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de libérer en formatant. D’imposer la différence en uniformisant. Les bonnes raisons républicaines à l’émancipation sont timides. La révolution désaliénante nécessiterait alors de dresser une liste de tout ce qui asservit. D’y apporter une solution à coups de contraventions de façon à libérer le citoyen. Révolutionner par des contredanses sur les barèmes de salaires, éradiquer définitivement l’aliénation du jeu, de l’alcool, du tabac, de la télé-réalité, de la propagande publicitaire patriarcale, de la consommation compulsive d’à peu près tout (des escarpins griffés aux tranquillisants)…

Les très mauvaises raisons nationales

Au-delà du prétexte d’émancipation, c’est surtout de conservation dont il s’agit. Dans son tréfonds, le pays ne supporte pas la différence, reste nostalgique d’un hexagone pétrifié, occidental, blanc et catholique. Et dont on a pu voir l’effet que suscite les “provocatrices” sur le parvis de Notre-Dame. Clichés télévisuels qui ont titillé jusqu’aux militants de gauche… C’est dire…

Finalement, le pays dans sa grande part se retrouve dans la permanence verbalisée par C. Guéant “les Français veulent que la France reste la France”. Il se joue avec l’interdiction de la burqa la modification du panorama, d’une écologie visuelle, d’une hygiène franchouillarde. Mais aussi d’une façon bien cocardière de ressentir le pays et ses clochers.

Ce qui se trame finalement c’est le passage sur le mauvais versant de la tolérance, et la reprise des hostilités. Car c’est être bien naïf que de se figurer que la loi n’a pas de portée spécifiquement anti-islam. D’un bout à l’autre du processus, médiatique et politique, dans leurs tête-à-têtes avec le pouvoir ce sont les musulmans et eux seuls qui sont visés.

Un terrain de chasse bien balisé depuis plus de vingt ans, avec les diverses polémiques sur les foulards, prières de rues, pour aboutir aux interdictions dans l’espace public. La droite de bon gré sur des fondements nationaux et patriotiques, la gauche plus engoncée, mais invoquant les valeurs républicaines. Mais tous avec au creux des omoplates la baïonnette frontiste. Quand on a perdu tous les leviers économiques et sociaux, ne restent plus comme champs de médiation, l’insécurité et le nationalisme. L’alchimie politique contemporaine a réussi une magistrale fusion des deux. Parfaitement intégrée dans le débat public et au sein des partis politiques. Obnubilés par les gages à donner à la frange la plus réactionnaire de l’électorat pour tempérer sa colère. Mais c’est perdu d’avance.

Parce qu’il y a bien longtemps qu’ils ont descendu les sentiers de la tolérance.

Vogelsong – 12 avril 2011 – Paris


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