Debeurme © Futuropolis - 2006
Lucille a 16 ans, elle vit seule avec sa mère. Mal dans sa peau, timide, l’adolescente vit une solitude forcée. Elle est prise au piège dans un petit cocon maternel étouffant et source de conflits. Fringues, maquillage, sorties sont des sujets épineux que sa mère refuse d’aborder. Tout est axé sur la réussite scolaire de Lucille le reste importe peu. Même l’anorexie de cette dernière, source fréquente d’inquiétudes quant à son pronostic vital, ne rend pas cette mère plus aimante, plus attentionnée, plus à l’écoute de sa fille…
Dans ce petit port de pêche, Lucille n’est pas la seule à souffrir. Il y a aussi Arthur dont la vie est tout aussi mortifère. Une mère soumise, des frères encombrants, un père alcoolique … Arthur a passé son enfance à compter les verres que ce dernier s’enfilaient après ses longues journées en mer. Son père souhaite qu’il devienne marin, Arthur lutte contre cet avenir tout tracé. Pourtant, il n’a pas d’autre alternative, pas de projets, pas d’ambitions… Sa vie n’est qu’une douleur, son père le rejette et les autres gamins de son âge en payent le prix fort. Arthur s’est imposé comme leur chef charismatique et les petits jeux sataniques qu’il a instauré, en guise de bizutage, sont un piètre défouloir à sa souffrance.
Un jour, Lucille et Arthur se croisent. Leur rencontre va être un pied de nez à la morosité de leurs vies.
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Lucille est un « petit pavé » de 500 pages qui se lit à la vitesse de la lumière. L’album nous plonge en apnée dans le quotidien morose de deux adolescents malmenés par la vie, avant de nous en extraire plus de 200 pages plus loin… à la limite de la suffocation.
L’accueil réservé au lecteur est austère. Au niveau narratif : mélancolie, vies ordinaires, violences morales et physiques, autodestruction, relations mère-fille / père-fils, tabous et héritages familiaux… sont les thèmes rencontrés. On sent les personnages principaux étrangers à eux-mêmes, rongés par une souffrance profonde et, pour y faire face, l’un se perd dans des déviances alimentaires pendant que l’autre se réfugie dans des pratiques mystiques. Comment donc imaginer prendre plaisir à côtoyer pendant 500 pages des pauvres gens, des carcans sociaux et de tristes prisons de l’âme ? D’autant qu’il ne semble y avoir aucune possibilité de changement… juste d’immenses solitudes. Mais on remarque rapidement la pertinence de l’approche de Ludovic Debeurme qui ne juge pas ses personnages. Les qualités de ce récit sont nombreuses, à commencer par l’absence de pathos. Beaucoup de tact dans son approche qui place le lecteur en situation d’observation, Debeurme nous laisse seul face à Lucille et Arthur. Leurs réflexions nous mettent à mal, certains passages sont très durs. Ils nous transmettent leurs tristesses, leurs peurs… De nombreux passages muets nous permettent de matérialiser leurs états d’esprits et donnent de la consistance à leurs sentiments/émotions. La page se tourne facilement malgré l’appréhension de ce qu’on peut y trouver ensuite.
Le graphisme fait écho à la trame narrative puisque Ludovic Debeurme croque du bout de son crayon ses personnages et parvient avec justesse à exprimer leur mal être. L’auteur n’épargne pas ses personnages. On découvre Lucille dans ses habitudes suicidaires, son corps est frêle et vouté. Arthur étouffe dans la haine qu’il nourrit à l’égard des autres. L’auteur évite tout recourt au détail ornemental qui pourrait rassurer le lecteur… il a plutôt celui de la ride, du cerne, ou de la goutte de transpiration. Des fonds de planches blancs et l’absence d’un découpage « par case » renforcent l’impression que les personnages sont livrés à eux-mêmes, comme perdus dans le vide de leurs existences.
Puis, arrivés à la moitié de l’album, un changement s’opère. Lucille et Arthur se rencontrent, leurs vies changent tout comme leurs regards sur le monde environnant. Ils s’acceptent peu à peu mutuellement, puis individuellement. La même mutation s’effectue au niveau des dessins. Initialement grossiers, ils vont peu à peu dégager une sorte de force tranquille. Les personnages deviennent beaux, ils s’épanouissent. Leur spontanéité est prenante, leur sincérité reste intacte. On respire enfin, tout ce blanc oppressant de la première partie de l’album s’évapore pour devenir rassurant. On passe de la mélancolie à l’espoir, de la résignation à la liberté.
Une lecture que je partage avec Mango et les participants aux
Une double claque cet album ! Au niveau graphique, l’album de Ludovic Debeurme est intéressant puisque sans changer son trait, il parvient à créer deux temps de lecture marqués par des atmosphères propres. La métamorphose et le parcours de ces adolescents m’ont complètement convaincue. Une première partie d’album qui n’est cependant pas évidente mais, si le lecteur s’accroche, le plaisir de lecture est au bout du chemin.L’avis d’Oliv.
Extraits :
« J’ai si froid la nuit… je voudrais dormir sans fin. Qu’un rêve m’emporte. Mais je me réveille et je dois tout recommencer. Me nourrir pour survivre alors que chaque bouchée est un supplice. Du poison dans ma gorge. Je veux être vide… légère… la nourriture me remplit. Ce poids dans mon estomac me répugne. Il faut purger ses entrailles. Réduire cette charge qui me pèse. Devenir si frêle… et s’envoler » (Lucille).
« La viande que l’on retourne dans la bouche a un gout de fer… de mort… Je la crache à ta gueule maman » (Lucille).
Lucille
Tome 1
Série en cours
Éditeur : Futuropolis
Dessinateur / Scénariste : Ludovic DEBEURME
Dépôt légal : janvier 2006
Bulles bulles bulles…