Comme beaucoup de gens, j’aime Renée Fleming pour sa voix naturellement, qualifiée par Alain Duault et Colette Masson dans leur beau livre sur l’opéra “de crème et d’or liquide, d’ambre fondant, une voix tout en courbes, en caresses, un voix irrésistible - à laquelle on ne résiste pas”. Je l’aime aussi pour ses incartades dans le monde du jazz surtout quand elle a pour guide, un certain Brad Mehldau. Ici, elle jouait le rôle de Rusalka dans l’opéra de Dvorak, d’après une mise en scène de Robert Carsen à l’Opéra Bastille en 2002.
Rusalka est une nymphe des eaux qui tombe amoureuse d’un prince. On la voit dans l’extrait que je publie, dialoguer successivement avec son père, l’Esprit du lac, puis ensuite avec la lune. Il faut tout de suite préciser que c’est un des passages les plus célébres de l’opéra; Rusalka fait de cet astre, une sorte de confident, d’intermédiaire entre elle et le prince qu’elle aime. Elle lui demande de l’observer, de le serrer dans ses bras afin que le beau visage de la nymphe apparaisse dans les songes de l’élu de son coeur, et qu’au réveil de celui-ci, le souvenir de son visage ne s’efface pas. Bref, on sent que Rusalka s’adresse à la lune, comme s’il s’agissait d’une femme, voire de sa propre mère. C’est un peu comme si, après l’avis d’un père que l’on sait très inquiet à l’idée de perdre sa fille, Rusalka se tournait vers sa mère… Or, pour beaucoup de très anciennes civilisations la lune appartenait plutôt au genre masculin, et le soleil féminin. On peut évoquer le cas amusant des Mongols, où le très redouté Gengis Khan était persuadé d’être le descendant du dieu Lune, par l’intermédiaire de son aïeule primordiale engrossée par un rayon de l’astre. En fait, c’est apparemment au cours d’une longue évolution religieuse que la lune qui admettons-le, porte en général un nom féminin en Occident (en latin “Luna”, en grec “Séléné” ou “Artémis”), sera de plus en plus considérée comme une figure marternelle, qualifiée notamment par Plutarque, de Mère universelle du monde cosmique. A cet égard, dans l’imagerie chrétienne, la Vierge Marie est souvent représentée debout sur un croissant de lune comme dans cette oeuvre de la Renaissance allemande signée des initiales d’Albrecht Dürer (Crédit photographiques RMN). Pourquoi la Vierge est-elle assimilée à cet astre qui a priori, n’a rien de chrétien ? Pour les spécialistes, l’explication se trouverait dans l’Apocalypse de saint Jean (XII, 1): “Un grand signe apparut dans le ciel: une femme vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles”. C’est à cette Lune-mère, que Rusalka confie le secret d’un désir très chaste…