Après une parenthèse d'une petite semaine, le mercredi asiatique est de retour ! Et pas n'importe comment, puisqu'il nous revient avec une thématique qui m'est chère et qui va succéder au parfum policier de ces dernières semaines : la politique. Plus précisément, aujourd'hui, c'est une review en forme de bilan global que je vous propose à propos d'un drama, diffusé sur KBS2 du 15 décembre 2010 au 24 février 2011, dont je vous avais déjà parlé - à travers des premières impressions positives - en février dernier : President - La bataille pour la Maison-Bleue sera sans pitié.
Vingt épisodes plus tard, je ne regrette pas mon investissement. Et si lui consacrer un second billet me tient tout particulièrement à coeur, c'est autant pour son thème et sa qualité d'ensemble, qu'en raison du peu d'articles que j'ai pu croiser à son sujet. Car j'ai l'impression que President est malheureusement passé complètement relativement inaperçu (les audiences n'ayant pas aidé à infléchir cette tendance) et occupe une place de choix dans la catégorie des séries sous-estimées de cette année 2011. D'où la nécessité d'un peu de prosélytisme bien ordonné : même si ce drama n'est pas parfait et même si j'ai conscience que tous les publics ne se retrouveront sans doute pas dans les jeux de pouvoir fascinants, parfois létaux, qu'il offre, j'ai personnellement passé de bons moments sériephiles devant mon petit écran.
Tout d'abord, rappelons brièvement l'histoire. Tout en nous immergeant dans les coulisses de la vie politique sud-coréenne fort agitée, President va avant tout se concentrer sur une thématique centrale : la campagne électorale présidentielle. Plus précisément, ses vingt épisodes vont être en grande partie consacrés à la primaire sans concession qui va se dérouler au sein du parti majoritaire sortant, le Parti de la Nouvelle Vague, entre les différents prétendants à l'investiture suprême. Le parcours vers la Maison-Bleue est semé d'embûches et d'obstacles à franchir. De tactiques électorales nourries de faux-semblants en volte-faces permanents, des fragiles alliances de circonstances aux trahisons inévitables, ce sera celui qui saura se montrer le plus rusé, mais aussi le plus déterminé, qui parviendra au bout de ce long et épuisant marathon politicien.
Le protagoniste central de President est assurément taillé dans cette étoffe particulière, où se mêlent ambitions inébranlables et qualités de stratège indéniables. Il faut dire que c'est sur la tombe de son frère, exécuté pour espionnage en 1981, que Jang Il Joon s'est promis de réaliser un jour ce projet rêvé par une victime des soubresauts politiques d'un autre temps. Cela lui confère une force et une motivation qui transcendent tout. Cependant les voies qui conduisent au pouvoir sont de celles où les compromissions deviennent un jour inévitables ; or la route vers l'Enfer est pavée de bonnes intentions. Dans un milieu politique où tous les coups sont permis, où se situe la ligne jaune ? Quelles limites Jang Il Joon est-il prêt à dépasser ? Sa famille survivra-t-elle à ces turbulences, alors qu'il introduit à ses côtés, autant pour se protéger que pour le protéger, un fils caché qu'il n'a jamais reconnu ?
Moeurs, corruptions, rien ne nous sera épargné durant cette campagne où la loyauté est un luxe que personne ne peut se permettre... Jusqu'où aller dans le sacrifice de ses principes comme de ses proches afin de pouvoir toucher au Graal ? Les blessures résultant de ce combat pour le pouvoir sont-elles vraiment de celles que le temps guérit ?
Choisir de nous faire vivre en priorité les primaires du parti majoritraire, afin de désigner le candidat officiel à l'élection présidentielle à venir, n'est pas une option narrative neutre. Elle va apparaître opportune à plus d'un titre. En effet, au sein du genre politique qu'elle investit, la série délaisse les débats d'idées pour celui de l'affrontement individualisé. Certes, elle esquissera à l'occasion - et de façon parfois plutôt bien inspirée, soulignons-le - des problématiques de société, de la couverture maladie universelle aux fractures générationnelles. Cependant elle demeure avant tout un récit consacré à l'ambition et au pouvoir. Son intérêt premier, c'est de nous faire assister à la lutte intense pour l'investiture, puis à terme à l'ultime bataille afin d'obtenir la consécration que constitue le poste suprême de président. Par conséquent, en privilégiant la narration des affrontements au sein d'un même parti, le drama peut s'éloigner des problématiques de programme politique et légitimement personnaliser les enjeux.
Dans cette perspective, le personnage de Jang Il Joon, figure centrale ambivalente entièrement consacrée vers l'objectif présidentiel qu'il s'est fixé 30 ans auparavant, constitue l'atout majeur d'une série qui repose en partie sur ses épaules. Si la violence du milieu politique est une donnée universelle, le drama effleure ici des spécificités culturelles propres à son cadre. Par l'Histoire même de la République sud-coréenne, à travers les mutations qu'elle a pu connaître à grande vitesse depuis la fin des années 70, il reste de cet apprentissage démocratique une conscience particulière, voire une détermination exacerbée chez les différents protagonistes qui apparaît parfois en pleine lumière. C'est alors une pointe potentiellement plus tragique qui perce, dans la façon dont chacun peut concevoir la politique et dont la deuxième partie de President rend compte. A mesure que le fantôme du frère de Jang Il Joon revient sur le devant de la scène, l'idée selon laquelle la politique peut se forger dans et par le sang se fait très concrète (pas seulement par cette image symbolique d'une bible utilisée pour écrire un programme avec son sang).
Si bien que, même si le drama reste globalement dans un non-dit consensuel quand il se réfère au passé, il prend cependant un goût particulier durant certains passages où se problématise l'arbitrage des sacrifices et du sacrifiable pour poursuivre cette quête vers la Maison-Bleue.
Au-delà de cette course à la réalisation des ambitions, President va savoir fidéliser son public grâce à la consistance et à la richesse d'un récit au cours duquel l'intérêt du téléspectateur ne faiblit pas. La réussite de ce drama va justement résider dans sa capacité à maintenir une tension constante, mais aussi à entretenir une ambiguïté jamais démentie. La série évite en effet toute approche manichéenne. Les personnages ne sont pas unidimensionnels (à quelques rares exceptions secondaires). A mesure que tous gagnent en épaisseur psychologique au fil des épisodes, chacun dévoile une part d'ombre et de lumière. Le tout est de faire en sorte que la première n'éclipse pas totalement la seconde, alors qu'ils finissent par radicaliser leurs positions. Car voilà la problématique informulée qui flotte en arrière-plan : la fin justifie-t-elle tous les moyens ? Jang Il Joon incarne sans doute de la manière la plus représentative et symbolique ce questionnement moral. Echappant obstinément à toute catégorisation, il demeure difficile à cerner pour le téléspectateur. Loin d'être un idéaliste, il est présenté comme un homme de principes... qui n'hésitera pourtant pas à les contourner, voire à les piétiner sans sourciller, au nom d'une plus grande cause. Nous sommes ainsi les témoins privilégiés d'un étrange jeu d'équilibrisme, où le prix à payer semble inéluctable même si le montant demeurera longtemps inconnu.
Cependant, tout en développant ces thématiques politiciennes qui lui sont propres, President va aussi s'approprier les codes narratifs plus classiquement attendus d'une série sud-coréenne. Sans jamais masquer, ni empiéter sur des jeux de pouvoir qui conserveront toujours la priorité, le relationnel sera une constante efficacement utilisée pour fluidifier et lier l'ensemble des storylines du drama. L'empathie qu'il sait susciter conserve les attraits d'un investissement émotionnel qui, s'il n'a rien d'une rom-com ou d'un mélodrama, leur emprunte à l'occasion, sans trop en faire, quelques ficelles narratives. Des questionnements sur la réalité de sentiments facilement écartés sur l'autel des ambitions, à la lente construction de relations où le biologique n'est qu'une donnée anecdotique, en passant par des amours impossibles, voire des affirmations personnelles de jeunes gens qui mûrissent, President offre une forme de cocktail bigarré du savoir-faire sud-coréen dans cette dimension humaine qui lui est chère.
Cela permet de donner une consistance supplémentaire au récit et récompense l'intérêt du téléspectateur qui trouve ici un juste équilibre entre le traitement du politique et un volet qui mettra en valeur un aspect plus émotionnel.
Sur la forme, President est un k-drama classique, relativement abouti. S'il y a peu de choses à dire (ou à redire) sur une réalisation qui correspond au cahier des charges traditionnel de ce type de série, la bande-son a en su revanche apporter une valeur ajoutée appréciable. Plusieurs chansons de l'OST ont des tonalités qui correspondent avec justesse à certaines des thématiques abordées. Sans être omniprésente, la musique - qu'elle se décline par des morceaux instrumentaux ou par quelques chansons - est fréquemment utilisée comme outil de narration, tel que cela est légitimement attendu d'une série sud-coréenne. L'ensemble est donc satisfaisant.
Enfin, si je me serais attachée à la quasi-totalité du casting, il convient vraiment de saluer la performance de Choi Soo Jong (Emperor of the Sea, Comrades). Imposant une présence forte à l'écran, il aura su incarner avec une ambiguïté prenante et une intensité souvent troublante ce personnage très intrigant. C'est d'ailleurs sans doute dans les rares passages où Jang Il Joon apparaît faillible, que l'acteur démontre pleinement tout son investissement dans ce rôle. A ses côtés, Ha Hee Ra (Catch a Kang Nam Mother, Give me food) a trouvé le ton juste pour incarner l'épouse avec toutes les facettes qui l'accompagnent : de la femme à l'égo bafoué par l'arrivée de l'enfant illégitime de son mari à l'alliée solide qui sait prendre ses propres initiatives. Du côté des jeunes adultes, Wang Ji Hye (Personal Preference) n'aura pas dépareillée, sans forcément marquer. Sung Min (du groupe Super Junior) aura eu relativement peu de scènes ; je serais tentée de dire "heureusement", car il ne s'en est pas toujours très bien sorti. Quant à Jay Kim (du groupe Trax), je garderai un souvenir positif de sa performance. Enfin, dans les rôles des conseillers gravitant autour de cette famille, chacun aura pleinement rempli son rôle. On y croisait notamment Kang Shin Il (Call of the country), Im Ji Eun (The Painter of the wind), Lee Doo Il (Chosun Police 3) ou encore Kim Heung Soo (Invicible Lee Pyung Kang).
Bilan : President est un drama solide et consistant, investissant une thématique un peu particulière dans le petit écran sud-coréen : la politique, sans la décliner en rom-com (comme avait pu le proposer par exemple City Hall). C'est une série entièrement dédiée à cette quête du pouvoir, assez fascinante par sa façon de mettre en scène l'ambivalence de la partie d'échecs électorale qu'elle relate : atteindre la Maison-Bleue nécessite des sacrifices, mais jusqu'où la compromission peut-elle aller, et surtout conduire ?
Globalement maîtrisée, la narration parvient à exploiter de manière équilibrée et homogène son format de 20 épisodes. Le seul regret viendra peut-être d'une résolution finale un peu abrupte après s'être si bien attaché à décrire le cheminement pour parvenir aux portes de la Maison-Bleue. En fait, c'est un peu le type de drama où on se dit qu'une saison 2 pourrait être pertinente, car il y aurait encore beaucoup de choses à explorer. Mais cette conclusion perfectible n'occulte en rien les atouts d'une série à découvrir !
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce du drama (VOST) :
Une des chansons de l'OST (4MEN - 독고다이) :