Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Nous sommes aujourd’hui le 12 avril, date soulignée en rouge dans mon calendrier personnel et en noir dans celui d’un certain nombre de personnes. En effet, il y a maintenant dix-neuf ans, jour pour jour (j’aurais pu attendre l’année prochaine pour que ça fasse un chiffre rond, mais mon attention sera alors accaparée par la campagne des présidentielles), la Cinq cessait définitivement d’émettre.
C’est quoi, la Cinq ? Une belle vacherie de Mitterrand ; il avait promis, au cours de sa campagne des présidentielles, de mettre fin au monopole de la télévision d’État, ce qu’il fit effectivement avec Canal+, mais pour que la promesse fût complètement tenue, il manquait encore quelque chose, à savoir une chaîne privée, généraliste et gratuite. Cette chaîne fit son apparition en 1986, Mitterrand espérant ainsi limiter les dégâts aux législatives qui s’annonçaient mal pour lui, et cette chaîne fut donc la Cinq, lancée avec forces strass et paillettes vulgairissimes par un binôme plutôt prometteur, Jérôme Seydoux et Sylvio Berlusconi (et oui…). Ainsi naquit la première télévision gratuite et privée en France, autant dire celle qui a donné le mauvais exemple à TF1 quand celle-ci fut privatisée et à M6 quand celle-ci vit le jour ; elle n’eut même pas l’honneur d’éviter à Mitterrand deux ans de cohabitation et passa ces six ans d’existence à abrutir les gens à grands coups de variétés ringardes, de jeux débiles, de séries américonnes, de dessins animés japoniais (ne cherchez pas la faute de frappe) et de Paris-Dakar. Tout ce qui pouvait se faire de merdique à la télévision fut inauguré, en France, de façon totalement décomplexée sur cette chaîne où firent leurs premières armes télévisuelles des personnages aussi éminents que Jean-Marc Sylvestre, Guillaume Durand, Jean-Marc Morandini, Amanda Lear et quelques autres tronches de cake audiovisuelles…
En 1992, donc, on put assister en direct à « la mort de la Cinq »… J’écris « la mort » car c’est bien ainsi que le personnel de la chaîne avait désigné cet événement : ils ne disaient pas que la Cinq allait fermer, s’arrêter, disparaître, ou simplement cesser d’émettre, mais bien qu’elle allait « mourir », comme meurent les êtres vivants : une chaîne qui « meurt » est, par conséquent, un être vivant à part entière. Vous me suivez ? Alors continuez à être attentif : « la mort de la Cinq » fut mise en scène comme un spectacle à part entière, de même que tout ce que la chaîne avait pu diffuser en « praïme-taïme » depuis sa création ; or, si une chaîne est considérée comme un être vivant à part entière et que l’on en présente toutefois la mort comme un spectacle, s’ouvre alors la voie pour que la mort de tout être vivant puisse être diffusée à l’antenne et présentée comme un spectacle ! À cet égard, le Cinq a aussi donné le mauvais exemple à Canal+ qui a longtemps retransmis la corrida et à TF1 qui, je le rappelle, a poussé au suicide deux participants (si mes souvenirs sont bons) à une de ses émissions de téléréalité…
Une idée à creuser pour les nostalgiques ?
Bref, vous l’aurez compris, la Cinq, à mes yeux, n’était guère plus qu’une télé-pompe à fric comme les autres ; si elle existait encore aujourd’hui, il est plus que probable qu’elle diffuserait les mêmes émissions pourries et dégradantes pour la personne humaine que les autres chaînes. Rien que pour ça, sa disparition en 1992 fut un cadeau du destin pour le souvenir qu’elle a pu laissé, la preuve avec l’existence, encore aujourd’hui, des nostalgiques de la Cinq, qui confirment les propos de Georges le grand en vertu desquels « il est toujours joli, le temps passé ; une fois qu’ils ont cassé leur pipe, on pardonne à tous ceux qui nous ont offensé : les morts sont tous des braves types ». Ces braves téléspectateurs passéistes devraient écrire au président de la République pour que soit engagé le dispositif de retour à l’antenne de la Cinq : notre demi-président leur serait certainement favorable, il était présent au dernier « duel sur la Cinq » pour défendre, face à Noël Mamère, le combat que menait la Cinq durant ses dernières heures (si, si, c’est vrai ; pourquoi l’aurais-je inventé ?). Sans compter que Tsarkozy ne peut pas être hostile à la privatisation de France 5, qu’il a une vision de la culture s’accordant parfaitement avec l’esprit de la chaîne disparue et qu’il est, ne l’oublions pas, très ami avec Berlusconi, le fondateur de cette défunte entreprise…
- Hé, Blequin !
- Quoi ?
- Tu réalises que râler sur une chaîne qui n’existe plus depuis presque vingt ans, c’est aussi utile qu’arroser des cailloux ?
- Mais pas du tout ! C’est sur la Cinq que ça a commencé, la télé-fric pourrie et racoleuse ! Si la télé est comme ça aujourd’hui, c’est à cause de cette chaîne, il faut le dire !
- Arrête, tu sais très bien que la télé prenait déjà les gens pour des cons avant d’être privatisée ! Tu trouves que Guy Lux et les Carpentier, ça valait mieux que Christian Morin et Roger Zabel ? Et puis…tu sais quoi ?
- Non ?
- Ben c’est marrant, mais on dirait que tu râles pour le principe, mais qu’au fond, cette chaîne qui a disparu alors que tu étais encore tout jeune, ça te fascine !
- …
- Blequin ?
- Merde ! Allez, kenavo !