Dans cet article du 7 avril 2011 je rappelle :
"A la dimension religieuse, nord musulman, sud chrétien, s'ajoute une dimension ethnique que l'on retrouve dans tous les pays d'Afrique, qui explique les clivages existant dans un même pays et qui fait partie de la longue histoire du continent que la parenthèse coloniale n'a pas gommé. Les ethnies ivoiriennes du nord sahélien et celles du sud et de l'ouest ne s'entendent pas depuis longtemps et la richesse se trouve ... dans le sud, avec son débouché maritime."
Or Alassane Ouattara représente le nord du pays et Laurent Gbagbo le sud, Abidjan étant la capitale économique où les deux Côte d'Ivoire, que les deux adversaires représentent, font jeu égal, avec des quartiers acquis tantôt à la cause de l'un, tantôt à celle de l'autre.
Les résultats des élections présidentielles, compte tenu des fraudes commises dans les deux camps, ne permettent pas de les départager de manière absolument certaine. Si bien que chacun d'entre eux peut à bon droit revendiquer la victoire. Toutefois la communauté internationale dans cette incertitude choisit son champion, Alassane Ouattara. Pourquoi ? Parce que ce dernier lui correspond parfaitement. Il est favorable à la réunification jacobine du pays, tandis que Gabgbo l'est de la partition, plus conforme à la géographie et à l'histoire. En outre Ouattara n'est-il pas un bon musulman, de surcroît "libéral" ? Ne fait-il pas partie du sérail puisqu'il a été entre autres économiste au FMI ? Cerise sur le gâteau, n'a-t-il pas été marié par un certain Nicolas Sarkozy du temps où celui-ci était maire de Neuilly-sur-Seine ici ? En face de lui Laurent Gbagbo a le grand tort d'être catholique et d'avoir une femme évangéliste. Dans ces conditions être "socialiste" ne suffit pas à le faire mieux considérer par cette communauté internationale qui désormais dirige le monde de plus en plus. Seulement la communauté internationale ne s'attend pas à ce que Laurent Gbagbo s'accroche autant au pouvoir qu'il détient depuis dix ans. Quinze jours après l'élection du 28 novembre 2010, les sanctions économiques pleuvent sur la Côte d'Ivoire pour le faire céder, provoquant ruines et désolations dans le pays.
Comme Laurent Gbagbo ne cède toujours pas et qu'il reste toujours populaire dans le sud, la communauté internationale arme son adversaire qui lance une offensive éclair au cours de laquelle les troupes de Ouattara montrent leur vrai visage qui ne vaut guère mieux que celui des troupes de Gbagbo, comme en témoignent les massacres perpétrés à Douéké, dénoncés par le CICR. Le mythe des bons et des méchants a fait long feu.
Cette offensive ne rencontre pas beaucoup de résistance jusqu'à Abidjan où les forces de Ouattara se heurtent à celles de Gbagbo qui les attendent de pied ferme. Sans l'aide de la communauté internationale il n'est pas du tout sûr qu'elles auraient fini par l'emporter. Ne respectant même pas la résolution 1975 du Conseil de sécurité, les troupes de l'ONU et les troupes françaises, représentant sur place la communauté internationale, offrent la victoire sur un plateau à Ouattara en pilonnant à coup de missiles la résidence de Gbagbo. Que Gbagbo ait été arrêté par des Français ou des Ivoiriens est alors de peu d'importance. Dans cette affaire la communauté internationale aura provoqué calamités sur calamités : - une élection portant en elle tous les germes d'une guerre civile - des sanctions économiques qui ont eu pour conséquence pénuries et appauvrissement de la population civile - une guerre éclair qui fait en une semaine au moins deux fois plus de victimes que pendant les quatre mois précédents
- une fausse paix [la photo provient d'ici] qui commence aujourd'hui par des pillages et des combats à l'arme lourde.
On apprend aujourd'hui que la France apporte une aide de 400 millions d'euros à la Côte d'Ivoire de Ouattara et l'Union européenne une aide de 180 millions d'euros... pour réconcilier et reconstruire. Cette histoire illustre une nouvelle fois le principe des calamités énoncé par Michel de Poncins, qui s'applique tout aussi bien à l'échelle internationale que nationale : "Une calamité d'origine publique conduit toujours à une autre calamité pour soi-disant corriger la première." Francis Richard