Alors qu’elle s’apprête à repartir en tournée défendre ce nouveau cadeau offert au public, elle évoque pour Celine Cinema, son bijou Still Grounds for Love, les films qui l’inspirent, et tout ce qui la rend si singulière, atypique, remarquable.
Votre disque est très … cinématographique… Etait-ce voulu ? Est-ce que le cinéma vous inspire?
J’entends toujours ma musique qualifiée de cinématographique. Je crois que c’est avant tout le reflet de ma façon de composer. Quand je suis en phase de création au piano, j’ai besoin très rapidement de créer des développements, des ruptures de rythme, et ce que j’appelle des creux et des bosses dans lesquels j’imagine des fréquences séquentielles qui vont me faire venir à l’esprit des atmosphères, des paysages, des sentiments et une cohorte de sons que l’on pourrait appeler des bruitages, bien qu’ils soient tous issus d’instruments, passés ensuite dans des filtres ou des effets. Il faut souligner là tout l’art du réalisateur-arrangeur de l’album, Nicolas Boscovic qui m’avait déjà accompagné sur le précédent album B-SIDE Life. Et si les instruments rois sont le violoncelle, les guitares et le piano, vous entendrez aussi des tic-tac, des battements, des respirations, des froissements de feuilles, des instruments peu usités, comme les sifflements de theremin par exemple sur le titre «Trying to».
Quels sont les films qui vous ont le plus inspirés dans votre vie artistique ?
Le cinéma qui m’inspire est évidemment celui de David Lynch, Tim Burton, Miyazaki, Gondry, Cronenberg..…Mais aussi celui où la musique est au cœur du scénario : Trois couleurs : Bleu, La leçon de piano, Le concert ..
Un coup de cœur récent ?
« J’ai évidemment vu Black Swan ! »
A l’heure d’une société très zapping, vous êtes restée solide, fidèle à votre musique, à votre patte, où vous situez-vous, en tant qu’artiste, et en tant que femme, dans ce monde médiatique où tout est jetable ? Qu’est-ce qui vous a différencié des autres ? Qu’est-ce qui vous a « sauvé » si l’on peut dire ?
Effectivement je vois bien que je ne ressemble à personne d’autre dans mon expression artistique, c’est d’ailleurs un casse-tête pour les critiques musicaux qui ne savent dans quelle case me mettre. Sans doute parce que je viens de la musique classique et que lorsque je compose, je ne pense jamais en terme de « chanson », la voix étant un instrument comme les autres dans le spectre général. Sans doute aussi parce-que les instrumentations sont très riches et qu’elles occupent toutes les fréquences, donc l’oreille est sans cesse alertée et baigne dans une grande spatialité avec toutefois la voix mise en proximité pour entretenir une forme de conversation en tête à tête !
C’est sans doute aussi parce-que, ayant pris un virage à 180 degrés il y a quelques années en acceptant enfin de me mettre totalement au service de la musique que je portais en moi depuis mon enfance, je n’avais pas les mêmes besoins de reconnaissance. Tout ceci ajouté à mes multiples influences, et mon vécu, a façonné une forme musicale "hors du temps" qui effectivement me différencie des autres… En cela, la maturité m’a sauvée !
Le titre de l’album est évocateur de l’ensemble des titres. « STILL GROUNDS FOR LOVE» évoque à la fois l’utopie de l’amour et le rêve vivant en chacun de nous de la félicité. « Grounds » c’est la terre, c’est aussi le terreau fertile où tout peut encore (still) pousser, mais cela évoque aussi la mélancolie du temps qui passe inexorablement, espoirs et déconvenues mêlés – je parle de l’espoir au sens le plus large, celui de nous reconnaître un jour dans l’immensité de l’espace et du temps, et de nous reconnaître surtout dans l’amour, territoire que nous n’osons toujours pas explorer !
Si l’on essaie d’aller sur chaque titre, SAILORS, c’est une naissance jamais comprise et parcourue à l’aveugle – STRONG INSIDE, c’est la quête d’un amour perdu qui nous relie au divin – LE COURS DE MA VIE, ou pourquoi notre passage sur terre – THE STORY OF THAT GIRL, la question de la relation à l’autre qui est vitale dans les méandres de notre vie – BOOKS and LOVERS, l’amour de la littérature qui nous ouvre aux autres – CONNECTED QUEEN, la femme souveraine, questionnement de l’homme – THE STRINGS OF MY FATE, la passion incandescente et fatale..
Avec ce 3e album, je voulais être plus unie, ré-unie que les précédents qui étaient une série de vignettes. Je voulais également qu’il soit plus acoustique avec une présence plus forte des guitares par rapport au piano..
Avec le réalisateur, nous l’avons pensé en saisons avec une forte tendance vers l’automne qui excelle en mélancolie et en tonalités douces.
La pochette de l’album est également très belle, très intéressante … Cette fleur fanée, aux immenses racines … et ce titre contradictoire .. « Still Grounds for Love », pouvez-vous m’en dire plus ?
Là, ce sont les hasards de la vie qui vous font faire la bonne rencontre ! En fait, je ne crois pas au hasard au sens de la chance, mais plutôt au destin.. J’avais décidé de chercher une graphiste dans mes réseaux sociaux, et j’ai totalement flashé sur un porte-folio où chaque image me paraissait avoir du sens. J’ai contacté Caroline Lysiak qui habite à Bordeaux et nous avons travaillé à distance. Je lui ai donné le titre de l’album, lui ai évoqué ce qu’il signifiait pour moi. Elle m’a envoyé 3 esquisses, et la pochette était là, immédiate, flagrante ! C’est une réussite totale pour moi, d’autant plus qu’il était difficile après la « fillette en apesanteur » de l’album précédent B-SIDE Life.. d’avoir à nouveau une forte charge émotionnelle.
"La fleur fanée est le monde d’aujourd’hui, les racines immenses qui portent des feuilles sont celles de l’espoir, et c’est là tout le sens du titre !"
Vous repartez pour une série de concerts … J’ai eu la chance de vous écouter en live, et il se passe toujours quelque chose de fort entre vous et votre public ….Vous semblez entretenir avec lui, un lien tout particulier … Comment expliquez vous cela ?
Difficile de vous répondre, je tenterais de dire que c’est le mélange de la maturité tranquille avec la passion qui me porte. Et que je suis très abordable après les concerts..
J’essaie toujours d’aller à la rencontre des personnes qui me font l’honneur de se déplacer pour nous écouter, et je pense que cela touche les gens. C’est aussi l’univers que nous déployons sur scène, puisqu’à 4, nous jouons clavier, guitare acoustique, guitare électrique, basse, batterie, violoncelle, trompette, trombone, scie musicale, glockenspiel, mélodica, percussions. D’ailleurs, les arrangements pour la scène sont très différents de ceux des albums, et je pense que cela aussi est un plus pour ceux qui viennent nous écouter.
Vous privilégiez également toujours les petites salles, pour l’intime ? L’acoustique ?
OUI, j’aime la proximité du public, je déteste avoir le noir devant à cause d’une rampe de projecteurs et ne pas voir qui est dans la salle. Pour l’acoustique, ce sont d’autres contingences et malheureusement on n’a pas toujours de bonnes conditions techniques, mais il faut faire avec.
Enfin, une dernière question, les critiques concernant votre dernier album sont excellentes, le public sera au rendez-vous … Qu’est ce que l’on peut vous souhaiter d’autre pour 2011 ?
Me souhaiter déjà que le public soit au rendez-vous… et cela passe par un incontournable, que les producteurs de spectacle et les programmateurs m’insèrent dans leur planning de concert. Et cela, ce n’est pas gagné ! car je ne fais pas de la chanson française, ni du hip hop, ni du gros rock, ni vraiment de la folk… encore un casse-tête !
Il faudrait que l’un de mes titres puisse être pris en synchronisation pour une pub ou un film (comme Aaron) pour que cela bouge un peu plus !! mais bon, cela n’altère pas ma bonne humeur !!
Propos recueillis par Céline Gobert pour Celine Cinema.com
A noter que l’album est disponible en téléchargement sur les plates-formes digitales et dans les bacs des (bons) disquaires. Vous pouvez également retrouver Watine sur son site internet : ICI
STILL GROUNDS FOR LOVE (Catgang Productions/La Baleine/Believe)