L'annonce est tombée hier, lundi 11 avril 2011 : la capture de Laurent Gbagbo, président sortant de la Côte d'Ivoire, par les partisans d'Alassane Ouattara, son opposant dans les élections présidentielles de la fin 2010 (voir le billet détaillé "Côte d'Ivoire : deux présidents pour un pays ? Retour sur la question de la partition du pays"). Une guerre milicienne a déchiré le pays depuis le second tour de ces élections. Si les observateurs extérieurs se sont, dans un premier temps, félicités du bon déroulement du processus électoral, de nombreux problèmes structurels et conjoncturels ont rapidement rattrapé ces pronostics favorables. Dès le lendemain du second tour, les deux candidats se sont déclarés vainqueurs des élections. Deux présidents pour un pays, tous deux soutenus par la moitié de la population, mais surtout par des groupes miliciens. Deux commissions également qui ne reconnaissent pas le même président pour la Côte d'Ivoire. La situation s'est rapidement enlisée, et une guerre civile a éclaté en Côte d'Ivoire.
De la géographie des combats à la géographie de la vulnérabilitéDe nombreux villages ont été détruits et pillés, de nombreux quartiers urbains se sont retrouvés au coeur des affrontements entre miliciens défendant l'un ou l'autre des candidats. La population civile a survécu dans des abris de fortune. Par exemple, dans le quartier populaire abidjanais Treichville, les habitants se sont regroupés dans de grandes pièces ou de grandes salles, ne sont pas sortis de chez eux pendant des semaines, attendant que les tirs passent, et souhaitant qu'ils détruisent les habitations laissées vides. Les mobilités des habitants étant réduites au strict nécessaire (approvisionnement très restreint en nourriture), les risques sanitaires ont nettement augmenté pendant cette guerre : que ce soit dans les villages ou dans les quartiers urbains, les immobilités des habitants ont eu de graves conséquences sur l'accès aux soins médicaux et aux médicaments pour soigner les populations les plus vulnérables (personnes âgées, jeunes enfants, malades, handicapés...). De même, l'accès à l'eau potable a été coupé dans certains quartiers, du fait des destructions. Il faut rappeler que la ville d'Abidjan est passée en 50 ans de la bourgade à la métropole, et dans de nombreux quartiers l'urbanisme est déficient. Or, de nombreux quartiers touchés par de violents combats présentent des risques épidémiologiques très importants (voir le billet "La guerre, la ville et la santé"). Cette situation a fortement été aggravée par le départ de nombreux habitants, déplacés de guerre, fuyant les combats dans leurs espaces de vie (par exemple, des habitants du quartier d'Abobo sur la photographie). De fait, le processus de reconstruction va être fondamental pour apaiser des tensions sociales qui peuvent s'insérer dans la vie politique et dans la gouvernance urbaine (voir le billet sur "Les risques de la reconstruction"). Le processus de reconstruction laisse souvent des quartiers entiers "de côté", renforçant les rancoeurs entre certaines parties de la population.
Les miliciens dans la ville aux lendemains de la chute de Laurent GbagboAprès avoir été capturé par Laurent Gbagbo et ses proches, réfugiés dans le Palais de la Présidence, les partisans d'Alassane Ouattara l'ont ramené dans l'Hôtel du Golf, devenu le QG d'Alassane Ouattara. Ce mardi 12 avril 2011, Laurent Gbagbo a été évacué vers un lieu tenu secret. Mais la sortie du président sortant ne signifie pas l'arrêt des combats. Selon l'AFP, des tirs à l'arme lourde avaient été tirés ce 12 avril dans les quartiers du Plateau (quartier des affaires) et de Cocody (quartier aisé). Pour l'heure, les habitants restent enfermés dans leur habitat-refuge. La ville n'est pas apaisée, les miliciens des deux candidats restent répartis dans la ville où ils défendent leurs quartiers-territoires (Cocody et le Plateau sont en effet considérés comme des bastions tenus par les Patriotes, les miliciens de Laurent Gbagbo, dans cette guerre). Les affrontements miliciens se poursuivent dans la ville d'Abidjan. Le retour à la "normale" risque encore de se faire attendre. Plus encore, Alassane Ouattara va devoir faire face au problème de la division de son pays : s'il a annoncé que le processus de réconciliation serait la priorité, il lui faudra certainement voir son pouvoir contesté dans certaines régions du pays, tout comme dans certains quartiers-territoires abidjanais. Le processus de réconciliation nationale va être d'autant plus difficile que des exactions ont été commises par les deux camps (à lire le billet de Sonai Le Gouriellec : "Côte d'Ivoire : et maintenant ?"). Et la présence des forces militaires étrangères en Côte d'Ivoire (Licorne et ONUCI) est un point souvent contesté sur la scène politique ivoirienne (par exemple, cette photographie publiée dans La Dépêche d'Abidjan). D'autant que la communauté internationale est divisée sur la question de la Côte d'Ivoire (pour exemple, la Chine et la Russie ont apporté leur soutien à Laurent Gbagbo).
==> La chute de Laurent Gbagbo n'est pas une fin en soi. D'une part, elle conteste des résultats électoraux non recomptés qui ont vu deux commissions valider la victoire de deux candidats. D'autre part, les acteurs en armes restent mobilisés dans la ville d'Abidjan comme dans l'ensemble du pays. Enfin, le processus de réconciliation devra faire face à une profonde aggravation des vulnérabilités sociales, dans les villes comme dans les espaces ruraux.