Aussitôt les résultats connus, les commentateurs politiques du pays se sont empressés de dire que 70% du pays n’avait pas voté pour Humala et que la majorité de la population soutiendrait Fujimori au second tour. Mais ce raisonnement apparait aujourd’hui beaucoup trop simpliste, surtout connaissant la volatilité de l’électorat et le rejet important de la classe moyenne envers les deux candidats restants.
En bon disciple d’Hugo Chavez, Humala souhaite changer la constitution du pays (probablement pour se faire réélire et rester au pouvoir aussi longtemps que le leader vénézuélien) et faire intervenir davantage l’état dans le contrôle de l’économie du pays, ce qui ne manque pas d’effrayer le monde des affaires péruviens estimant que l’économie locale ne s’est jamais mieux portée ces 20 dernières années. Rappelons qu’Humala n’a rien d’un saint. Avec son jeune frère (en prison pour trahison d’état), il prit d’assaut un commissariat de police en Janvier 2005 au nord du Pérou afin de demander la démission du président Toledo. 4 policiers perdirent la vie pendant les 3 jours d’assaut afin de libérer le commissariat.
Humala n'est pas Lula
Lors de cette campagne électorale, Humala s’est comparé à Lula afin d’avoir l’air un peu plus présentable aux yeux de l’opinion internationale. Ne nous méprenons pas : contrairement à Humala, Lula disposait d’un vrai parti politique, n’a jamais eu un passé de militaire, ni n’a tenté de coups d’états. Enfin, Lula n’a jamais voulu rompre avec le système démocratique et économique mis en place dans son pays et il n’a jamais voulu refondre la constitution du Brésil.
Keiko Fujimori souhaite poursuivre le libéralisme de son père, instaurée il y a 20 ans, alors que ce dernier croupit dans une prison à Lima suite à de multiples violations des droits de l’homme sous son régime. Beaucoup estiment que sa fille risque les mêmes dérapages et rejettent l’idée d’un régime autoritaire. Mais on ne connait pas vraiment la réelle personnalité de Keiko Fujimori.
Il est donc impossible de dire aujourd’hui qui sera président du Pérou le 5 Juin prochain. Une nouvelle campagne débute avec son lot d’incertitudes. On peut s’étonner en France de voir deux candidats aussi opposés s’affronter dans un deuxième tour. Mais la France n’a pas de leçon à donner depuis l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle 2002. On pourrait aussi faire une comparaison audacieuse entre Keiko Fujimori et Marine Le Pen, d’une part parce qu’elles sont jeunes mais aussi parce qu’elles sont bien les filles de leurs papas. Néanmoins, le libéralisme économique de Fujimori tranche avec le programme économique axé à gauche de Mme Le Pen.
Pour expliquer ce choix surprenant des péruviens, les analystes politiques pointent du doigt le président actuel, Alan Garcia. Alors que l’économie péruvienne n’a jamais été aussi solide, le président en exercice a été incapable de procéder aux réformes nécessaires dans le domaine de l’éducation, de la santé et des infrastructures. Il suffit de voir dans quel état se trouvent les bidonvilles de Lima, sans eau potable, à quelques encablures de l’aéroport international, pour comprendre que ce pays n’a guère aidé les plus démunis ces dernières années.
La plume de Santiago Pedraglio, journaliste politique pour le site « Peru21 » nous met sur la voie : i[« 5 ans d’Alan Garcia au pouvoir, avec une croissance économique presque à deux chiffres n’ont rien produit qui ont permis de changer l’existence de ceux qui demandaient le changement. La personne responsable de ce terrible fiasco de dimanche soir est Garcia lui-même. Le pays a exprimé son grand mécontentement. Il a légitimé le parti politique de Keiko Fujimori qui comprend la vieille garde de son père et il a tout fait pour marginaliser la candidature de Toledo. »]i
Aujourd’hui, dans un sondage paru dans le magazine économique « la Semana Economica » de notre confrère Rodrigo Salazar, seulement 18% des péruviens sont satisfaits de la situation économique de leur pays et 14% estiment juste la redistribution des richesses.
.Il faut aussi reconnaitre que le gouvernement de Garcia a été maladroit dans sa capacité à régler les situations conflictuelles du pays, avec un dédain manifeste du président concernant les droits des indigènes, un des problèmes fondamentaux du Pérou. La mort tragique de 14 policiers et de 10 indigènes lors d’une manifestation qui prit une mauvaise tournure en 2009 jeta un certain discrédit sur l’action gouvernementale.
Le 5 Juin, jour de finale de Roland-Garros où Rafael Nadal essaiera d’égaler le record de victoires de Bjorn Borg, le Pérou connaîtra le nom de son nouveau président. Il sera celui qui réussira à réunir les votes de la classe moyenne, les deux candidats ayant surtout capitalisé les votes des classes les plus pauvres, qu’elles vivent en périphérie des villes ou dans les campagnes.