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Pour les dames religieuses : les splendeurs secrètes d'Henry du Mont révélées par Bruno Boterf

Publié le 12 avril 2011 par Jeanchristophepucek
philippe de champaigne marie madeleine

Philippe de Champaigne (Bruxelles, 1602-Paris, 1674),
Marie-Madeleine
, sans date.

Huile sur toile, 72,5 x 59 cm, Tokyo, National Museum of Western Art.

Henry du Mont a fait partie, en France, des oubliés de 2010 puisque la commémoration du 400e anniversaire de sa naissance a été plus ou moins complètement passée sous silence alors qu’en dépit de sa discrétion, si on le compare à certains de ses collègues prompts à s’arroger leur place au Soleil, il est sans doute un des plus importants compositeurs de musique sacrée actifs en France au XVIIe siècle. Ricercar nous offre aujourd’hui la suite d’un premier volume marqué du sceau de l’excellence (RIC 293, un extrait dans ce billet), avec Pour les dames religieuses où officient à nouveau les solistes du Chœur de Chambre de Namur sous la direction de Bruno Boterf.

Bien qu’il ne soit pas inconnu des amateurs de musique baroque, il ne me semble pas totalement inutile de dire quelques mots de du Mont. Né Henry de Thier en 1610 à Looz dans la Principauté de Liège, formé dans la tradition polyphonique du Nord à la basilique Notre-Dame de Maastricht, dont il est nommé organiste dès 1629, avant de se familiariser avec les nouveautés musicales en provenance d’Italie à la cathédrale Saint-Lambert de Liège, sa présence est attestée à Paris en 1640, où il est suppléant de la tribune de l’église Saint-Paul, dont il devient titulaire en 1643. Pour celui qui, devenu français en 1647, se nomme maintenant du Mont, l’année 1652 est déterminante, puisqu’il y publie ses Cantica sacra, premier recueil de petits motets imprimé en France, et y obtient son premier poste à la cour, en qualité de claveciniste du duc d’Anjou. En juillet 1663, il est nommé sous-maître de la Chapelle du roi pour le quartier d’octobre à décembre ; cette charge était normalement répartie entre quatre musiciens, mais, dès 1668, il la partage, à égalité de six mois, avec le seul Pierre Robert. Cette même année paraissent ses Motets à deux voix, qui seront suivis, en 1681, des Motets à 2, 3 et 4 parties (dont on trouve une très belle anthologie chez Alpha). En 1683, du Mont cesse ses fonctions officielles et il meurt à Paris le 8 mai 1684. Ses Grands motets (quatre ont été remarquablement enregistrés chez Alpha) seront publiés, malheureusement dans une édition particulièrement douteuse, en 1686.

henry du mont
Le recueil des Cantica sacra, dans lequel cet enregistrement puise largement en s’appuyant, avec raison, sur le fait que certaines des pièces qu’il contient ont été objectivement conçues pour des tessitures féminines, est de ceux qui ont contribué à faire évoluer de façon décisive l’esthétique de la musique religieuse française, à tel point que son influence se décèlera toujours un siècle après sa parution. Outre l’importance accordée aux voix solistes et l’apparition d’une basse continue qui s’émancipe de son rôle de doublure pour venir dialoguer avec elles tout en les soutenant, ou suit sa propre fantaisie, la place centrale accordée à l’expression des affects véhiculés par les textes se ressent des conquêtes musicales effectuées en Italie depuis la fin du XVIe siècle. Comment ne pas voir, en effet, un écho des madrigalismes ultramontains dans l’épanouissement, chez du Mont, des ornements appelés à devenir la marque de fabrique de la musique française ? Enfin, le compositeur, en offrant la possibilité de varier ponctuellement la distribution vocale afin d’alterner des ensembles vocaux plus ou moins étoffés, jette les bases de ce qui deviendra le Grand motet, avec son « Grand » et son « Petit » chœur. Un de ses tours de force est sans doute d’être parvenu à intégrer toutes ces inventions dans le vieux moule polyphonique, dont il a hérité au travers de sa première formation, sans le faire éclater, comme le démontrent ses pièces à quatre voix, opérant ainsi une fascinante synthèse entre tradition et innovation. C’est ce qu’illustre parfaitement la Messe du sixième ton, extraite d’un recueil de 1669 qui connaîtra une fortune considérable puisqu’on sait que certaines des messes qu’il contient étaient toujours jouées au XIXe siècle, au travers de son plain-chant revisité où affleure néanmoins parfois une voix très ancienne (mélismes de l’Amen conclusif du Gloria).

Comme dans le volume précédent, le travail effectué par Bruno Boterf à la tête d’une petite équipe issue du Chœur de Chambre de Namur (photographie ci-dessous), composée pour l’occasion de neuf chanteuses souvent accompagnées à l’orgue et plus ponctuellement par deux instruments à cordes (violon et viole de gambe), est absolument remarquable. Il ne fait guère de doute, à mes yeux, que la vaste expérience, tant sur le répertoire baroque que renaissant, de ce directeur d’ensemble, dont le disque consacré aux Psaumes de David de Claude Le Jeune a été récemment salué ici-même par l’attribution d’un « Incontournable », fait de lui un homme particulièrement en mesure de sentir et de traduire les enjeux de la musique de du Mont. Au même titre qu’une réelle beauté plastique, avivée par une prise de son dont la réverbération justement dosée magnifie les voix sans en brouiller les lignes, l’intelligence et la cohérence des choix interprétatifs s’imposent à chaque minute de cet enregistrement.

choeur de chambre de namur
L’équilibre entre neuf et ancien est dosé avec une justesse et une finesse qui forcent l’admiration, comme le montre le Magnificat avec plain-chant alterné, premier moment de grâce ouvrant un enregistrement qui n’en est pas avare (ainsi le O panis angelorum comme en lévitation qui n’aura jamais mieux mérité son nom d’Élévation). Les chanteuses sont globalement excellentes, faisant assaut de souplesse et d’implication pour insuffler à des pièces que leur structure même aurait pu rendre ennuyeuses une vie frémissante et une impalpable luminosité assez incroyables ; écoutez seulement comment la Messe du Sixième ton, dont la destination exige la plus grande sobriété, est finement dynamisée par l’approche des musiciens, tendresse habitée des voix, vigueur colorée des interventions de Freddy Eichelberger à l’orgue, dont il faut saluer l’impeccable prestation tout au long du disque. Après de multiples écoutes, cette réalisation dégage un charme qui, pour n’être pas tapageur, n’en est pas moins puissant ; sa théâtralité palpable mais abordée avec une retenue et une subtilité prouve que le caractère double, italien et français, de l’esthétique de la musique a été profondément compris et offre à l’auditeur une indiscutable impression de vraisemblance qui ressuscite assez miraculeusement la piété raffinée des couvents parisiens.

incontournable passee des arts
Je vous recommande donc très chaleureusement ce splendide enregistrement consacré à Henry du Mont que ses qualités, au même titre que le volume précédent, désignent comme un incontournable de toute discothèque de musique sacrée française du XVIIe siècle, propre à satisfaire les oreilles les plus exigeantes. On espère vivement que Ricercar continuera à encourager Bruno Boterf et le Chœur de Chambre de Namur à poursuivre l’exploration de ce répertoire encore trop méconnu dont ils détiennent visiblement une grande partie des clés.

henry du mont pour les dames religieuses choeur chambre nam
Henry du Mont (1610-1684), Pour les dames religieuses. Messe du Sixième ton, motets, hymnes, préludes et symphonies à l’orgue et aux instruments.

Chœur de Chambre de Namur – Les Solistes
Stéphanie de Failly, violon, Françoise Enock, basse de viole
Freddy Eichelberger, orgue Jean-Baptiste Le Picard (1742)
Bruno Boterf, direction

1 CD [durée totale : 65’45”] Ricercar RIC 305. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Prélude à 3 (orgue)

2. Messe du Sixième ton : Gloria

3. Bernardus doctor, Hymne pour la fête de Saint Bernard

4. Messe du Sixième ton : Credo

Illustrations complémentaires :

Monogrammiste JD, Portrait présumé d’Henry Du Mont, après 1742. Aquarelle sur papier, 27,5 x 36,8 cm, Francfort, Bibliothèque de l’université, Collection Friedrich Manskopf.

La photographie du Chœur de Chambre de Namur est de Jacques Verrees.


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