Philosophie Magazine
Hans Hermann Hoppe – Interview sur les impôts publiée sur son site web
Il y a quelques mois, un journaliste français, M. Nicolas Cori, m’a demandé une entrevue sur le sujet de la fiscalité, en vue d’une publication dans le mensuel français « Philosophie Magazine », à l’occasion des débats actuels sur la « réforme fiscale » en France.
J’ai accepté l’entrevue, elle a été menée par e-mail en anglais. M. Cori a produit une traduction française, mon ami le Dr Nikolay Gertchev a vérifié et corrigé sa traduction, puis j’ai envoyé la traduction autorisée à M. Cori. Depuis lors, et en dépit de sollicitations répétées, je n’ai pas eu de nouvelles de M. Cori. Je ne peux que spéculer sur les raisons de son silence. Très probablement, il n’a pas obtenu la permission de ses supérieurs de publier l’interview, et il n’a pas la courtoisie ni le courage de me le dire.
[Ceci est la version originale française de l'interview sur la fiscalité accordée à Philosophie Magazine (2011)]
Les impôts sont-ils compatibles avec la liberté individuelle et les droits de propriété ? Y a-t-il un taux de prélèvement à partir duquel il n’y a plus de compatibilité ?
Non.
Quel que soit le taux de prélèvement, les impôts ne sont jamais compatibles avec la liberté individuelle et les droits de propriété. Les impôts sont un vol. Naturellement, l’Etat, ainsi que ses agents et alliés tentent de leur mieux de dissimuler ce fait, mais cela ne peut pas être dissimulé. À l’évidence, les impôts sont tout le contraire de paiements ordinaires et volontaires en échange de biens et services : vous n’êtes pas autorisé à mettre fin à ces paiements si vous n’êtes plus satisfait du produit. Alors que vous n’êtes pas puni si vous arrêtez d’acheter des Renault ou du parfum Chanel, vous êtes envoyé en prison si vous arrêtez de payer pour les écoles ou universités publiques aussi bien que pour le faste de Monsieur Sarkozy.
De même, il est impossible de considérer les impôts comme un simple loyer, à la manière de ce qu’un locataire verse à son propriétaire, parce que l’Etat français n’est pas le propriétaire de toute la France ou de tous les Français. Pour devenir le propriétaire, l’Etat français devrait être en mesure de prouver deux choses : que lui, et lui seul, possède tout centimètre carré du pays, et qu’il détient un contrat de location avec chacun des Français quant à l’usage, ainsi que le prix d’usage, de cette propriété. Aucun Etat – pas plus l’Etat français que l’Etat allemand ou l’Etat américain – ne peut prouver cela. Ils n’ont aucun document à cet effet et ils ne peuvent présenter aucun contrat de location. Il n’y a donc qu’une seule conclusion : la fiscalité, c’est le vol et le brigandage par lesquels une partie de la population, à savoir la classe dirigeante, s’enrichit au détriment du reste de la population, à savoir les gouvernés.
Est-ce un « mal » de ne pas payer d’impôt ?
Non.
Etant donné que les impôts sont du vol, il ne peut y avoir aucun mal à ne pas payer les voleurs ou à mentir sur son revenu et ses actifs imposables. Pour autant, ce n’est pas prudent ou sage de faire cela -après tout, comme Nietzsche l’a dit, l’Etat est « le plus froid de tous les monstres froids » et il peut ruiner votre vie, même vous détruire, si vous n’obéissez pas à ses règles. Mais cela ne fait aucun doute qu’il est juste de ne pas payer d’impôt.
Y a-t-il des critères qui permettent de déterminer si un impôt est équitable ? Si oui, ces critères sont-ils partagés par les différentes écoles de pensée philosophique ? L’impôt progressif est-il forcément plus équitable que l’impôt proportionnel ?
Nous savons qu’aucun impôt n’est équitable, qu’il soit progressif ou proportionnel. Comment le vol et le brigandage pourraient-ils être équitables ? Le « meilleur » impôt est toujours le plus bas possible, bien que ce soit toujours un impôt. Dans cette optique, il faut une taxe fixe pour tous, un impôt forfaitaire comme la poll tax mise en place par Margaret Thatcher en Angleterre en 1989, où chacun payait la même somme. Un tel impôt devra être bas, puisque même les plus pauvres devront être capables de le payer.
Mais même un tel impôt est toujours du vol, et il n’a rien d’équitable. L’impôt forfaitaire ne traite pas tout le monde de manière égale, puisqu’il fonctionne selon le principe de « l’égalité devant la loi ». Par exemple, les salaires des fonctionnaires et des personnes à charge (les retraités ou les bénéficiaires de l’aide sociale) sont payés par les recettes fiscales. En fait, ces personnes ne paient pas d’impôt. La totalité de leur revenu (après paiement de l’impôt forfaitaire) provient de l’impôt des autres. Ce sont des consommateurs d’impôts, vivant des revenus et de la richesse volée à d’autres, à savoir les producteurs d’impôt. Qu’y a-t-il d’équitable à ce qu’un groupe vive tel un parasite aux dépends d’un autre groupe ?
Les philosophes s’accordent-ils sur la question de l’impôt ?
Non, mais cela n’est guère surprenant. Presque tous les philosophes professionnels, actuellement, sont des consommateurs d’impôt. Ils ne produisent ni biens ni services qu’ils vendraient sur le marché à des consommateurs volontaires de philosophie. En fait, comme le prouve l’actuelle demande, les travaux de la plupart des philosophes contemporains sont à considérer comme n’ayant aucune valeur. Ce qui plus est, la plupart des philosophes d’aujourd’hui sont payés par les impôts. Ils vivent de l’argent volé ou confisqué. Si votre gagne-pain dépend des taxes, vous n’êtes pas incité à vous opposer à l’institution de la fiscalité. Bien sûr, ce n’est pas nécessairement le cas.
Notre « conscience » n’est pas déterminée par notre « être », pour reprendre les termes de Marx. Cependant, une telle opposition n’est pas très probable. En effet, comme la plupart des « intellectuels », les philosophes en général souffrent d’un ego sur-dimensionné. Ils croient faire un travail de grande importance et sont irrités par le fait que « la société » ne les rémunère pas à la hauteur. Par conséquent, lorsque la question de la fiscalité n’est pas tout simplement ignorée par eux, les philosophes ont toujours été à la pointe des raisonnements les plus tordus pour justifier les impôts – ou l’art de masquer le vol en quelque chose de « bon »- et particulièrement pour eux, les salaires des philosophes-fonctionnaires.
Une réflexion éthique sur l’impôt doit-elle s’intéresser à l’efficacité économique des méthodes de taxation ?
Afin de parler d’une action comme «efficace», il est nécessaire que nous définissions d’abord un but, une fin. Quelque chose peut être considéré comme efficace ou inefficace seulement à la lumière d’un objectif donné. C’est la tâche des économistes et de l’économie dite « positive » de déterminer quelles sont les mesures efficaces (ou inefficaces) dans la réalisation de telle ou telle fin. Par exemple, si vous voulez augmenter le chômage, les économistes vous disent qu’augmenter le salaire minimum à, disons, 100 euros de l’heure est efficace. Si, au contraire, votre but est de réduire le chômage, alors, grâce aux économistes, vous savez qu’il faut abolir toutes les lois sur le salaire minimum.
Cependant, les économistes, en tant qu’économistes, n’ont rien à dire au sujet de l’acceptabilité ou de l’opportunité des objectifs en question. C’est la tâche des philosophes de déterminer quels objectifs sont justes et acceptables et quels objectifs ne le sont pas. (Les économistes informent ensuite les philosophes sur les moyens efficaces ou inefficaces pour atteindre les objectifs déjà justifiés).
Comme je l’ai déjà indiqué, la profession des philosophes n’a tout simplement pas fait son travail. Les philosophes donnent beaucoup de conseils sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire, bien sûr, mais leurs conseils ont peu ou pas de poids intellectuel. Dans presque tous les cas, il s’agît de simples opinions, de l’expression de goûts personnels, rien de plus. Si vous leur réclamez une « théorie de la justice », censée fonder leurs recommandations, ils n’ont pas de telle théorie. Ils ne peuvent offrir qu’une série de jugements de valeur, laquelle d’habitude ne satisfait même pas les exigences de cohérence interne.
Une théorie de la justice digne de ce nom doit d’abord reconnaître le fait le plus fondamental de la vie humaine : la rareté des biens, c’est-à-dire l’absence de super-abondance. Non seulement la rareté, et la rareté seule, entraîne la possibilité de conflits entre les uns et les autres -je veux faire X avec une ressource rare alors que vous voulez faire Y avec la même ressource-, mais sans conflits, nous n’aurions pas besoin de règles ou de normes, le but des normes étant d’éviter les conflits.
En l’absence d’une harmonie pré-établie de tous les intérêts, les conflits ne peuvent être évités que si toutes les ressources rares sont détenues de manière privée, c’est-à-dire par un propriétaire bien identifiable et exclusif parmi tous les propriétaires. Et pour éviter les conflits depuis le début de l’humanité, pour ainsi dire, toute théorie de la justice doit être fondée sur une norme qui régit la première et originelle appropriation des ressources rares comme propriété privée.
La philosophie contemporaine, la plupart du temps, semble ne pas être au courant de tout cela. Souvent, j’ai même l’impression que le fait même de la rareté n’est pas reconnu ou pleinement compris.
Quel doit être l’objectif de la politique fiscale : redistribuer les revenus, viser l’égalité de condition de tous, assurer aux pauvres des conditions de vie dignes, maximiser le bien-être collectif ?
Si les impôts sont du vol, il ne devrait y avoir aucun impôt et aucune politique fiscale. Tout débat sur le sujet des objectifs de la politique fiscale et de sa réforme est une discussion entre voleurs et partisans de ce vol qui ne se soucient guère de justice. Le vol est leur souci. Ils se disputent sur la question de savoir qui devrait être taxé, à quel taux, pour quel usage des impôts. En revanche, ils s’accordent tous sur ce point : plus la quantité du butin est grande, et plus le coût de sa collecte est bas, mieux les choses vont pour eux. En fait, c’est ce que toutes les démocraties occidentales mettent en pratique aujourd’hui : choisir les taux d’imposition et les formes d’imposition qui maximisent les recettes fiscales.
Toutes les discussions actuelles sur la réforme fiscale, en France, en Allemagne, ou encore aux États-Unis, où l’on débat de l’introduction ou de la suppression de taxes sur la richesse ou l’héritage, de l’imposition progressive ou proportionnelle des revenus, de la prise en compte des gains en capitaux comme simples revenus, de la possibilité de remplacer les impôts indirects comme la TVA par des impôts directs ou enfin de l’augmentation et de la diminution des taux d’impôt, ne sont en aucune manière des discussions sur la justice. Elles ne sont pas motivées par une opposition de principe à l’imposition, mais par le désir de rendre la fiscalité plus efficace, c’est-à-dire de maximiser les recettes fiscales. Toute réforme fiscale qui n’est pas, au minimum, « fiscalement neutre », est considérée comme un échec ; seules les réformes qu’accroissent les recettes fiscales sont considérées comme un «succès».
Je me dois de demander à nouveau : comment pourrait-on considérer ceci équitable ? Tout cela est, bien sûr, « bon » du point de vue des consommateurs d’impôt. En revanche, du point de vue des producteurs d’impôt, de ceux qui paient l’impôt effectivement, cela n’est certainement pas « bon », c’est « pire que mauvais ».
Une dernière remarque sur les effets économiques de la fiscalité : tout impôt est une redistribution des richesses et des revenus. La richesse et le revenu sont pris de force à leurs propriétaires et producteurs et transférés à des personnes qui n’ont ni possédé cette richesse, ni produit ce revenu. L’accumulation future de la richesse et la production de revenu sont ainsi découragées, alors que la confiscation et la consommation des richesses et revenus existants sont encouragées. En conséquence, la société sera appauvrie. Et quant à l’effet de la sempiternelle, et très populaire proposition égalitaire de taxer les «riches» pour donner aux «pauvres» en particulier : un tel programme ne réduit ni n’atténue la pauvreté, mais, bien au contraire, il augmente la pauvreté. Il réduit l’incitation à rester ou à devenir riche et à être productif, tout en augmentant l’incitation à rester ou à devenir pauvre et à être non-productif.
Les riches doivent-ils être traités différemment des pauvres ?
Toute personne, riche ou pauvre, doit être traitée de la même façon devant la loi. Il y a des gens riches qui n’ont escroqué personne. Ils sont riches, parce qu’ils ont travaillé dur, ils ont économisé précautionneusement, ont été productifs et ont fait preuve d’ingéniosité entrepreneuriale, souvent sur plusieurs générations. De telles personnes ne devraient pas être seulement laissées tranquilles ; on devrait les louer tels des héros.
Il y a des gens riches, appartenant principalement à la classe dirigeante, contrôlant l’appareil d’Etat ou liés au monde de la banque et du « big business » qui ont bénéficié indirectement de la confiscation, du vol et de la fraude. On ne doit pas laisser ces personnes tranquilles, mais les condamner comme des gangsters.
Le même raisonnement s’applique aux pauvres. Certains sont des gens honnêtes, et devraient donc être laissés en paix. Ils ne sont peut-être pas des héros, mais ils méritent notre respect. Il y a aussi des gens pauvres qui sont des escrocs, et qui doivent être traités en tant que tels, indépendamment de leur « pauvreté ».
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