Face à la puissance chinoise, les stratèges indiens comprennent qu’un armement conventionnel ne sera jamais suffisant et il ne permettra pas à l’Inde d’arriver à une parité capable de dissuader l’adversaire. L’option nucléaire, option encore taboue, s’impose donc, car elle seule créera un équilibre de la terreur, indépendant du nombre de divisions, de chars ou de combattants.
Dans un des ses discours Nehru lui-même a fait allusion à « la bombe » : « Nous devons développer
l’énergie atomique, sans idée de guerre. Je pense vraiment que nous devons la développer à des fins pacifiques. Bien sûr, si en tant que Nation nous sommes contraints de l’utiliser à d’autres
fins, alors aucun argument sentimental ne nous retiendra de l’utiliser à cette fin ».
Ce n’est qu’une allusion mais elle est claire.
Cependant, Nehru, n’a pas encore franchi, au moins officiellement, le pas. Même si des voix s’élèvent pour demander un programme nucléaire militaire, Nehru réaffirme son opposition en affirmant que « le coût et les efforts pour faire une arme nucléaire, ainsi que l’hypocrisie consistant à demander aux autres pays de les abandonner, ne justifient pas le maigre bénéfice psychologique que représenterait l’accès au rang de puissance nucléaire ».
Le 15 septembre 1962, le Atomic Energy Act est modifié par le parlement et ses compétences sont élargies.
Les Canadiens livrent à l'Inde en 1963 un réacteur de recherche à eau lourde CANDU de 40 MW thermiques, capable de produire 5 kilos de plutonium par an. La même année l'Inde signe un contrat avec General Electric pour la construction de deux réacteurs à eau ordinaire de 210 MWe à Tarapur. Un contrat de trente ans est signé avec les Etats-Unis pour la fourniture du combustible pour la centrale.
Nehru meurt en 1964 et c’est Shastri qui devient premier ministre. Celui-ci essuie des débats houleux au parlement sur la question nucléaire mais conclut que pour des raisons tant morales qu’économiques, l’Inde ne s’engagera pas vers le nucléaire militaire.
Bhabha dut entreprendre un grand travail de persuasion pour convaincre le premier ministre de continuer à préparer le nucléaire militaire. Ils se mirent d’accord sur un programme appelé PNE (Peaceful nuclear explosives…
En 1964, la Chine procède à des essais nucléaires; Homi Bhabha affirme que l'Inde peut fabriquer une bombe atomique en dix-huit mois.
En 1965 c’est la deuxième guerre indo-pakistanaise. La même année un réacteur de recherche de 5 MWt donné par les Etats-Unis est construit à Pinstech au Nilore, au Pakistan. La capacité est augmentée jusqu'à 810 MWt avec l'aide de la France.
Le Premier ministre pakistanais, Ali Bhutto, déclare que si l'Inde développe des armes nucléaires, le Pakistan va « manger de l'herbe ou des feuilles, voire même jeûner » afin de développer à son tour un programme nucléaire.
Le 24 janvier 1966, Homi Bhabha est à bord du Boeing d’Air India qui le mène à New York pour une conférence internationale. Mais le destin de ce grand scientifique indien est emporté dans le crash de cet avion au-dessus des Alpes.
Toujours en 1966 le premier ministre Shastri meurt d’une crise cardiaque et Indira Gandhi arrive au pouvoir. Elle choisit le Dr Vikram Sarabhai pour remplacer Bhabha à la tête du programme nucléaire. Sarabhai a une aversion pour la bombe atomique et fait arrêter le programme PNE.
Lors d’une conférence internationale sur la non prolifération, l’Inde demande à nouveau que les puissances nucléaires renoncent à leurs armes mais en même temps l’Inde refuse qu’on la dépossède de ses droits de se lancer dans le nucléaire civil ou militaire. En avril 1968, Indira Gandhi explique qu’elle votera contre le traité de non-prolifération ; elle ajoute que l’Inde ne trouvera pas la sécurité en se lançant dans un programme nucléaire militaire.
Mais, malgré les ordres donnés par le président de la Commission de l’Energie Atomique, le Dr Sarabhai, un petit groupe de physiciens menés par le Dr Ramanna décide de poursuivre les travaux sur le nucléaire militaire et ils associent à ces travaux des militaires. Finalement le Dr Sarabhai se rend compte de ce qui se passe dans son dos mais laisse faire.
En 1969, India Gandhi s’est imposée sur la scène politique et le Dr Sarabhai, parallèlement à ses activités à la Commission d el’Energie Atomique, a développé le programme de missiles indiens. Mais il décèdera en 1971 d’une crise cardiaque.
Pendant ce temps l’équipe de scientifiques autour du D Ramanna poursuit ses travaux. Il reste à mettre au point le détonateur du plutonium et surtout il faut attendre le feu vert du premier ministre. En 1971, Indira Gandhi ne cache plus son intention d’aller plus loin ce qui inquiète les canadiens et les américains.
1971: Guerre pakistano-bangladeshi-indienne. La répression menée par l'ouest du Pakistan aboutit à une crise dans la région, notamment à un mouvement sécessionniste dans l'est du Pakistan, qui va devenir plus tard le Bangladesh. L'Inde intervient aux côtés du Bangladesh. Les Etats-Unis envoient un porte-avions nucléaire, l'Enterprise, dans la baie du Bengale.
En 1972, Indira Gandhi autorise le Chairman de l’Atomic Energy Commission à aller de l’avant avec la bombe atomique. Début 1973, le Dr Ramanna et le Chairman de l’AEC rencontrent Indira Gandhi. Certains conseillers d’Indira Gandhi sont contre la bombe et contre l’essai nucléaire. Indira Gandhi laisse parler les scientifiques, ne pose pas de question et aurait simplement dit : « let’s have it » (Faisons-le !)
Le 2 mai 1974, à 8H05, la première explosion
nucléaire indienne a lieu
L’Inde devient le 6ème pays à tester avec succès l’arme atomique.
Les réactions seront vives dans le monde et l’Inde lance une offensive diplomatique en continuant d’appeler ce test une "Peaceful Nuclear Explosion".