C'est la dernière controverse récente, en matière de politique intérieure. Confrontée depuis plusieurs mois, à un afflux d'immigrants illégaux tunisiens, l'Italie a décidé de leur délivrer des titres de séjour temporaires, valables dans l'espace Schengen. Cet octroi de papiers s'est fait dans le cadre d'un accord italo-tunisien. En échange, Tunis devrait coopérer avec Rome pour bloquer les nouveaux arrivants sur son sol, l'Italie apportant une aide logistique aux Tunisiens. Ce qui a immédiatement enclenché une polémique avec Paris, qui parle d'un comportement inamical. Le but final serait d'aménager une belle porte de séjour aux migrants, afin de les renvoyer tranquillement au voisin transalpin. La crise migratoire à Lampedusa est en effet la cause de tensions diplomatiques entre Paris et Rome. Mais Claude Guéant, ministre de l'intérieur, a rappelé les règles de séjour pour la France : passeport national valide, titre de séjour, titre de voyage, ressources minimum, justification du but de voyage. ”S'il n'y a pas de ressources, nous raccompagnerons les personnes en situation irrégulière en Italie“, a ainsi prévenu Claude Guéant, au micro de RTL.
Mais il est vrai, à la base, qu'est-ce que l'espace Schengen ? Depuis 1985, la convention de Schengen promulgue l'ouverture des frontières entre les pays signataires. Le territoire ainsi créé est communément appelé “espace Schengen”, du nom du village luxembourgeois, où fut signé le traité entre la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Si la première convention de Schengen date de 1985, l'espace Schengen a été institutionnalisé par le traité d'Amsterdam de 1997. Le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, modifie les règles juridiques concernant l'espace Schengen, en renforçant la notion d'espace de liberté, de sécurité et de justice. Celui-ci fait intervenir davantage de coopération policière et judiciaire, et vise à une mise en commun des politiques de visas, d'asile et d'immigration. Les pays signataires pratiquent une politique commune en ce qui concerne les visas et ont renforcé les contrôles aux frontières limitrophes. Désormais les citoyens étrangers qui disposent d'un visa de longue durée pour l'un des pays membres, peuvent circuler librement à l'intérieur de la zone. Or, sur les 22 000 migrants à qui Berlusconi a accordé le permis de séjour italien, la plupart ne rêve que de la France, c'est le coeur de la problématique.
Déjà 1 348 Tunisiens ont été arrêtés par la police des Alpes-Maritimes, durant le mois de mars, renvoyés à Vintimille ou en Tunisie, “dans le strict respect des accords de Schengen“, affirment les autorités françaises. Le ministre des Affaires étrangères italien Franco Frattini, a dénoncé le comportement de la France qui renvoie dans son pays et non en Tunisie, les migrants arrêtés à la frontière franco-italienne. “C'est l'un des aspects graves de l'absence de solidarité de la part de la France et d'absence totale de l'Europe, mais il ne revient pas à l'Italie d'ouvrir un contentieux avec la France“, a tonné Franco Frattini. Ce renvoi vers l'Italie a également été critiqué par la Commission européenne. De son côté, Roberto Maroni, ministre italien de l'intérieur, a déploré le “comportement hostile” de Paris : “Les Tunisiens auxquels nous accorderons le permis de séjour auront le droit de circuler. La France ne peut pas l'empêcher sauf en sortant de Schengen ou en suspendant le traité“. En réponse, la France a rétorqué qu'elle se basait sur un accord - dit de Chambéry - signé en 1997 par Rome et Paris. Mais alors, à combien de milliers d'arrestations par la police française et de renvoi en Italie ou en Tunisie, les accords de Schengen seront-ils déclarés caducs.
Pourtant la France, l'Allemagne et trois pays du Benelux, avaient instauré un espace sans frontières à l'époque, dans l'enthousiasme général, comme le soulignait Eric Zemmour ironiquement. “Les plus lettrés invoquaient l'Europe de Voltaire ou de Stefan Zweig“, qui se promenaient sans passeport. On regardait disparaître sans nostalgie, les guérites des poste-frontières et les douaniers aux mines revèches et obtues. Les pays signataires rassurèrent les inquiets, la disparition des frontières internes devrait s'accompagner d'un renforcement de la frontière externe de l'Europe, devenue commune à tous. Mais une promesse qui n'est jamais vraiment devenue réalité. Plus l'espace Schengen grossissait et s'étendait, plus ses frontières reculaient, plus elles devenaient poreuses. L'espace Schengen compte désormais vingt-cinq Etats-membres et rassemble quatre cent millions d'âmes. Mais la forteresse Schengen a des trous si grands, qu'elle ressemble à un fromage. “Un sacré fromage pour les traficants de drogue, les prostituées, les passeurs de clandestins“. Jamais Bruxelles n'a forgé une vraie police européenne, jamais les Etats européens n'ont réellement coordonné leurs actions, en dépit des efforts louables de certains d'entre eux. Il faut reconnaître que la tâche était ardue. Déjà au temps du blocus continental, cher à Napoléon, les gabelous eux-même, n'avaient pas réussi à tenir toutes les frontières européennes. Aujourd'hui, chaque Etat, après tout souverain, collabore ou ne collabore pas. Certaines frontières sont ainsi réputées pour être des passoires. La Grèce en est l'exemple le plus connu. Et depuis le 21 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a même interdit aux autres Etats, de renvoyer en Grèce, les clandestins arrivés par la Turquie. Bref, la Turquie est donc exemptée de tenir sa part de frontières communes. Une bonne nouvelle pour les clandestins venus d'Irak, d'Afghanistan ou d'ailleurs, qui passaient par la Turquie, puis la Thrace. Ils peuvent tranquillement gagner le nord de l'Europe, la France, l'Allemagne ou la Belgique.
Le geste de Berlusconi est le second coup porté à Schengen, médiatiquement parlant, peut-être mortel selon certains analystes. Les Italiens se plaignent que les autres pays européens ne se soient pas portés à leurs secours, que la Tunisie refuse de prendre ces migrants, et ont ramené la frontière européenne à Menton. Pour tenter d'arrondir un tant soit peu les angles, Claude Guéant a rencontré vendredi à Milan, son homologue Roberto Maroni. Mais entre les engagements de la France et ses déclarations musclées sur l'immigration, Claude Guéant devra choisir.
J. D.