Nous sommes samedi. Le 9 avril 2011. Sur France 3.
C’est le 19/20 présenté par Catherine Matausch.
Après la présentation des titres [1], cette édition s’ouvre avec un reportage sur un « tronc humain » trouvé par « un promeneur », « reste d’un corps » qui « pourrait être » celui de Laëtitia Perrais.
Puis, surgit un second sujet qui ne figurait pas dans les titres…
Sujet qu’est introduit comme-ci par la présentatrice du 19/20 :
« C’est la consternation à Villeurbanne, près de Lyon, où vraisemblablement parce qu’il était juif, un étudiant qui ne portait aucun signe distinctif a été violemment agressé par des jeunes du même âge. Une enquête de Sylvie Cozzolino et Jean-Eric Gay ».
Nous apprenons que l’étudiant en question se prénomme Jérôme, qu’il s’est fait agresser « en bas de son immeuble (…) jeudi dernier (…) à quelques centaines de mètres » d’une « école juive » dont il venait de sortir.
Des témoins racontent que « deux/trois personnes cagoulées (…) ont demandé s’il était juif (…) il a dit oui et ils l’ont agressé ; ils l’ont frappé avec un pistolet [2] et ils lui ont tiré dessus ».
Puis c’est un « petit groupe » de jeunes de la communauté juive qui « témoigne de [leur] quotidien » :
« On avait nos kippas sur la tête et ça nous insulte, ça nous tape, ça nous met des gifles (…) donc, euh, c’est inadmissible ».
Le commentaire précise alors que « l’an passé, 400 plaintes ont été déposées pour acte antisémite en France ».
Avant de laisser la parole à un représentant de la Licra [3] :
« Nous constatons, partout, notamment, donc, dans les banlieues populaires, dans les lieux sensibles, une prégnance, donc, de l’antisémitisme, auprès des jeunes, qui amène notamment des enfants juifs, de plus en plus souvent, à déserter l’école de la République pour des raisons de sécurité, et donc, aller se réfugier dans des écoles, euh, religieuses ou communautaires ».
Retour sur plateau où Catherine Matausch nous apprend que « Jérôme est sorti de l’hôpital encore sous le choc » et que « l’enquête a été confiée aux policiers de la sureté départementale » [4].
Il va sans dire – qui oserait le contester ? – que ce genre d’agression est épouvantable. Ceci étant, on peut aussi se demander, calmement, sereinement, comment les journalistes sélectionnent leurs sujets. Je veux dire pour quelles raisons, à quels titres, décident-ils en comité de rédaction de traiter d’untel et pas de tel autre.
En effet, comment expliquer qu’aucun Journal Télévisé n’ait daigné rendre compte de cette expédition d’un « commando d’une vingtaine d’individus » qui, le dimanche 3 avril dernier, « s’est attaqué au Cinéma Espace Saint-Michel (Paris) », cinéma qui diffusait « Gaza-Strophe, Palestine » le documentaire de Jamir Abdallah et Khéridine Mabrouk, expédition au cours de laquelle le projectionniste fut frappé [5] ?
Ce « commando » de la LDJ (Ligue de Défense Juive) a, en outre, promis de revenir pour « brûler le cinéma » !
Qui plus est, ce « commando » tentera de récidiver [6], deux jours plus tard, le mardi 5 avril, devant La Péniche Cinéma.
Pardonnez-moi – comme dit à tout bout de champ, Yves Calvi – mais je ne comprends pas ce qui motive les journalistes de nos « JT » à mettre en lumière telle agression « vraisemblablement » raciste et pas telle autre... Et j’irai même plus loin : qu’est-ce qui m’amène donc à penser que si le « commando » en question venait des « banlieues populaires » et qu’il s’était attaqué à une salle de cinéma diffusant un film glorifiant Tsahal, cela aurait fait un « excellent sujet », voire même la Une du JT ?
Alors je sais, du moins je me doute, que mes interrogations, que j’estime parfaitement légitimes, vont déclencher – peut-être – d’autres interrogations (aussi épouvantables que l’agression dudit Jérôme).
Par exemple : serais-je antisémite, par le plus grand des hasards ?
Ou simplement antisioniste.
Ce qui revient au même, dorénavant, vu que tout être critiquant la politique d’Israël, ou des actes menés par des militants sionistes, comme ceux perpétrés contre deux cinémas de la capitale, donc portant atteinte à l’ordre républicain, est derechef, classé dans le rang des antisémites (ainsi dernièrement, des gens fort respectables, comme Alain Badiou et Eric Hazan).
Or, il ne s’agit nullement de remettre en cause, de quelque façon que ce soit, l’utilité informative du reportage du 19/20 en date de samedi, pas même les propos qui y sont tenus, pas plus que la réalité de cette agression, il s’agit d’autre chose.
D’équité, pour être précis.
N’y avait-il pas 1’36 [4] de libre entre les 3 et 6 avril pour rendre compte de ce qui s’est passé, et qui est tout aussi « inadmissible » que l’agression de jeudi dernier à Villeurbanne, lors des projections de ce documentaire (unanimement salué par la presse) traitant de l’opération « Plomb Durci » sur Gaza, documentaire qui, sous la pression d’associations, se voit trop souvent déprogrammé (ainsi l’an dernier sur la chaîne France O, et plus récemment à Evry, commune administrée par le socialiste Manuel Valls) ?
Bref, quel est donc la, ou les raisons, qui conduisent nos « JT » à taire certains faits et à en privilégier d’autres, alors que « vraisemblablement », ils sont, peu ou prou, de même nature ?
[1] Ces titres étaient au nombre de cinq :
Affaire Laëtitia : un corps humain retrouvé.
Côte d’Ivoire : la vie redémarre.
Carrefour : la bataille des hypers.
Vu de : au cœur de Fessenheim.
Fondation Pinault : Eloge du doute.
[2] Le commentaire nous apprendra que les « agresseurs » étaient munis d’un pistolet à grenailles.
[3] Il s’agissait de Patrick Kahn, de la Licra Rhône-Alpes.
[4] Le tout, lancement, reportage, et reprise, aura tenu 1’36 de ce 19/20.
[5] Le projectionniste en question a déposé plainte.
[6] « tentera » car la police présente sur les lieux les en empêchera.