Quand j'ai commencé à enseigner, j'avais une classe de terminale particulièrement dissipée qui donnait du fil à retordre à tous leurs enseignants.
Je passais presque autant de temps à tenter de leur inculquer quelques notions de maths qu'à faire de la discipline et je sortais régulièrement de cours en étant moralement et physiquement épuisée !
Pourtant, un jour j'ai eu l'immense surprise en entrant dans cette classe, de trouver des élèves silencieux, assis à leurs places avec leurs cahiers et leurs livres sur les tables et sans aucun retardataire avec excuse tarabiscotée.
J'avoue que j'étais plutôt étonnée et j'ai rapidement balayé du regard la classe et le couloir pour constater qu'il n'y avait ni directeur, ni inspecteur, ni prof ou surveillant en colère dans les parages !
Mon étonnement a alors fait place à la suspicion et j'ai scruté dévisagé mes élèves en essayant de comprendre pourquoi cette classe, assez sympathique au demeurant mais particulièrement agitée, semblait soudain tétanisée par ma présence qui en règle général passait à peu près inaperçue dans les premières minutes de mon arrivée (je vous rappelle que j'étais alors une très jeune enseignante).
Je me suis donc préparée à subir une de leurs farces bon enfant (mes élèves étaient bavards, flemmards et agités mais heureusement pas méchants !) mais tout avait l'air parfaitement normal et aucun sourire furtif ne trahissait l'ombre d'un complot.
J'ai donc continué mon cours sur les nombres complexes, une partie du programme pas particulièrement difficile mais pas non plus follement passionnante, et là je me suis crue victime d'hallucination quand je me suis rendue compte qu'ils étaient attentifs et qu'en plus, ils participaient activement au cours !
Certains élèves me regardaient même avec un air craintif, sentiment que je n'avais jamais inspiré à cette classe !
J'avais, parmi ces terminales, quelques élèves qui auraient remporté haut la main n'importe quel concours de bavardage et qui semblaient avoir toujours une quantité inépuisable d'histoires captivantes à raconter de toute urgence à leurs camarades ainsi qu'une panoplie, parfois franchement hilarante, d'excuses saugrenues pour justifier ces bavardages incessants, l'oubli de leur devoir ou leur retard !
Même ces champions olympiques semblaient captivés par mes paroles et comme je ne consommais pas de substances hallucinogènes qui m'auraient fait planer, j'étais franchement intriguée par leur attitude.
Je distribuais quelques exercices à faire et manifestement personne n'écrivait de petits mots à son voisin, ne complétait un sudoku (mais m'dam c'est des maths !!!), n'envoyait de SMS en douce, ni ne dessinait dans la marge : j'avais devant moi une classe comme en rêvent tous les profs avant de réaliser à quel point ce rêve est utopique !
Et malgré mon peu d'expérience je me suis dit que finalement le mélange de menaces, de punitions et de récompenses que j'utilisais avaient enfin portés leurs fruits.
J'étais légèrement euphorique !
Je commençais à me sentir particulièrement fière de mes extraordinaires capacités pédagogiques et j'imaginais déjà mon moment de gloire en salle des profs lorsque j'allais leur raconter que j'avais enfin réussi à faire de cette classe une classe modèle !
Je me voyais assener quelques conseils judicieux aux plus vieux enseignants (dont je fais maintenant partie !) qui se plaignaient régulièrement des difficultés de notre métier, de leur lassitude face à des élèves de plus en plus agités et paresseux et j'avais bien l'intention de leur énumérer tous les "trucs" qu'une jeune prof comme moi avait trouvé !
J'avais enfin la preuve que mon manque d'expérience était finalement largement compensé par le fait que j'étais plus proche des élèves par mon âge que les profs plus expérimentés !
Je me sentais même prête à apporter ma contribution à un atelier de formation des enseignants, organisé chaque année dans le lycée, lorsque la sonnerie stridente annonçant la récréation résonna, une sonnerie qui dissipa toutes mes illusions !!!!
Les élèves comme à l'accoutumée se levèrent pour sortir et, dans la bousculade, l'un d'entre eux fit tomber une coupure de presse que je ramassais machinalement.
Je me mis à lire l'article et découvrit le récit d'un incendie qui avait complètement ravagé un pavillon de banlieue. L'incendiaire présumée, qui aurait agi par vengeance, portait le même nom et le même prénom que moi, sans avoir le moindre lien de parenté avec moi ou ma famille.
Avant son procès et après le versement d'une très forte caution elle avait été momentanément relâchée.
Je fus donc obligée de me précipiter derrière mes élèves pour leur préciser que je n'avais jamais allumé d'autres feux que ceux de ma cuisinière et que je n'étais pas la dangereuse criminelle dépeinte par l'article.
Mon égo en prit un sacré coup quand je réalisais que je n'étais strictement pour rien dans l'attitude surprenante de mes élèves qui, du fait d'une coïncidence d'homonymie, avaient été saisis de crainte à l'idée d'avoir une enseignante pyromane capable d'un tel forfait ! ...et effectivement au cours suivant lorsque je rentrai dans la classe, l'habituel brouhaha m'accueillit et il me fallut 5 bonnes minutes pour faire asseoir toutes ces commères juste au moment où deux élèves échevelés arrivèrent en courant en bredouillant une excuse insensée pour justifier leur retard !