Paris. Le Sunset.
Samedi 9 avril 2011. 22h.
Jérôme Sabbagh: saxophone ténor, soprano
Ben Monder: guitare électrique
Daniel Humair: batterie
La photographie de Jérôme Sabbagh est l'oeuvre de l'Esthète Juan Carlos HERNANDEZ.
Après la sortie de l'album, Jérôme Sabbagh revient sur scène à Paris avec son trio conquérant.
Rubrique People: Sylvain Beuf est dans le public pour encourager son collègue saxophoniste.
Démarrage subtil. Guitare en sourdine. Les cymbales grincent doucement. Le sax ténor souffle sur du velours. Puis ça grossit comme une bulle de savon légère, brillante mais pas prête d'éclater. Ca part à trois de façon free, disons libre mais coordonnée tout de même. Retour au thème calme du départ. Calme mais avec une tension, une inquiétude sous jacente. Solo de guitare inquiétant encore sous la douceur. Le trio est parti. Ca ondule bizarrement. Ce que j'entends là ne me rappelle rien. C'est dire que ce trio n'est pas commun. Gros son charnu du ténor pour finir.
Solo de ténor pour commencer. C'est de l'art abstrait mais de haut vol. Daniel Humair fait d'ailleurs aussi de la peinture abstraite. Et curieusement ça chante! Humair touille la sauce aux balais, la fait prendre, épaissir. La guitare charrie des notes comme des troncs d'arbre sur une rivière. Un solo de Ben Monder comme un rêvé éveillé avec de la réverbération mais sans exagération. Le groupe revient au thème. Décidément, ce soir, ils ont décidé de travailler les tempi lents, medium au maximum.
Pour me démentir, un solo de batterie de cuisine de Daniel Humair. Le chef est aux baguettes. Le sax ténor à son tour s'agite énergiquement. Duo sax/batterie dans le pur héritage coltranien. Ce n'est pas ce que je préfère chez John Coltrane. Retour au calme avec le solo de guitare. Le pied de Daniel Humair martèle le tempo sur la grosse caisse mais ses mains, elles, varient, hachent menu. Le sax ténor décolle. Je hoche la tête. C'est bon signe. Où est caché le deuxième guitariste? Ah non, Ben Monder fait ça tout seul. Mazette! Mes cheveux poussent au gré des notes de la guitare. C'est dire l'effet qu'elle fait. Beau dialogue guitare/batterie. Ca fuse, échange. Tir nourri.
Jérôme Sabbagh passe au saxophone soprano. Un orage électrique tonne au loin. Ballet ultra rapide et précis des baguettes sur les cymbales. C'est à la fois Free, Jazz et Rock'n Roll. Ca dépote, mes aïeux! Un Monsieur à cheveux blancs quitte le premier rang pour s'installer au bar. Il instaure une distance de sécurité entre lui et cet orage musical. Entre guitare et batterie, ça déblaie sérieusement. Ca baisse d'un ton tout en maintenant la tension qui propulse le sax ténor. C'est une sorte de voyage spatial comme le dit justement Sylvain Beuf.
Humair commence un solo avec ses mains sur les tambours. Ce n'est plus de la batterie, c'est de la magie. Petits airs sardoniques du sax ténor. Humair reprend ses baguettes en main et ça démarre. Phrases courtes qui partent, s'entrechoquent. Jérôme Sabbagh sait composer et improviser. Avec un tel soutien, il a de quoi être stimulé.
PAUSE
Le sax ténor démarre une nouvelle ballade. La batterie scintille sous les baguettes de Daniel Humair. Vibration légère des notes de guitare. Beau solo rêveur, planant à souhait de la guitare. Le trio repart tout en douceur et en fragrances subtiles. Il cultive l'art de la fin surprenante.
Solo de batterie. Ca roule sous les baguettes. Les peaux vibrent à l'unisson. Pas de démonstration. De la création. Le trio pousse, tire, explore les champs sonores. Beau dialogue batterie, sax ténor. Coltranien là encore. L'ajout de la guitare change la donne et donc le jeu. Le trio grogne, grogne, soudé. Et puis tout s'apaise sur un roulement de tambour.
Beau solo de ténor. Dans la lignée virile de Coleman Hawkins, Sonny Rollins. Le trio est parti en glissades progressives. Ca marche. A côté de moi, un jeune couple. Il a fermé les yeux. Elle aussi, la tête posée sur son épaule. Tableau charmant. Ne croyez pas pour autant prudentes lectrices, méfiants lecteurs qu'il s'agisse d'une ballade sucrée qui colle aux dents et aux doigts. Il y a de l'aigre-doux, du piquant dans cette recette là. Le friselis des cymbales, les notes distillées de la guitare, le saxo de velours. Que du bonheur! Solo de guitare. Les amoureux se sont redressés pour écouter. Ca vibre doucement dans le ventre et charme nos tympans.
Solo de sax ténor. C'est bon comme les glissements progressifs du plaisir. Ca s'anime. La dispute, au sens philosophique, se fait vive. Humair devient Vulcain derrière sa forge alors que la guitare crache le feu sacré du Rock'n Roll. Ca sonne déjà bien dans un club. Mais dans un festival en plein air qu'est ce que ça donnerait! Un bon moment de Rock'n Roll mais bien plus libre, plus puissant que la moyenne du genre. L'orage gronde moins fort alors que le sax ténor revient.
0h05. Les amoureux s'en vont. A croire qu'ils prennent le RER. Le métro ferme à 2h du matin dans la nuit du samedi au dimanche. Une ballade en douceur guitare/sax ténor. Une composition qui sonne comme un standard tant elle est simple, apurée, tranchante, prétexte à d'élégantes variations. Solo de guitare tout en douceur, en chaleur. Gracieux. Pas d'applaudissement après le solo. Nous restons concentrés pour le trio. Dieux que c'est bon!
Solo de sax ténor vif, ludique entre fluidité et appuis. C'est un vrai discours, pas un simple exercice de style. Humair répond en tapotant les tambours de ses mains. Dialogue guitare/batterie aux baguettes voire même aux manettes de Daniel Humair. Ca vole haut.
Humair fait des tours de magie sur ses tambours. Il fait même un bruit de moteur d'hélicoptère. Subitement l'orage se déclenche. Guitare et sax ténor mettent les gaz poussés par le moteur de la batterie. A 0h22, ça réveille, tonnerre de Zeus! L'absence de basse ne se fait pas sentir. Quand Ben Monder et Daniel Humair se défient, pas besoin d'arbitre. Retour au calme pour le sax ténor. Enfin, calme, c'est vite écrit. Ca va repartir aussi sec. Pour un final cosmique. Un dernier claquement de cymbale et c'est fini.
Que les programmateurs de festivals de Jazz, de Rock'n Roll, de musiques créatives, improvisées, éclectiques et électriques se le disent, le talent du trio de Jérôme Sabbagh est à louer pour cet été. A louer dis je. A ce niveau là, le talent ne se vend pas.
Vous trouverez ci-dessous l'annonce du passage de ce trio au festival Jazz à Junas en juillet 2010.