C’est une belle aventure, unique, militante et généreuse.
Mais, je sais, ils ne veulent pas en entendre parler, ceusses qui font de la FM, nos jours. Allons, c’est de l’histoire ancienne, qu’ils disent, au diable vos commémorations, toutes ces breloques, vos souvenirs de radios libres ou pirates.
Franchement, à quoi ça sert et qui ça intéresse ?
Certainement pas ces animateurs qui jactent vingt secondes à chaque « micro ».
Et d’ailleurs, ils n’ont d’animateur que le nom. Ils ne sont, en réalité, là que pour vendre des marques. Celle de la radio qui les emploie et celles des annonceurs qui les payent.
Mais ils en sont fiers, et n’hésitent pas à parler de magie de la radio.
Peu leur chaut les Van Troeyen, les Lefébure et autres pionniers de ce que l’on nomme « La Libération Des Ondes ». Ils ne connaissent pas Foucault ( Michel, pas Jean-Pierre), Deleuze, Guattari, ils ne connaissent qu’eux-mêmes, égocentrés jusqu’à se wikipédier.
Ce sont des professionnels. Du commerce.
Des néolibéraux.
Ils taffent pour des trusts, Lagardère (Europe 1, Virgin Radio, RFM, Autoroute FM) Jean-Paul Baudecroux (NRJ, Chérie FM, Rire et Chansons, Nostalgie) Bertelsmann (RTL, RTL2, Fun Radio) ou Alain Weill (BFM, RMC Info). Sans se poser la moindre question. Formatés au cube qu’ils sont. Ça les dérange pas.
Pis : ils sont persuadés qu’ils donnent du bonheur « aux gens » ; qu’ils sont subversifs, même, pour certains ; drôles, pertinents, qu’ils jouissent d’une belle liberté d’expression, ah ça, je vous assure, j’ai carte blanche, je peux dire ce que je veux à l’antenne, « bite-poil-couilles ou prout, et même : fuck ! » et « mes auditeurs » itou.
Oui, tant que l’annonceur (ou l’actionnaire) n’est pas égratigné par quelques propos (à peine) désobligeants. Auquel cas, le téléphone sonne, et fissa, dans le burlingue du boss.
Pas grave ! Ça ira faire l’intéressant chez Baudecroux ou chez Bertelsmann, car dans ce monde-là, messire, on s’arrache les présumés trublions, les supposés perturbateurs ou les bons exécutants, les lisses, ceux qui font jamais de vagues.
Ils sont interchangeables. Et corvéables à souhait. D’excellents collaborateurs, en quelque sorte. Y’a même pas à censurer quoi que ce soit, ils le font très bien eux-mêmes. Et s’ils franchissent la limite, ils s’en excusent, et ô combien platement.
De gentils toutous. Des Morandini qui s’ignorent, mais dont le point commun, est l’exécration d’un mot, ah ça, ils ne veulent pas l’esgourder celui-là ; le mot : culture.
Et d’ailleurs, ils ne comprennent pas comment en France, au 21ème siècle, on puisse encore demander aux citoyens-contribuables de financer France Culture. Pour l’audience que ça fait, c’est gâcher notre pognon ! En plus, z’avez vu le nombre de fréquences qu’elle squatte sur la bande FM, cette France Culture ! N’allez pas leur dire que cette radio du service public est l’une des plus « podcastées » du paysage radiophonique… Eux, ne fonctionnent qu’à l’audimat, le Médiamétrie, et l’espèrent bientôt quotidien plutôt que trimestriel.
Ce ne sont pas les auditeurs qu’ils aiment, mais les parts de marché.
On comprend dès lors, qu’ils ne veuillent point entendre parler de cette Radio Active, celle épique de 1975, de Radio Verte et de Radio Ivre, pas même de Carbone 14, ni des survivantes comme Libertaire à Paris, Canut à Lyon, l’Eko des Garrigues à Montpellier, Campus à Lille, et s’ils écoutent de temps en temps Nova, ils n’en connaissent pas l’histoire : Jean-François Bizot, Andrew Orr, Jean-Marc Fombonne, ça ne leur dit rien de rien. Ils n’en ont cure. Faut envoyer la pub et le prochain Lady Gaga. Et surtout, et avant toute chose, être « fédérateur », « convivial », pas « segmentant »… Novlangue, celle du commerce (non équitable) injectée dans le champ radiophonique.
C’est formidable, non, d’être à ce point policé et se croire, pourtant, subversif…
Avoir cette chance de pouvoir s’exprimer derrière un micro, et n’en rien faire, c’est misère. En même temps, si tu l’ouvres, t’es « out ». Mais crois-tu qu’ils iraient l’ouvrir sur une webradio ? Non plus. Ça fonctionne pareil. Les mêmes règles, car – et c’est quand même fort – sur Internet (espace de liberté, pourtant) t’as pas plus de chance de trouver une Radio Lorraine Cœur D’Acier, une Radio Quinquin, ce qui se traduirait aujourd’hui par une Radio Continental, une Radio Molex ou même une Radio France Telecom.
Non, vraiment, ce que Thierry Lefebvre appelle La Bataille Des Radios Libres, ça ne les intéresse pas. C’est leur Histoire, pourtant, une révolution qu’aura permis de venir à bout d’un monopole, celui d’État de la radiodiffusion.
Seulement voilà, un monopole en a remplacé un autre.
Le politique (de gauche – PS – comme de droite – RPR/UDF/PR), faut avouer, à bien aidé à. En quatre temps. Quatre lois. Les deux dernières (celles du 1er août 1984 et du 30 septembre 1986) ayant ouvert les vannes. Aux radios fric !
Baudecroux, Bertelsmann, Weill et Lagardère n’avaient plus qu’à racheter, un à un, tous les ilots de liberté. Et les solder. En faire un fast-food sonore. Normalisation totale. Circulez, y’a plus rien à entendre. Sinon quelques insoumises. Pour lesquelles ils n’ont que condescendance, quand ce n’est pas du mépris… Des associatives, mon dieu, mais c’est pas du travail, ça ! HDR, Grenouille, FMR, RTF, ça vaut quand même pas nos Scoop, Vibration, Wit FM et autres 100% ! Chiffres à l’appui ! Non, mais regardez nos courbes d’audience comparées à celles de vos sympathiques, n’est-ce pas, « petites radios ».
Que voulez-vous répondre à des gens qu’ont poussé le cynisme jusque dans leurs claims – ou slogans. Par exemple, le très explicite :
« C’est pas de la radio, c’est de la musique » (RTL2)…
En même temps, ç’a le mérite d’être clair.
Or donc, ces gens-là ne font pas de (la) radio. Ce n’est qu’un outil avec lequel ils se remplissent les poches. Et quelques comptes en Suisse ou au Luxembourg.
Ceci étant, ceux qui aiment LA radio, son Histoire, ses sons, ses personnages hauts en couleur ; ceux qui sont attachés aux idées de liberté, d’expression, de création, d’imagination ; ceux que la culture ne rebute pas, même la plus branque, la plus foutraque : ceux qui sont en manque de pertinence et d’impertinence véritables, de combats non négociables, de révolte et de panache ; ceux-là seront heureux d’apprendre que jusqu’au 21 mai, 9 esplanade Pierre Vidal-Naquet à Paris (XIII) tout est là, intact ou restauré : les sons, les articles, les images même. Toute cette mémoire est disponible, visible, partageable. A l’occasion d’une exposition (interactive) proposée par Bétonsalon en association avec Eldoradio.
Oui, tout y est – ou quasi – dignement et respectueusement représenté.
Et pour les derniers qui se demanderaient à quoi ça sert, je leur répondrai, simplement, bien amicalement, qu’entre autres choses, cela sert mesurer, objectivement, la liberté que nous avons perdue. Et celle que, par les ondes, nous pourrions reconquérir.
Bétonsalon : le dossier de presse de l’exposition.
Eldoradio : présentation de l’association.
Plan d’accès :