Le programme infoDev de la Banque Mondiale a réalisé une étude, riche et unique, sur les impacts actuels et futurs de l'économie virtuelle sur le développement des pays émergents, illustrant en détail les mécanismes en jeu et proposant les axes d'action possibles pour en renforcer les effets.
L'économie numérique, qui s'est développée avec les progrès des technologies, recouvre les activités de création de nouveaux services du secteur de l'information. Elle reste l'apanage des pays riches ou, au mieux, de "zones" spécifiques des pays émergents, car elle requiert des capitaux, des infrastructures, des compétences... de la part des entrepreneurs. A l'inverse, l'économie virtuelle, qui cible des "niches" de rareté (donc sources de valeur) dans l'abondance d'information digitale dans laquelle nous vivons désormais, est aussi accessible aux populations plus pauvres et moins éduquées et peuvent ainsi constituer une opportunité de développement.
Les auteurs identifient quatre de ces "niches" à l'heure actuelle, dont deux nous intéresseront plus particulièrement (l'une des deux autres n'est pas déontologique et la dernière n'a pas de potentiel à court terme pour le développement des pays émergents) : les agences de jeu en ligne, qui servent de référence grâce à leur relative maturité, et les services de micro-tâches, qui présentent un intérêt direct pour les entreprises.
Dans le secteur des jeux en ligne, une véritable industrie s'est créée autour de la demande de certains joueurs (près d'un quart d'entre eux) de "gagner du temps" dans leurs activités ludiques. Des agences spécialisées proposent ainsi à la vente les biens virtuels du logiciel (qu'il faut normalement acquérir par des actions de jeu) ou même de remplacer le participant pendant certaines périodes. Ce marché représenterait déjà 3 milliards de dollars au niveau mondial et quelques 100 000 employés, en grande partie dans des pays émergents (Chine, Vietnam...). Il s'est également fortement structuré, avec les agences qui gèrent le marketing, la "relation client", les flux financiers, la logistique... et des (petits) studios qui assurent la "production".
Le secteur du "micro-travail" est encore en phase d'émergence et ne génèrerait aujourd'hui que quelques dizaines de millions de dollars de chiffre d'affaire. Son modèle repose sur la rareté des ressources humaines indispensables pour un certain nombre de tâches, requérant peu ou pas de compétences, liées à l'économie numérique (par exemple la retranscription de textes, la classification d'images...).
Là également, le marché est déjà structuré et se répartit sur une échelle à 3 degrés : les "transformeurs" (exemple : CrowdFlower) qui convertissent les travaux qui leurs sont confiés en une multitude de "micro-tâches" (courtes et faciles à réaliser) et, en fin de chaîne, réassemblent les résultats (avec les nécessaires contrôles de qualité), les "aggrégateurs" (exemple : Mechanical Turk d'Amazon) distribuant les "micro-tâches" à la foule des "micro-travailleurs", qui les réalisent effectivement.
Mais, à la différence des agences de jeux en ligne, les deux premiers niveaux du "micro-travail" sont encore largement implantés dans les pays riches, même quand les "micro-travailleurs" résident, comme c'est de plus en plus souvent le cas, dans des pays émergents (voire dans des camps de réfugiés dans le cas de l'organisation à but non lucratif Samasource). Une des raisons de cet écart est lié à l'expertise nécessaire pour concevoir et mettre en place les plates-formes qui gèrent ces modèles, encore peu accessible dans les zones pauvres.
Pour les auteurs de l'étude, l'impact du "micro-travail" sur le développement des pays émergents est globalement positif, même si la situation n'est pas entièrement idyllique. Par exemple, dans les deux secteurs traités ici, environ 70% des revenus sont effectivement reversés aux producteurs, soit beaucoup plus que dans des activités plus classiques (notamment l'agriculture).
Les propositions qu'ils formulent pour l'expansion du marché sont de deux ordres. D'une part, il convient de populariser le modèle et d'en répandre largement l'usage dans les pays riches. Les entreprises pourraient aisément participer à cet effort, surtout en collaborant avec les "transformeurs" pour élargir le spectre des tâches éligibles au "micro-travail". D'autre part, il faudrait favoriser la capture d'une plus grande part de la chaîne de valeur par les pays émergents, dans la transformation et l'aggrégation. Pour aller dans cette direction, il faudrait un certain niveau de standardisation et, idéalement, créer des plates-formes "open-source" qui faciliteraient leur entrée sur le marché. Celles-ci devraient de plus être disponibles sur mobile pour atteindre la plus large cible possible.
Toutes les grandes organisations sont, à mon avis, utilisatrices en puissance de services de micro-travail, soit pour des tâches répétitives à faible valeur ajoutée qui leur coûtent extrêmement cher, soit pour des tâches qui sont simplement irréalisables avec des moyens traditionnels. Je vous engage donc à regarder les offres de CrowdFlower, CastingWords, Microtask... Et, si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à lire l'intégralité[document PDF] de la passionante étude de la Banque Mondiale.