En effet, la nationalisation des jeux de hasard représente alors beaucoup plus qu'une nouvelle source de revenus pour l'État. Elle permet au gouvernement québécois de baliser le phénomène des jeux d'argent selon des principes et des valeurs partagées par les Québécois. Les conséquences socio-économiques et sanitaires des jeux de hasard commencent à se faire connaître et c'est pourquoi, dans la foulée de la Révolution tranquille, le gouvernement du Québec décide de prendre en main la gestion de ce produit « dangereux », pour le bien du peuple québécois.
D'ailleurs, comme la Constitution canadienne ne spécifie pas de quelle juridiction relève la gestion des jeux de hasard, le gouvernement fédéral met lui aussi sur pied, en 1972, une société d'État dans ce domaine, mais, contestée par les provinces et surtout par le Québec, elle est dissoute quelques années plus tard. La loterie devient une compétence provinciale.
Un réflexe hasardeux
Aujourd'hui, le peuple québécois fait face à une nouvelle forme de jeu de hasard: les jeux d'argent sur internet (JAI). Florissante, l'industrie des jeux d'argent en ligne représente des milliards de dollars à l'échelle planétaire, revenus qui bénéficient au secteur privé et aux quelques sociétés d'État du monde ayant décidé d'offrir, elles aussi, des jeux d'argent sur le web.
Le réflexe de Loto-Québec : développer une plateforme de jeu en ligne pour rapatrier ces sommes et regarnir les coffres de l'État. Pourtant, selon l'Institut national de santé publique (INSPQ), «les données sur l'efficacité de l'étatisation comme stratégie d'endiguement de la clientèle internationale, de mitigation des problèmes liés au jeu et de protection des consommateurs restent fragmentaires ».
Loto-Québec base elle-même sa décision sur des présuppositions et des données incomplètes. Or, les enjeux de santé publique liés à l'étatisation des JAI sont importants. À titre d'exemple, l'INSPQ nous dit que « les données disponibles sur la Suède, la Colombie-Britannique et les provinces maritimes, où ces modalités de jeu sont exploitées, témoignent de taux de participation et de prévalence de problèmes significativement plus élevés ». Les conséquences les plus graves sont d'ailleurs observées auprès des jeunes, des femmes au foyer et des moins nantis, les segments les plus vulnérables de la population.
Le réflexe de Loto-Québec de développer sa propre plateforme de jeux d'argent sur internet est-il prudent dans ce contexte? Poser la question est y répondre. La publicité faite par la
société d'État pour attirer sans cesse de nouveaux citoyens vers les jeux d'argent, parmi lesquels se retrouvent également les personnes les plus vulnérables, nous semble d'ailleurs tout aussi hasardeux. Si les objectifs initiaux de Loto-Québec étaient de détourner l'argent issu des jeux de hasard du privé vers le public, pourquoi doit-elle aujourd'hui faire autant de publicité sur ses produits?
Des études sérieuses
Pour le bien de la population québécoise et pour le respect de la mission de Loto-Québec, la société d'État doit fonder ses décisions sur des études sérieuses et crédibles en matière de JAI et cesser la publicité excessive dont elle est responsable. Offrir le jeu en ligne lui permet-elle de détourner les fonds du secteur privé vers l'État ou n'accroît-il pas simplement l'offre de JAI? Les bienfaits de l'étatisation du jeu en ligne sont-ils supérieurs à ses méfaits? En bref, le jeu en vaut-il la chandelle?
Les réponses à ces questions sont lourdes de conséquences et c'est pourquoi nous demandons aujourd'hui au Parti québécois d'inclure dans son programme l'interdiction pour Loto-Québec de faire de la publicité, à l'exception de la commandite d'événements, ainsi que l'abolition de la plateforme de jeu en ligne développée en toute hâte par la société d'État l'année dernière. Les délégués du congrès national auront en effet à se prononcer sur une telle proposition.
Dans les années 1960, le Québec s'est pris en main en créant une société d'État capable de protéger le peuple québécois et lui fournir des revenus importants. Affirmer que Loto-Québec a permis à la nation québécoise de s'épanouir n'est pas une exagération. Chaque fois que nous nous libérons d'un fléau social par nous-mêmes et pour nous-mêmes, nous nous libérons comme peuple, comme nation. Qui plus est, en misant sur une social-démocratie de résultats, nous donnons confiance aux Québécois en leur État. Aujourd'hui, usons de prudence afin de ne pas trahir la volonté des bâtisseurs de notre pays et continuer à faire du Québec une nation toujours plus libre.
Raymond Archambault, Louise Fournier, Émile Grenier-Robillard, Gabrielle Lemieux, Brian Martel, Rim Mohsen, Christine Normandin, Robin Philpot, Étienne Pomerleau- Landry, Frédéric Roiné et Alexandre Thériault-Marois
Les auteurs sont des militants du Parti québécois. Ils signent ce texte en prévision du congrès national du PQ qui aura lieu du 15 au 17 avril.
Image: Reflet de société
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