Les mondes sont mortels

Le ciel vu de la terre, c’est le dernier numéro de la (toujours excellente) revue Inculte ! Beaucoup de textes passionnants (fictions et philosophie mêlée, un vrai bonheur). Impossible de tous les citer... Juste ceci, très opportunément en première page, de Jérôme Ferrari : 

Le monde est une construction de l'esprit humain. Non que l'existence des choses dépende de la nôtre ou de nos faibles désirs mais, sans nous, les choses ne pourraient jamais former un monde. Car le monde n'est pas une chose, ni même leur inconcevable totalité, il est l'horizon, toujours invisible et toujours présent, à partir duquel les choses s'assemblent et font signe les unes vers les autres. Les hommes lèvent peut-être depuis toujours les yeux vers le même ciel immuable mais ils ne voient jamais la même chose parce que leur regard ne s'arrête pas aux étoiles, il s'élève au-delà de leur scintillement monotone pour embrasser un monde. Les étoiles scintillent et ne disent pas ce qu'elles sont: des augures et des présages, des luminaires, la pupille des dieux, des feux qui attendent, dans l'immensité glacée, comme nous, de s'éteindre ou les fantômes de feux anciens qui se sont éteints depuis une éternité. Cela, nous ne le décidons pas. À notre naissance, le monde est déjà là pour nous donner le sens de ce que nous voyons et, le plus souvent, il nous survit. Mais les mondes sont mortels, comme les hommes, et parfois, le monde meurt, nous léguant la tâche d'apprendre à réformer nos regards dans un monde tout neuf. C'est une tâche incroyablement lourde qui réclame plus que notre courage. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que l'espace infini et silencieux, qui est aujourd'hui notre demeure et celle de nos rêves imbéciles, plongea Pascal dans une terreur indicible.