Les Américains ont le chic pour nous refiler leurs chefs-d'œuvre et leurs bouses. A côté de dizaines de films de qualité indéniable, on a eu droit à Independance Day, Armageddon, ou encore la série infernale des Ocean's Eleven, Twelve et Thirteen.
Red Riding Hood Trailer 2 par teasertrailer
Basé sur le conte de Charles Perrault, le nouveau Petit Chaperon rouge, réalisé par Catherine Hardwicke, c'est la mère de toutes les bouses pondues Outre-Atlantique en 2011. D'abord il n'est plus petit : c'est une grande gigue jouée par Amanda Seyfried (ci-contre). Les loups-garous sont assoiffés de ketchup. Les vampires sont bronzés comme des endives qui passeraient leurs nuits à coder du html. Les méchants ont des voix de contrebasse façon Jean-Pierre Marielle enrhumé. Les nymphettes poussent des cris dès que la nuit tombe. C'est-à-dire tout le temps. Et les villageois les défendent avec l'adresse de Gilbert Montagné en train de monter un meuble Ikéa sans la notice (en plus, il a fait tomber les petites vis sous le canapé, merde ça c'est trop con). Quant à la maquette du village où se situe l'action, c'est aussi crédible que Barbie tourneur-fraiseur.
Pourtant, ils avaient une histoire en or. Inventé par un français, pour une fois. Il n'y avait qu'à dérouler... Déjà Perrault a fignolé la célèbre formule pour démarrer son histoire. Il était une fois... C'est pas beau, ça, peut-être ? Ça se décline dans toutes les langues, c'est un bonheur : «Once upon a time». «C'era une volta...», «Er war einmal». Et là, le silence se fait, les yeux et la bouche s'arrondissent, les oreilles passent en mode super-ouïe. Par la même occasion, les mioches se taisent, c'est dire si c'est magique.
Derrière une telle intro, il faut quant même avoir un truc à raconter. Il était une fois rien, ça marche pas. Le petit chaperon rouge, c'est bon, de côté là, il débute sur les chapeaux de roues..
- «Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on eut su voir...»
La plus jolie... Tout de suite ça fait rêver. On sent qu'il va y avoir de l'action, de la sensualité, de la convoitise, de l'amour, de la concupiscence, de la jalousie, du drame... Evidemment, la formule est un peu désuète, avec son subjonctif qui se dévisse. Mais c'est quand même autre chose que «Il était une fois une bonnasse qui voulait faire bounga-bounga avec un loup-garou coiffé par Jacques Dessange...»
Perrault raconte ensuite une vraie histoire pleine de sang et de fureur, là où Catherine Hardwicke fait mumuse avec ses effets spéciaux. Bon il faut dire que le petit Chaperon Rouge y met du sien. Elle essaie d'embrouiller le loup en lui laissant le choix entre le chemin normal et un raccourci des familles. Mais le Loup prend Porte de Clignancourt et change à Réaumur-Sébastopol. En plus, la veille, il a dévoré un garde-forestier avec un GPS dans son Iphone. Eh oh, fastoche, moi aussi, hein... Et puis, discrétos, l'air de rien, il coupe le fromage à travers les taillis. Non mais la triche ! Alors que Chaperon rouge suit consciencieusement le fléchage mis en place par la DDE.
Le clou du spectacle, c'est la phrase magique, quand le loup puis le petit chaperon rouge frappent à la porte de la maison de la vraie et fausse Mère-Grand : -Tire la chevillette et la bobinette cherra». Je vais être charitable avec ce succédané de Twilight, je ne vais pas leur demander la traduction en anglais. Bref, la gamine a de la ressource, car chevillette, bobinette, comme mot de passe, ça se pose là... Bon je suis d'accord la formule a un peu vieilli. Aujourd'hui, on s'embête plus : quand un petit chaperon rouge portant son pot de beurre et son pinard sonne à la lourde, on répond : «4e gauche...» Et on ajoute à la cantonade «C'est la livraison Monoprix» d'un air blasé. Et on laisse choir la chevillette comme une vieille merde.
Mais l'intensité dramatique ne s'arrête pas là, dans le conte. Elle grimpe à son paroxysme quand, une fois que la chevillette a chu, justement, voilà le petit chaperon rouge qui fait son suspicieux et qui se met à regarder de près la bobinette du loup pourtant hyper bien déguisé avec ses Scholl, ses bigoudis et son filet sur les cheveux...
- «Oh grand-mère, comme vous avez de grands yeux !»
- «C'est pour mieux te voir, mon enfant» (toi ma fille, par contre, t'aurais bien besoin de lunettes)
- «Oh grand-mère, comme vous avez de grandes oreilles»
- «C'est pour mieux t'entendre, mon enfant» (et pour te repérer dans le noir. Des fois, l'odorat ne suffit pas...)
Etc. etc., on a ensuite les mains, et le bec et la tête, jusqu'au bouquet final :
- «Oh Grand-Mère c'est marrant, comme vous avez comme une minuscule zigounette!» (Dis donc Katsuni, tu veux me faire perdre mes moyens, c'est ça ?)
Vexé, le loup ne fait pas de détail et avale le Petit Chaperon qui rejoint sa mère-grand dans l'estomac. Pas de happy end, contrairement à ce qu'on croit, chez Perrault. Sexe, sang et anthropophagie, ça rigole pas. C'est autre chose que leurs yeux révulsés et les bonds d'une peluche filmée en animatronic. Il faut dire que Perrault n'y était pas allé avec le dos de la cuillère. Il reprenait à son compte (et sans payer de droit d'auteur) les histoires que racontaient les colporteurs et les paysans de France, depuis le Moyen-Age, toutes plus horribles les unes que les autres. Ce sont les frères Grimm, plus tard, qui font intervenir les chasseurs dans le récit pour tuer la bestiole et ressortir la gamine et la grand-mère vivantes des entrailles de l'espèce protégée. Ouais ouais...
Mais voilà, avec un scénario en béton armé pareil, les Ricains nous ont pondu un scénario politiquement correct. Déjà Raiponce avait pris 6 ans par rapport à l'original, dans le dernier Disney. Pas de danger qu'ils adaptent Barbe Bleue, en revanche, bien trop cruel même de nos jours. Ni Peau d'âne avec son histoire d'inceste refoulé. Surtout, qu'on garde bien notre petit Poucet comme trésor national : ils seraient capables de lui donner 18 ans et d'en faire une sorte de mix entre Harry Potter et Matrix. Tiens, à propos, on m'a demandé de faire le bonus du DVD du Petit Poucet de Michel Boisron (1972), qui va ressortir bientôt. J'ai interviewé Jean-Pierre Marielle, Francis Lai et et Jean-Christophe Maillot. Mais ça c'est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois si vous êtes sage... Et si vous n'allez pas voir "Red Riding Hood"...
Illustrations : wikipédia, Facebook, Warner Bros, DR