Il y a huit ans, le 9 avril 2003, les troupes américaines entraient à Bagdad. La statut de Saddam Hussein, sur la place Ferdaous, dans le centre de la capitale irakienne était abattue. C'était la fin de la guerre, mais aussi la fin d'un régime qui en un quart de siècle était devenu une dictature. L'Irak, pays riche, nation chargée d'histoire, à la population industrieuse, était exangue et désespéré. Pour une grande majorité d'Irakiens, toutes communautés confondues, la fin de la tyrannie était riche d'espoir. Une ère nouvelle commençait, et elle devait apporter la stabilité et la prospérité. La désillusion fut rapide. L'occupation américaine, au lieu de se traduire par une amélioration tangible des conditions de vie, par des emplois, l'accés pour tous aux services public, devint synonyme d'incompétence et de corruption. Elle devint également le point de ralliement de tous ceux en Irak et dans la région qui n'admettaient pas la présence en Mésopotamie d'une armée étrangère. Le pays plongea alors dans une période de violences internes, alimentées par des haines sectaires mais aussi par les influences de tous ceux qui avaient intérêt à ce que se prolonge l'incertitude en Irak et la présence d'un fort contingent américain. La guerre est aussi une affaire juteuse, et ceux qui en profitent savent tout faire pour qu'elle perdure. La chute de Saddam avait été accueillie dans de nombreux cercles aux Etats-Unis et en Europe comme la démonstration que les racines de la démocratie pouvaient être plantées dans une terre arabe, même si elles y avaient été transportées dans les fourgons d'une armée de conquérants. Huit ans plus tard, les apologistes de la vision des néo-conservateurs américains de la justesse de l'emploi de la force pour changer les régimes autoritaires au Moyen-Orient se font plus discrets. Une démocratie en trompe l'oeil a été instaurée en Irak, le piège du confessionalisme politique y a été ouvert par l'instauration d'un système électoral qui le favorise, et la corruption, le clientélisme et l'arbitraire règnent en maître. Les derniers soldats américains doivent quitter le pays avant la fin de l'année et les miliciens chiites de Moqtada Sadr ont averti que si ce n'était pas le cas, ils reprendraient la lutte armée contre les "forces d'occupation ". Sans doute, une leçon à tirer de l'expérience irakienne est que la chute d'un tyran ne suffit pas à satisfaire les attentes d'une nation. Les peuples du Moyen-Orient qui vivent dans la pauvreté veulent que les richesses dont la nature les a dotées financent le développement de leurs économies, et cessent d'enrichir les cercles du pouvoir. Sans justice économique, les réformes politiques restent de vaines promesses. Et l'Irak, producteur de pétrole, au vaste potentiel agricole, et qui jadis s'était construit une structure industrielle dynamique, est l'exemple parfait d'un espoir déçu. Il en sera de même dans les pays comme la Tunisie et l'Egypte, où des régimes autoritaires ont été écartés par ce qui est salué aujourd'hui dans la presse ou par des officiels occidentaux comme des " révolutions " arabes. Si ces changements politiques n'apportent pas rapidement les dividendes économiques de l'ouverture, le temps de la désillusion viendra vite et avec lui la colère et le désespoir. Il est de même pour des pays comme la Libye, le Yémen ou la Syrie, où des revendications politiques violentes mettent également en lumière les difficultés économiques de ces pays, où des pans entiers de la société sont marginalisés par le manque de perspectives d'une vie décente. Les pays plus favorisés, dans le monde arabe, en Europe, ou dans les Amériques, ont raison de se réjouir du vent de changement qui souffle de l'Afrique du nord jusqu' au Golfe, mais ils doivent savoir l'accompagner. Ce vent peut se tranformer en tempête, si les moyens financiers et le savoir faire technologique ne sont pas immédiatement mobilisés pour que les besoins les plus fondamentaux, comme le droit à la santé, à l'éducation, et au travail soient satisfaits, tout comme peuvent l'être le droit à manifester, à s'exprimer, ou à voter.