Magazine
".../...moteur au point mort. BMW 750 OilUn feu rouge, place de France. Beaucoup de peuple. La France qui se couche tard. La France du week-end. La France qui décompresse. La France qui oublie. Qui dépense ce qu'elle peut encore dépenser.Les vitrines des restos, si on peut appeler ça des restos-Burger King et Buffalo Grill-brillent trop, un peu trop dans le noir.Un grand carrefour. Ce qu'on appelle une zone intermédiaire. Entre le centre commercial- 124 000 mètres carrés, 520 magasins, 3500 mètres carrés d'espace multimédia, 16 hectares de parc, 11 fast-foods- et le centre de paiement, c'est ici que les gens s'arrêtent un moment. C'est ici que les flux éthérés s'interrompent, entrent en collision, se disloquent avant de reprendre leur course folle à travers les systèmes de redistribution.En théorie, le trajet entre son travail et son domicile suit la diagonale de thésaurisation; un parcours conçu par les architectes justement pour que les antinomies se croisent sans se gêner. La place de France constitue, à ce titre, une anomalie.Un accident de parcours qui s'est développé au fil du temps en dépit de toute prévision ergonomique. un mystère. Une tumeur. C'est d'ailleurs pour cette raison que le tunnel Ramé, qui rampe sous le quartier, est en voie d'élargissement.Mais pour un mois encore les travaux de modernisation en empêchent l'accès. Alors il faut passer par de France. Le plus vite possible. Sans regarder autour de soi. La musique à fond pour ne rien entendre. Ne pas porter attention. Ne rien porter. DRH, lui vient de sortir du travail;Et il a encore un dossier à finaliser chez lui pour demain matin. Nuit blanche qui se profile.Le dossier Urbania. Gros plan social en perspective. Les entrevues préalables avec sont prévues pour la semaine prochaine avec la médecine du travail et les assistants sociaux, histoire de les mettre en condition; qu'ils déblayent un peu le terrain-invalidités, mises en dispo- avant la phase deux.Les gens à travers les vitres, mangent, s'empiffrent. Certains rient.DRH sait que sa femme sera déjà en train de dormir quand il rentrera.il sait qu'il ne trouvera, pour tout réconfort, qu'un Post-it sur la porte du micro-ondes lui indiquant que le gratin en barquette surgelée individuelle est dans le deuxième compartiment à gauche.Il y a des gosses dans ces restos, des enfants, morve au nez, genoux calleux, qui courent entre les tables, qui jouent dans les espaces-jeux, qui se goinfrent. Qui attendent.DRH tapote des doigts sur le volant.En sourdine, Florent Pagny. Un souffle presque littéraire, pense DRH.Un couple sort. Il titube sur le trottoir. Elle rit. L'espace 'un instant, la lampe sodium haute pression du réverbère illumine son visage qui sera bien moins beau d'ici à quelques années. C'est une certitude: DRH s'occupe de ce genre de choses. Lorsqu'il franchira le seuil de son domicile, DRH sait que sur sa peau il n'y aura aucun contact. Sur ses lèvres aucune chaleur. Et dans ses oreilles, le souvenir des rires aura disparu. Il ira se branler sans faire de bruit, sous la douche, avant de prendre deux doses de Ritaline mélangées à un expresso et d'entamer son labeur. Des chiffres, rien que des chiffres. Pas des êtres humains.La jeune fille, au bras du type, traverse juste devant le pare-chocs. Les phares de la BM illuminent ses longues jambes. Interminables. et ce qui est au-dessous. Inaccessible. Dans le regard de la jeune fille.L'amour. Tout cet amour, cette vitalité qu'elle porte en elle et qui n'est pas, qui ne lui sera jamais destiné.Puis le callipyge disparaît du faisceau.Elle n'existe plus. Elle rejoint peut-être la cohorte de chiffres abstraits qu'il manipule chauqe jour pour respecter au plus près la volonté des actionnaires.DRH cligne des yeux.La pression se relâche.Le feu passe au vert.DRH embraye. Calmement. .../..."
extrait de"Une histoire d'amour radioactive" -Antoine Chainas- Editions: -Série Noire- Gallimard