Richard Lefrançois, La Tribune, samedi le 9 avril 2011
Fait inédit dans les annales électorales fédérales, les Canadiens sont conviés aux urnes pour la quatrième fois en moins de huit ans. Pour l’heure, même si les récents sondages prédisent la victoire des conservateurs, les dés ne sont pas encore jetés. Plusieurs événements peuvent encore brouiller les cartes et infléchir les intentions de vote de l’électorat.
Pensons à la performance des chefs aux débats télévisés, à de possibles faux pas ou révélations fracassantes, à des promesses alléchantes ou tactiques, à des surprises dans les sondages et aux appréciations des reporters, blogueurs ou élus provinciaux et municipaux. Qui plus est, une multitude de sujets sensibles émaillent toujours le paysage politique, dont la situation économique, l’environnement, les infrastructures, l’éthique, la justice, les dépenses militaires, le maintien du registre des armes à feu et notre mission en Afghanistan et en Lybie.
À constater la fréquence des discours et l’éventail des promesses s’adressant aux aînés, on peut d’ores et déjà affirmer que ce segment de l’électorat constitue un enjeu clé dans cette campagne. Si les aînés occupent le centre de l’échiquier politique, c’est en vertu de leur poids électoral, de l’efficacité de leur lobby, mais aussi parce que leur capacité financière s’est réduite comme peau de chagrin.
La puissance électorale des aînés
Les aînés, qui représentent déjà 15% des 34,3 millions de Canadiens, sont proportionnellement plus nombreux encore à être inscrits sur les listes électorales, soit 18%. Mais c’est surtout le vote massif des aînés qui peut faire toute la différence. Aux élections fédérales en 2008, 75% des 65 ans et plus ont déclaré avoir voté, alors que seulement 47% des 25-30 ans et 37% des 18-24 ans affirment s’être présentés derrière l’isoloir. Conjugués au «déficit démocratique» des jeunes, le vieillissement de l’électorat et la sur-représentation des aînés lors du scrutin devraient donc avoir une incidence considérable sur les résultats du 2 mai prochain. Les partis politiques le savent pertinemment. C’est pourquoi ils déploient le maximum d’effort pour séduire le vote gris, espérant que cette clientèle fera pencher la balance en leur faveur.
Conscientes d’un tel déséquilibre des forces électorales, mais aussi des dommages démocratiques de l’actuelle désertion électorale (seulement 58,8% des Canadiens ont voté en 2008), les associations pour aînés ont beau jeu d’intensifier leur lobby pour faire valoir leurs revendications. Il n’y a pas si longtemps, elles ont obtenu une bonification du fractionnement des revenus de retraite chez les couples, le passage à 71 ans de l'âge maximal pour convertir les régimes enregistrés d'épargne-retraite, la construction de logements sociaux pour aînés et, récemment, un investissement de 10 millions d’ici deux ans dans le cadre du programme Nouveaux horizons.
Souhaitant une majoration du Supplément du revenu garanti (SRG) pour les aînés peu fortunés, l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic a exercé des pressions qui ont porté fruit. Les partis proposent désormais des solutions pour redresser cette situation. S’il est élu, le gouvernement Harper bonifiera le SRG jusqu’à concurrence de 600$ annuellement pour les gens vivant seuls et de 840$ pour les couples. À quelques écarts près, les libéraux et le NPD formulent le même engagement, sauf que les néodémocrates inscriront automatiquement les prestataires aux deux régimes et hausseront à 36 mois la rétroactivité. Les bloquistes, de leur côté, réclament le remboursement intégral des sommes dues.
Principales promesses touchant les aînés
Depuis le début de la campagne, les néoconservateurs sont particulièrement proactifs dans l’espoir d’attirer le vote des aînés. Ils s’engagent à doubler progressivement le montant des prestations de retraite, d’ouvrir des places aux «médecins de la prochaine génération» en formant 1 200 nouveaux médecins de famille d’ici 10 ans. D’autres initiatives du NPD pourraient délester le fardeau financier des aînés. Ainsi, pour freiner l’endettement des ménages, un plafond serait fixé sur les taux d’intérêt des cartes de crédit ne dépassant pas de 5 points de pourcentage le taux préférentiel. Une autre mesure est l’annulation de la TPS sur le chauffage résidentiel et des prêts de rénovation pour les maisons multigénérationnelles.
Les requêtes du NPD précédant le dépôt du budget Flaherty ont été partiellement exaucées puisque les conservateurs s’engagent à annuler, pour un montant maximal de 40 000$, les prêts accordés aux médecins qui acceptent de s’installer en région, et de 20 000 $ dans le cas des infirmières. Les conservateurs s’engagent aussi à prolonger de deux ans le programme Initiative ciblée pour les travailleurs âgés favorisant le retour à l’emploi.
Cette même formation politique consentirait aux aidants familiaux des crédits d’impôt de l’ordre de 2 000$, ce qui représente environ 300$ annuellement. Or les aidants à très faibles revenus n’en profiteront pas puisque déjà ils ne paient pas d’impôt!
Pour tous les aidants, les libéraux préconisent plutôt une prestation fiscale au montant de 1 350$. Viendrait s’ajouter un «congé de compassion» de 6 mois pour ceux occupant un emploi, ce qui leur permettrait de consacrer plus de temps au soutien d’un proche. Sachant que les trois quarts des Canadiens ne cotisent pas à un régime de pension agréé, ils mettraient sur pied «l’Option de retraite sure», un programme de cotisation supplémentaire volontaire au Régime de pensions du Canada pour inciter les ménages à économiser en vue de leurs vieux jours.
Lorsqu’on les examine attentivement, certaines mesures s’adressant aux aînés ne pèseraient pas lourd dans la poche des aînés ou des aidants. D’autres sont conditionnelles au retour à l’équilibre budgétaire, tandis que les plus généreuses ont visiblement peu de chance d’être tenues.
Des priorités à mettre en valeur
Pour mettre en perspective cette myriade de promesses, rappelons que notre déficit oscillera autour de 30 milliards cette année, portant la dette à un sommet historique de 586 milliards. Malgré cette dure réalité qui commande un redressement à moyen terme, nous pensons qu’un gouvernement responsable doit d’abord prêter secours aux personnes immédiatement dans le besoin, dont celles sévèrement frappées par la récente récession. Ce devoir a préséance sur le remboursement accéléré de la dette, les avantages concédés au monde des affaires, certains engagements internationaux et surtout la course frénétique au pouvoir et au «rendement électoral». En vertu de ce principe au fondement de l’État-providence, et dans le contexte des finances publiques actuelles, les baisses d’impôt accordées aux entreprises, la construction de prisons et l’achat de matériel militaire à la hauteur de dizaines de milliards de dollars sont totalement inadmissibles.
En définitive, il nous appartient de porter au pouvoir une équipe compétente, aguerrie et dynamique, vouée à la bonne gouvernance de nos affaires publiques. Mais il est aussi de notre responsabilité d’élire une formation soucieuse d’équité et de solidarité, et par-dessus tout respectueuse de nos valeurs démocratiques.