Version & support : blu-ray region ALL distribué par Warner (2011), VF 1.0
Diffuseur : TV LCD à LED Samsung de 52 pouces
Lecteur : Sony PS3
Participants : 10
Résumé : Sur l’île de Bretagne, pendant les Ages sombres, Merlin l’enchanteur, en quête d’une stabilité politique qui permettra d’instaurer un Age d’Or, recrute Uther Pendragon et lui fournit Excalibur, l’épée magique forgée par les dieux. La fougue de ce vaillant chevalier lui permet dans un premier temps de s’allier les nobles les plus puissants du royaume. Mais son désir pour Ygraine, la femme du duc de Cornouailles, le perdra. Merlin, en lui permettant de satisfaire sa concupiscence, prépare déjà l’avènement du rejeton de cette union : Arthur…
Un essai de synthèse, par Vance
Comme j’ai été chargé de pondre la synthèse, je vous préviens, comme j’ai prévenu mes coréligionnaires : impossible pour moi d’écrire à charge contre ce film. Impossible parce qu’il fait partie de mon univers, il résonne et vibre à l’intérieur de moi.
Cela dit, pour avoir sagement écouté les autres, leur fascination, curiosité ou même leur profonde déception, j’ai eu la chance de conforter mon admiration sans borne pour ce chef-d’œuvre absolu (ouille, voilà que je pars déjà dans la dithyrambe !) tout en l’abordant par des biais différents qui faisaient ressortir les quelques failles et lacunes de l’œuvre comme de son support.
L’Edition HD : le visuel
Passons rapidement sur l’emballage du produit : visiblement une honte, pas un qui n’ait été offusqué, voire scandalisé par le visuel ridicule dont est nanti le blu-ray (à comparer avec l’affiche originale, tellement plus belle !). Il semble que ce soit devenu le sport à la mode chez les éditeurs : comment doter un film culte d’une jaquette atroce.
Sypnos s’est d’ailleurs fait une spécialité de la comparaison affiche/jaquette (et il y a de la matière !).
L’Edition HD : le son
Il s'agit clairement d'un nouveau mixage son sur ce que j'ai pu tester dès réception du colis (4 séquences que je connais par cœur, lisez ici la description de certaines d’entre elles, purs moments de délice transcendental). Le film est en effet proposé avec une nouvelle piste DTS HD-Master Audio pour la VO, mais uniquement du 1.0 mono pour la VF d’origine. J'ai trouvé à la piste anglaise plus d'ampleur et de basses qu’auparavant mais le mixage manque vraiment de précision voire même de cohérence : c’est parfois décalé dans les crescendos à certains moments-clefs. Du coup, ça manque de naturel : on dirait que l'ingénieur son en a rajouté dans les basses. C’est essentiellement frontal, bref inutile... à part peut-être pour les envolées lyriques où on gagne l'ouverture du canal stéréo (par rapport à la VF). Il aurait été plus intéressant de travailler de manière plus rationnelle afin de compenser le traitement du son de l’époque et pas de tenter d’en mettre plein les oreilles en jouant sur la puissance.
L’Edition HD : les versions audio
Je pense, pour la connaître par cœur, que la VF est plutôt réussie, insistant sur des termes et des tournures désuets mais recherchés pour mieux ancrer l'histoire dans ce pseudo-Moyen-Age ; par comparaison, la VO n'abuse pas de vieil anglais, alors que cela aurait pu être un plus. J'adore par exemple le "Qu'est-ce que ceci ?" que prononce Merlin lors du premier adoubement du film (dans les douves du château de Léodegran de Caméliard, lorsque Arthur demande à Urien de le faire chevalier), ou encore : "Il a brisé... ce qui ne peut être brisé." à la fin du duel Arthur/Lancelot. Les monologues d'Arthur sont également très bien rendus, lorsqu'il fait son mea culpa pour avoir usé abusivement des pouvoirs d'Excalibur contre Lancelot ou surtout lorsqu'il parle à sa femme Guenièvre recluse dans un couvent ("Je ne suis pas né pour vivre une vie d'homme, mais pour construire le tissu de la mémoire du futur" - ou quelque chose dans ce goût là).
Cela dit, la VO bénéficie des inflexions de voix plus naturelles et de la tonalité particulière de certains acteurs (Gabriel Byrne, Patrick Stewart). Et elle m'a permis de découvrir certaines expressions comme "Will you not champion me ?" qui peut se traduire par "Ne serez-vous pas mon champion ?".
C'était l'époque, comme disaient TWIN et Nico, où les VF assuraient.
L’Edition HD : l’image
L’avis général est plus que mitigé au sujet de l'image : de prime abord, c'est granuleux et ça manque de précision, mais les couleurs et les reflets sont magnifiés (on peut compter les personnes présentes sur le tournage en regardant attentivement l’armure et le bouclier de Lancelot). Après visionnage sur plus grand écran, je peux affirmer qu’elles vont de correct à passable, avec deux plans très bruités (des visages dans l'ombre, ceux de Merlin dans la forêt pendant l’initiation d’Arthur et de Perceval au bord de la crique à la fin), mais certaines séquences révèlent des détails insoupçonnés auparavant (notamment les tons argent et or des murailles de Camelot, invisibles sur la VHS, à peine perceptibles sur le Laserdisc NTSC et sensibles sur le DVD). Paradoxalement, les scènes nocturnes sont bien définies (l'ouverture n'a jamais été aussi belle), mais comme dit Gigantic : « ça casse pas trois pattes à un canard ! ». Le gain en définition par rapport au DVD n’est pas aussi conséquent qu’on pouvait s’y attendre, mais pour ceux qui ne se souviennent que de leur vieille VHS, c’est le nirvâna. Les plans les plus problématiques voient sans doute l'origine de leurs défauts dans les impondérables de la composition optique et photochimique. La pellicule d'origine paraît finalement très bruitée et mal définie.
On a remarqué que le cadre ne semblait pas forcément correspondre (voir notamment le duel Gauvain/Lancelot, Liam Neeson a le haut de crâne régulièrement hors cadre) : d'après TWIN, ce serait peut-être dû à l'overscan (le métrage a été tourné en 1.85:1).
Le film
Sorti au tout début des années 80, le métrage révèle son âge par certaines postures et effets spéciaux, pourtant son côté kitsch assumé ne le rend pas vieillot, mais intemporel. Evidemment, pour peu qu’on n’entre pas dans le récit, son découpage et ses ellipses (parfois énormes) déconcertent et peuvent perdre le spectateur. Les dialogues sont pourtant assez courts, et généralement introduits par des scènes pompeuses, mais on s’aperçoit que l’action manque. Certains du coup rêvent d’un remake plus dynamique où l’épée serait utilisée d’une manière plus spectaculaire. Néanmoins, ce script aussi distendu (rendu nécessaire afin d’embrasser trois générations de héros) est une sorte miracle scénaristique qui a fait de l'ellipse le moteur, toujours sur la corde raide, d'une certaine forme narrative favorisant l'épique par une succession d'instants, au même titre que Conan le barbare, tout autant dans le sens esthétique que dans le texte.
Or, le problème de cette sensation de manque tient aussi à la nature du récit : Excalibur, ça reste le film ultime du genre, réussissant un amalgame parfait entre récits mythologiques fondateurs, gestes médiévales, et aventures épiques teintées de romantisme. On y assiste à un choc des cultures et des croyances pendant l'avènement et la chute d'un Age d'or où les valeurs de la chevalerie (foi, honneur et loyauté, mais aussi humilité) supplantent celles des guerriers antiques (la force et le droit). Mais le film est aussi une synthèse sublime entre plans équivoques et morceaux de bravoure de la musique classique et contemporaine : aucun autre réalisateur n'a su mettre en images le O fortuna tiré du Carmina Burana de Carl Orff, ou surtout les Funérailles de Siegfried du Crépuscule des dieux de Wagner avec tant de grâce, d'à-propos et de sens du spectacle.
En explorant le film, on s'aperçoit qu'il est bien plus subtil qu'il n'y paraît, et contient de nombreux symboles astucieusement
répartis : par exemple la conjonction entre la forme de la croix latine - représentant la nouvelle religion, celle du Dieu unique - et celle de l'épée, particulièrement visible
dans la chapelle de Camelot et la cellule de Guenièvre à la fin ; le symbole du Graal que porte Lancelot sur son armure et son bouclier, alors que ses armoiries sont tout autres
: il indique que ce chevalier était l'Elu destiné à trouver le Graal mais que sa vertu avait été entachée par sa liaison avec Guenièvre - une attirance contre laquelle il essaie
de lutter, en vain (dans certains récits, il s'agit d'un sortilège jeté par Morgane, ou d'un philtre d'amour). Perceval, lui, devient du coup le chevalier seul capable (avec
normalement Galaad, le fils de Lancelot, personnage retiré du scénario pour plus de lisibilité) d'atteindre le Graal par son sens du devoir, sa persévérance et son courage. De
tous, il est le plus loyal (il est le seul à défendre la reine alors qu'il n'est même pas adoubé).
Quant au creuset historique que constitue un tel récit, il s’appuie tout autant sur le personnage du roi Arthur, ex-général de l'armée d'occupation romaine, vraisemblablement enterré à Glastonbury, que sur les légendes celtiques irlandaises (la pierre qui crie, le chaudron de Dagda, Cuchulainn et autres héros mythiques ; on en retrouve de nombreux noms dans Willow). Les récits arthuriens (c'est-à-dire les Chevaliers de la Table ronde et la Quête du Graal) prennent racine dans les oeuvres du XIIe siècle de Geoffroy de Monmouth (Avalon, Excalibur, Morgane), de Chrétien de Troyes (Lancelot et le Graal), de Wolfram d'Eschenbach (Perceval) et du roman de Brut (la plupart des autres chevaliers). On trouve pour la première fois la mention de Merlin (druide ou homme-fée, fils de démon) chez Robert de Boron. Si les châteaux-forts en pierres de taille se développaient déjà après l’An Mil, les armures complètes voulues pour le film datent plutôt de la fin du Moyen-Age.
Tout cela en fait une des références du genre heroic fantasy, animée de scènes d'une immense poésie (ah ! la chevauchée rédemptrice sous les cerisiers en fleurs sur le Carmina Burana, le baiser filial sur la musique de Wagner !). Après tout, les autres films de Boorman relèvent également d'une direction artistique presque onirique. Il y a un souffle, un élan qui transcendent la pellicule pour procurer des sensations dépassant le cadre propre du métrage. Le côté ostentatoire va de pair, on doit faire avec (et nous étions plusieurs à l’apprécier). Wagner ne peut pas se contenter de petites images, de plans étriqués et d'une histoire humble et modeste : il lui faut de l'ampleur, un décor bigger than life. Coppola l'a bien compris lui aussi qui illustra également à merveille un autre morceau, encore plus culte, celui de la Chevauchée des Valkyries.
La conclusion du film - avec la double exécution d'Arthur et Mordred sur fond de soleil sang, Perceval qui ramène Excalibur à la force de l'eau, et qui finit par contempler Arthur transporté vers les havres de la mort (les rivages d’Avalon où il attendra l’avènement d’un nouveau roi légendaire) – par sa mise en scène d'une grâce infinie, est symptomatique du talent énonciatif de Boorman, où il fait se rejoindre de subtiles compositions formelles à l'art et à la grandeur de la composition musicale classique. Les spectateurs qui ont parfois décroché devant certaines séquences (le dernier tiers est incontestablement un peu moins rythmé) ou qui ont été agacés par un montage semblant compresser le temps, se retrouvent généralement conquis par la majesté de l’épilogue. TWIN expliquait d’ailleurs :
Je n'ai retrouvé depuis qu'une seule fois résonance du regard de Perceval - regard personnage tout autant que regard spectatoriel - sur Arthur bercé par les flots : dans la scène du rêve
de Kagemusha.
Autre atout de l’œuvre : on y découvre les débuts de jeunes acteurs aujourd'hui célèbres. Patrick Stewart en Leodegran est méconnaissable mais fascinant,
Liam Neeson campe un Gauvain bourru avec une certaine ferveur mais moins d’énergie que le remarquable Gabriel Byrne qui n’avait
pas encore l’élégance qui le caractériserait ensuite ; quant à Helen Mirren, elle parvient à insuffler un certain cynisme à la beauté vénéneuse de son personnage. Néanmoins,
les deux rôles majeurs sont portés par des comédiens talentueux : difficile d’incarner Arthur avec autant de grâce et d’humanité que Nigel Terry et surtout l’interprétation
de Nicol Williamson a su démoder instantanément des siècles de représentations de Merlin en le campant sous la forme d’un vieillard alerte et caustique. A lui seul il incarne le
paradoxe d’un métrage où le spectaculaire n’est pas où l’on croit.
Les décors naturels (le film a été tourné en grande partie non loin du domaine de Boorman) comme ceux en « carton pâte » contribuent à renforcer l’impression initiale : pour peu qu’on ne soit pas (ou plus) séduit par le clinquant, on n’y voit plus que le ridicule et le suranné.
Grandiose. Intemporel. Indispensable.
Mais une édition blu-ray qui n'est pas la hauteur de ce monument.
Prochaine séance Ciné-Club : the Taste of Tea.